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— Ce serait très regrettable. Cher San-Antonio, auriez-vous la complaisance de verser un peu de cette poudre sur la main de monsieur ?

J’hésite. Mais le Vieux me confirme d’un hochement de tête. Alors v’là que je redévisse la fiolette pour saupoudrer la main gauche du sadique.

Il se met à trémousser en criant « Non ! Nein ! No ! »

Un moche cratère creuse sa pogne. Et lui, il est béant de trouille.

— Considérez cela comme une sorte de petit acompte, monsieur Borïgm, l’avertit le Vieux. Si vous ne parlez pas, c’est votre sexe que nous saupoudrerons.

La menace achève de liquéfier Borïgm.

Le Vieux va appeler Bérurier. Il demande à Eggkarte de bien vouloir surveiller la compagnie pendant l’absence du gros Médor.

— Mon cher Bérurier, dit-il, voulez-vous avoir l’amabilité de déculotter monsieur Borïgm, je vous prie ?

— Ah oui ? bégaie l’Enflure.

— Oui, oui, s’impatiente le Patron.

Et je réalise brusquement son déterminisme. Je sais qu’il le fera, qu’il VA le faire.

Le Mastar délie l’hémisphère sud de Borïgm. Avec des gestes empêtrés (il a davantage d’expérience avec les dames, pour le dessapage), il dénude la partie inférieure de notre prisonnier.

— J’attends, monsieur Borïgm, annonce mon Vénérable.

L’interpellé n’en mène pas large.

Il en mène si peu large qu’il passerait par le chas d’une aiguille sans la toucher.

— Je vais vous dire ce que je peux vous dire, hoquette le tanticide.

— J’espère que je n’aurai pas à vous en demander davantage, riposte le Vieux.

Il se tient immobile devant sa victime. Maintenant, il garde ses mains dans le dos, comme le prince Philippe quand il visite une manufacture de tire-bouchons sur les talons de sa bergère.

— Cela s’est passé peu de temps après que j’hérite de l’Institut Bhézodröm, commence Borg.

— Donc, son ancien propriétaire était mort ?

— Oui, depuis plusieurs mois.

— Je suppose que vous l’aviez quelque peu aidé à quitter ce monde ?

Borïgm a un signe d’acquiescement. Il entend, par cet aveu spontané, nous prouver qu’il dit la vérité. Il compte sur lui pour nous faire admettre ses prochaines lacunes.

— Continuez, monsieur.

— Un matin, comme je prenais mon rasoir, dans le placard métallique de ma salle de bains, j’ai trouvé ce flacon de métal posé en évidence sur un rayon. Je ne l’y avais jamais vu auparavant et j’ai toujours ignoré qui l’avait placé là. Mais quelque chose d’étonnant s’est opéré en moi. Une espèce d’hypnose. Toujours est-il que j’ai pris ce flacon, l’ai ouvert et que j’ai commencé de verser son contenu dans l’eau de mon bain. Elle s’est immédiatement congelée. Alors j’ai remisé soigneusement la bouteille.

— Vous avez essayé de savoir qui l’avait placée dans votre placard ?

— Naturellement. Une vieille gouvernante faisait le ménage. Elle a juré sur la Bible tout ignorer de ce flacon. Elle exceptée, personne n’avait accès à ma salle de bains.

— Ensuite ?

Il secoue la tête.

— Rien.

— Qu’entendez-vous par « rien » ?

— Je n’ai jamais eu l’explication de ce mystère. L’on m’a déjà torturé, vous savez, je n’ai pas pu dire autre chose, puisque c’est la vérité ! Un jour, il y a eu ce flacon sous ma main, et puis voilà.

— Vous avez bien dû vous forger une opinion, monsieur Borïgm ?

J’ai échafaudé beaucoup d’hypothèses, pas une n’était vraiment réaliste. Même si vous êtes sceptique, vous devez convenir qu’il s’agit de « magie ».

— Je suis trop sceptique pour en convenir, riposte le Vieux.

Il ajoute :

— Il semblerait que vous n’ayez pas fait grand usage d’une découverte aussi prodigieuse.

— Deux fois.

— La première, après que vous ayez trucidé ces jeunes filles de l’institut. Vous les avez jetées dans le lac et vous avez versé de l’Inertium dans l’eau. Une petite banquise s’est constituée autour d’elles. La seconde fois, à l’hôtel de Milsabör…

— En effet.

— Pourquoi ce double meurtre, je parle de celui des filles ?

— Sexuel, répondit Borg Borïgm.

Un moment de creux détend l’atmosphère. Le Vieux médite, les paupières à demi fermées. J’attends en caressant la terrible fiole. Quant à Bérurier, tu ne le reconnaîtrais pas, tant son visage a changé. On dirait que sa tête s’est allongée. Et aussi qu’il écoute des bruits indiscernables par nos oreilles humaines.

Tu vois, je peux me tromper. Tout le monde se trompe, et les gens mariés plus que les autres, mais j’ai la conviction qu’il est « en vision », le Gros. Qu’il ne s’appartient plus.

Ah ! fasse le ciel qu’il n’appartienne à personnel ! Nous appartenons tellement à tout le monde, tous, et de si honteuse façon… Nous sommes tellement soumis, enrôlés de force par le système, en butte à toutes les vilenies : aux écoutes téléphoniques, aux délations, aux sondages d’opinion, aux pilonnages publicitaires. Duperies ! Duperies ! Erreurs !

— Monsieur Borïgm.

L’autre relève la tête. Il regardait misérablement le trou à sa main. Il attendait « la suite ». Se disant que ce jour d’hui n’est pas « son » jour. Que son destin se grippe.

— Monsieur Borïgm, j’ai le regret de vous informer que vos déclarations ne me satisfont pas. Hélas pour vous, je suis un incrédule. La magie est un conte de fées et les contes de fées ne s’adressent qu’aux enfants ou aux débiles mentaux.

Le dirluche toussote dans son creux de main.

— Je vous ai menacé d’un très dur sévice, monsieur Borïgm. Je perdrais tout crédit à mes propres yeux si je ne le mettais pas à exécution. Une dernière fois, voulez-vous me révéler la provenance de ce produit ?

— J’ai tout dit, tout dit, tout dit, croasse l’autre.

Son regard se révulse.

— Alors, dit le Vieux, à mon grand regret…

Il se tourne vers moi.

— Agissez, San-Antonio.

Dis, il me prend pour quoi t’est-ce, Césarin ? J’ai trop le respect du sexe pour écouiller un gus, fût-il le pire des sadiques. La vie d’un niard, bon, y a des cas où. Mais ses roustons, c’est sacré ! Car ses roustons c’est plus que « sa » vie. C’est « LA » vie !

T’es pas d’avis ?

Je vais donc pour rebeller, mais je n’en ai pas le temps. Un incident imprévu, fantastique, prodigieux, attends que je te déboule ma boîte à synonymes superlatifeurs : inouï, dément, ahurissant, époustouflant (ça te suffit ?) se produit.

Bérurier, pardon : le mage Nostrabérus me repousse d’une main ferme. Il a un couteau à la main.

Pour trancher les liens de Borïgm.

Il sort son feu de sa vague.

Pour le lui tendre.

« Va-t’en ! » il dit d’un ton comme ceux qui te parviennent des autres cabines d’une poste pendant que tu formes ton numéro dans la tienne.

Et Borg Borïgm s’en va.

Je veux le flinguer, mais le Gros, toujours lui, me remonte le bras de sa poigne d’acier.

La porte claque.

Galopade…

Je fonce à la fenêtre.

Borg Borïgm est déjà à la Mercedes. Il en vire le chauffeur.

Prend sa place…

J’ouvre la fenêtre.

Le moteur ronfle. Le pavillon français, accroché à la petite hampe de l’aile avant droite, se met à palpiter.

J’enjambe la fenêtre.

L’auto tourne le coin de la ruelle.

La première tire qui me tombe sous la main, c’est la nôtre.

Jamais une marche arrière n’a été opérée à aussi vive allure. La route vient à ma rencontre comme si je la matais à travers un zoom.