Выбрать главу

Dérapage sur la neige durcie. Mon pare-chocs arrière embugne le coin de la chapelle. Excusez-moi, mon Dieu ! Je passe en seconde d’un coup de psaume, pardon : d’un coup de paume, champignonne sec…

Le ciel est noir, la terre est blanche.

Tout de suite après l’agglomération, la route devient rectiligne. Je vois, au loin, la Mercedes qui flotte un peu sur la route glacée, bordée de congères… Comment qu’il y va à la manœuvre, mister Borïgm. On sent qu’il joue son va-tout.

J’ai beau appuyer, je ne lui reprends que peu de terrain. Et pourtant je suis un crack du volant, soit dit entre nous.

Quand une courbe s’amorce, le cul de sa pompe trémousse comme le fion d’une danseuse berbère. Un instant on peut croire qu’il va tirer à la ligne dans la rase cambrousse, et puis non, son carrosse se rétablit et il appuie de plus belle.

On se respire une douzaine de kilbus, ainsi. Et puis alors, il s’opère un truc plaisant. La route quitte la forêt pour s’engager sur un pont jeté sur une zone marécageuse (en été). Là, le vent du nord souffle comme un perdu. Voilà que le pavillon français est arraché de sa hampe. Il tournoie et se plaque sur le pare-brise, pile devant le nez du conducteur. Brutalement privé de visibilité, Borïgm perd le contrôle de son véhicule. La Mercedes percute le parapet fluet du pont et s’en va valdinguer dans le marécage, en contrebas. Je freine progressivement, stoppe au niveau de la brèche et déboule de ma tire en catastrophe.

Un regard suffit. Borg Borïgm a été éjecté au moment de l’impact. Sa portière s’est ouverte et s’est plantée sur lui comme un monstrueux hachoir. Il est pratiquement coupé en deux au niveau du thorax. Mort sur le coup, tu penses !

Je considère l’affreux spectacle avec hébétude. Tout ce sang mousseux sur la neige. Cette énorme auto à demi démantelée, funèbre dans la blancheur ambiante. Le drapeau français est demeuré plaqué sur le pare-brise intact.

Alors, me revient en mémoire la malédiction pesant sur les Borïgm. Ils clamsent dès qu’ils se risquent hors des frontières suédoises. Or, l’automobile d’un ambassadeur jouit, comme l’ambassade elle-même, de l’extra-territorialité puisqu’une voiture est un domicile. En roulant à son bord, Borg se trouvait en territoire français.

Tu ne trouves pas ça fantastique, toi ? Moi aussi. Faut pas rigoler avec une malédiction, mon pote ! A preuve.

Je fais demi-tour pour rejoindre mes compagnons. Borg Borïgm mort, c’est la fin de l’enquête.

Peu importe, puisqu’il n’avait plus rien à nous dire. Car je suis persuadé, moi, qu’il ne mentait pas. Qu’il ignorait bel et bien la provenance de la fameuse fiole d’Inertium. Magie noire ! Toute cette histoire ne baigne-t-elle pas dans l’occultisme ?

Je crois trouver le Vieux en plein savonnage. M’attends à ce qu’il houspille le Gros avec une sévérité très extrême.

Lui réclame sa démission.

Le menace de poursuites.

Le mette aux arrêts de vigueur.

Au lieu de cela, on dirait qu’il est en train de le sacraliser. Il l’écoute, pensivement, et on voit de l’admiration dans sa prunelle à moins dix degrés. On le devine bouleversé, le Scalpé.

A peine apparais-je, qu’il me dit :

— Alors, il paraît que c’est affreux ?

J’acquiesce.

— Coupé en deux par la portière, prétend ce cher Bérurier ?

— Oui, dis-je dans un souffle.

Le Gravos est assis dans le fauteuil qu’occupait naguère Borg Borïgm. Il a l’air tout ratatiné, tout vieux, malade. Il parle en chevrotant, un peu comme Pinuche.

— Il fallait, dit-il. C’était l’obscurcissement. La nuit. On pouvait pas en sortir. Son cerveau gênait parce que son cerveau captait pas. A présent ça s’éclaircit. Dedieu ce que ça s’éclaire bien… Y’ m’ faisait du brouillage, vot’ tocard. C’tait un médium à la graisse d’oie mécanique. Un lavedu de l’encultisme. Biscotte cézigue, je pataugeais dans la purée. Tout ce que je captais, c’était la migraine… V’là pourquoi j’ai eu besoin qu’y se taille. Sur le coup je pensais pas qu’y se buterait, j’avais seulement le désir qu’y s’en aille. A peine parti, v’là qu’un cinoche m’a démarré… J’ai vu l’accident, le pont, le drapeau envolé…

Mais attendez… Attendez… le flacon… Donnez que j’y touche. Merci, Patron… Ouais, je vois, j’aspers-je. Un vieux… Des lunettes, une barbe… Très vieux, ce vieux. Vachement savant. Y dirige un pensionnat plein de petites gonzesses choucardes. Il a des mœurs équinoxes. Se fait des jules. Du moins, il les papouille. Mais son vrai vice, c’est de ligoter des vieux bouquins. Pas des bouquins, des papelards en rouleaux, durs comme cuir. Attendez, y z’ont un nom… Ça ressemble à rhume. Des… Merde, faut que je trouve. Runes. Des runes ? Ça existe, ça, Patron ? Oui, gigot ! Des runes qu’il a trouvées dans une grotte, à Cervò, au nord du pays. Alors il se dépatouille avec ces runes de Cervó, pendant des années.

Vous verriez c’ t’ écriture bizarre. Comment qu’il arrive à comprendre, je comprends pas. Tu parles d’un charabia ! Mais il pige, le vieux, il pige… C’est rapport à un métallorite qu’est chu du ciel, y a des millions d’années… Enorme. Une vraie montagne… Verte ! Merde, vous entendez ce que je cause ? Une montagne verte ! Elle s’est plantée dans le sol, que toute la Terre en a tremblé à l’époque. Au gros machin, comment, déjà… Le Gros and lent ? Ça existe ? Vous dites, Boss ? Groenland ! D’accord. Au nord estrême du Groenland. Chplaoff ! Dedieu, c’te bouse de vache ! A l’époque y’avait des bananiers et des cocotiers, au gros and lent. Des orchites de toutes les couleurs, de la vigne. Mais ce machin qu’a chu, bordel, v’là que ç’a amené le froid. C’était du froid en poudre, si vous préféreriez. Une montagne de froid qu’a tout refroidi c’te partie du monde. Ça s’est mis à cailler, à geler. La végétation a disparu. A la place des champs de fleurs, la banquise, mes drôles. Putain, quelle calamité !

Le vieux, avec ses runes, y n’en revenait pas. Voulait pas croire. Craignait qu’on le crusse pincecorné de la touffe. Une année, profitant des vacances, il a frétillé une espédition au gros and lent. Il a retrouvé l’endroit supposé du métallurgiste tombé du ciel. Il a espliqué à des Esquimaux qu’y fallait creuser beaucoup, profond, très loin. Leur a laissé du fric, des indications. Leur a conseillé de se gaffer quand c’est qu’ils approcheraient la montagne verte enterrée. Leur a dit que sitôt qu’ils auraient découvert la découverte, faudrait lui amener dare-dare un échantillon dans la petite boutanche en plomb et nickel. Qu’autrement sinon, y aurait de la méchante » malédiction sur la tribu. Y t’nait farouche à son idée. L’était sûr de lui, ce pékin. La découvrance du siècle, et même plus : de l’univers quasiment pour dire. L’est rentré dans son pensionnat.

Des années ont écoulé. Il est mort. Dedieu, le salaud ! Borïgm qui l’a assaisonné ! Brèfle, ça n’ concerne pas la drogue, comment qu’ vous l’appelez déjà, Patron ? De l’Inertium ! Les Esquimaux ont creusé, creusé… Des années, creuse que je te creuse ! Des vraies taupes. Y z’ont trouvé la montagne. Une chiée en sont clamsés. Vous parlez d’une malédiction. Y z’ont cru conjuguer le mauvais sort en apportant l’échantillon au vieux, comme promis. Un des leurs, plus dégourdoche, s’est mis en route… L’a pris un barlu pour la Norvège, puis il s’est pointé à pince jusqu’au lac Vättern. Des semaines à arquer dans la forêt…

Bon, y déboule à l’institut, un matin. L’avait été rancardé par des bûcherons sur la mort du vieux. S’est dit qu’il fallait tout de même apporter le flacon chez lui, pisque c’était juré promis, que ça leur conjuguerait tout de même le vilain sort. Y s’est introduit par une fenêtre. A déposé la boutanche et il est reparti. Et si je vous disais que ce con-là, le lendemain, s’est fait rectifier par un train en traversant la voie ferrée ? Dedieu de fend de pute, j’y vois comme en plein jour… La montagne verte, dans la terre. Y a des travaux pour la dégager. Des gonzes, en ce moment, drôle d’équipement ! C’est plus des Esquimaux pour le coup ! Vous parlez d’un outillage. Y vois le drapeau amerlock, dessus ! Y disent qu’y font du forage pour chercher de l’essence, mais mon zob, oui ! Y récupèrent de la poudre à gel. Leur intention c’est de s’en servir pour fabriquer des frigos. Plus besoin d’électrac. D’ailleurs, c’t’ une source d’énergie, ce froid en poudre… On va en causer, dans le monde, très bientôt, sitôt que les Ricains l’auront fait breveter, qu’y z’auront la licence, l’esclusivité d’exploitation pleine et entière.