Bon, je te passe les fastidieuses questions, les réponses traduites, les commentaires qui leur succèdent. Du ronron, tout ça. Rien de plus tartouze qu’un interrogatoire, même s’il te fait progresser. Ça ressemble à du ping-pong verbal. Comme lorsqu’on contrôle un inventaire : « Douze petites cuillers d’argent, style Louis XVI ! » qu’annonce le mec à la liste. « Douze petites cuillers ! » que répond le vérificateur.
T’en as vite rasibus.
Sache pour ta gouverne que cette mignonne se nomme Katarina Dürkönizöb, que c’est une petite vicelarde qui fréquentait l’institut Bhézodröm dirigé par Borg Borïgm, que, perverse à en incendier ses slips, elle devint la maîtresse du maniaque à l’âge de seize ans, qu’ensemble, ils se livrèrent à des orgies dignes de Sade, à des messes noires, qu’ils allèrent jusqu’au meurtre (j’en sais quelque chose).
Te voilà approvisionné en tuyaux, hein, Mec ?
Mais bouge pas, mon grognant, c’est pas fini. Emmagasine et laisse s’épancher la vessie du mérinos.
La demoiselle Dürkürazöb nous apprend qu’après son évasion, Borïgm est allé la trouver, dans la propriété de ses vieux, car le fait divers eut lieu pendant des vacances. Elle sut le cacher dans le parc de son dabe, important chirurgien spécialisé dans la greffe du pénis. Mais, lorsque les classes reprirent, ils durent envisager une autre planque. Borg avait une vieille tante à Milsabör, aimable femme qui l’avait élevé et vivait en compagnie de son fils. Il jura à la brave personne qu’il était innocent. Elle le crut. Les mères croient toujours les enfants et leur pardonnent tout (belle notation, hein ? On jurerait que c’est d’un grand écrivain et on souhaiterait que ça soye repris dans les livres de philo et de siphilo). Une vie bizarre s’organisa. Profitant de sa ressemblance avec tantine, Borïgm se nippa en vieille dame de la petite bourgeoisie. Ils avaient l’un et l’autre la même anomalie nasale. La tante n’avait pas de tache de vin à l’oreille : on lui en fit une. Bref, chacun se mit à la portée de l’autre, ce qui est louable, t’es d’accord ?
L’harmonie familiale, tu veux savoir ? Irremplaçable. Je répète : irremplaçable.
Borïgm voyait beaucoup Katarina. Ils continuaient ensemble d’assouvir leurs instincts dépravés (bien tourné, ça aussi, non ?).
Quelquefois, ils subissaient des alertes, lorsque des inconnus se présentaient à la maison, par exemple, car ils n’ignoraient pas que, malgré sa retraite, Maeleström continuait de faire rechercher Borg.
Et puis tout redevenait normal. Seulement, un beau matin, il y eut l’arrivée de Nostrabérus dont les hauts faits occultes terrifièrent le fugitif. Borïgm comprit que Maeleström ne laisserait pas passer une pareille occasion, lui qui avait tout essayé.
Le reste, t’as dû le tartiner dans les feuillets précédents, à moins que t’en sautes, ce qui ne m’étonnerait pas de toi dont la culture ressemble à un cimetière de voitures.
Elle se tait, hagarde.
— Encore quelques petits renseignements avant de passer à un autre exercice, reprends-je. Que signifiait la grenade dans l’auto ?
Réponse :
— Ce matin Frédérik Stöneschaarden devait conduire sa môman chez le médecin. Borïgm avait décidé d’en terminer avec ce couple, craignant le pire pour sa sécurité. Ils préparèrent donc ce piège. Tantine était coquette et ne manquait jamais de se replâtrer la vitrine avant de descendre de voiture pour rencontrer quelqu’un. Seulement, nous précipitâmes les choses en déboulant chez eux. Ils croyaient avoir tué le mage et décidèrent de liquider d’urgence la famille pour effacer toute piste.
Question de l’éminent San-Antonio :
— Pourquoi vouloir me faire exploser la grenade ?
Réponse :
— J’ai pris peur de me sentir entre vos mains, j’ai préféré la police.
C’est bien ce que le génial commissaire avait pressenti, tu l’admets sans barguigner, mm ?
— Parfait, dernière question : ça !
Et je lui caresse la joue avec le flacon.
Elle a un geste de recul, comme si un fakir approchait son serpent à musique de sa frimousse.
— Oui ? Oui ? halète-t-elle (elle halète en espéranto mais dit oui en scandinave).
— Parlez-nous de ça, ma jolie.
— C’est un produit qui…
— Je sais, interromps-je en considérant mornement le petit trou à mon doigt et le bloc de glace qui se met à fondre doucettement sur la table. Je veux savoir d’où cela provient.
Elle jure l’ignorer. Elle prétend que machin, comment déjà ? Ah oui, Borg Borïgm, ne le sait pas davantage. Un jour il a possédé ce flacon en connaissant les curieux effets de son contenu, mais c’est tout. Magie noire !
J’ai beau menacer, elle hurle de frousse, se tord les bras, s’arrache les cheveux et répète : « magie noire, magie noire ».
Je me tourne vers le Vieux, très avocat américain pendant un procès !
— A vous, monsieur l’attorney général…
Big Boss fait siffler le coin de sa bouche en tirant sa joue sur le côté.
— Pas de questions. Je souhaite entendre maintenant le témoin suivant. Et celui-là, je vais m’en charger personnellement !
Qu’île en soie fête ce long ces dés ire.
Tu vas voir comme le voile se déchire et ce que je fais du rideau de brume, moi !
Borg Borïgm, enfin !
La vedette !
Borg Borïgm l’insaisissable. The mysterious.
Ce qu’il m’a démangé de lui parler au cours de ces dernières heures. Mais c’était une denrée interdite, réservée. Il appartenait au Vieux. Et voici que le Vioque l’entreprend. J’ai que le droit d’assister. Figurant muet. Un chef, faut lui céder la priorité. C’est ça, la cheftise : le droit de… De se servir le premier, de décider, de te pisser contre, de baiser la plus belle. Le droit d’avoir le droit, d’avoir tous les droits.
Il entre en claudiquant, bicause son talon de botte arraché. Sa barbe blonde a poussé. Il a le regard de Van Gogh, après que celui-ci se soit cisaillé l’éventail à moustiques. Des yeux pâles, enfoncés, fixes, mauvais. On devine toutes les turpitudes du monde sur cette face de carême.
Je le pousse dans le fauteuil.
Mon Dabe, je crois pas me gourer si je t’affirme que c’est la first fois que je le vois interroger un mecton. Besogne véry trop subalterne pour un gentleman de son acabit. Il questionne par poulaga interposé, lui. Mais là, il entre en lice seul. Gladiateur élégant, dont la calvitie étincelle. Gladiateur manucuré. Cravaté de sombre. Impec.
— Parlez-vous anglais ? demande-t-il à Borïgm.
Lequel rétorque que « yes, il ».
Alors le Dirlo, à Eggkarte :
— Chère jeune fille, vous allez pouvoir vous reposer dans la pièce voisine. On vous a tellement mise à contribution jusqu’à présent.
Elégante façon de la virer, non ?
Nous demeurons trois dans le salon. Les cloches de la chapelle voisine sonnent l’angélus. J’aperçois par la fenêtre la grosse Mercedes noire de l’ambassade de France, au volant de laquelle le chauffeur lit Ici Stockholm ou Suède-Dimanche. Sur les toits d’alentour, la neige étincelle.
Le Boss croise ses bras.
— Monsieur, dit-il, je tiens à vous avertir que je n’ai personnellement aucun grief contre vous. Votre personne ne m’intéresse pas, les crimes que vous avez pu commettre dans ce pays m’indiffèrent. Je n’attends de vous que quelques renseignements à propos de l’Inertium. Lorsque vous me les aurez fournis, vous pourrez filer où bon vous semblera. Je ne lèverai même pas le petit doigt pour prévenir la police. Est-ce bien clair ?
— Je ne sais rien, répond Borg Borïgm d’une voix creuse.