L’inspection achevée, nous passâmes au gymnase où un moniteur de chiasse donnait des cours de défécation accélérée à de nouvelles recrues. Ce merdagogue se frappait le ventre à coups retriplés, du tranchant des deux mains, tout en dansant sur place un étrange twist, suivant les préceptes du fameux merdatologue Marcel Gépé qu’on a surnommé, vous ne l’ignorez pas : le Christophe Côlon des latrines, et qui a sauvé de l’occlusion intestinale tant et tant de mangeurs de riz grâce à sa méthode malaxo-ventripotente.
Maeleström tint ensuite à nous montrer les cuisines de sa merderie. Puis la conserverie où s’affairaient des spécialistes en combinaisons brunes. Nous vîmes, peu après, le graphique de production, et, pour terminer, l’entrepôt de stockage. Ce dernier était particulièrement impressionnant avec ses armoires frigorifiques, ses bacs de retempératurisation, ses chambres à chambrer.
— Seigneur ! m’écriai-je, mais jamais vous ne parviendrez à consommer tout cela, quand bien même vous vivriez cent vingt ans !
— En effet, reconnut en souriant Maeleström, aussi mon intention est-elle de léguer ce stock au National Museum, à la condition que l’on y crée une salle Gustav Maeleström. J’y adjoindrai ma collection privée que je vous montrerai peut-être un jour et qui est dans mon coffre à la banque. Elle comprend quelques pièces extrêmement rares telles qu’un résidu de la reine d’Angleterre émis la veille de son couronnement, une diarrhée du président Nixon prélevée à l’époque du Watergate, et un pet incontrôlé de M. Ford dû aux restrictions pétrolières. Je vous passe une série d’étrons fleur de coin signés des anus les plus fameux du monde des lettres et des arts.
Il jubilait, comme tout collectionneur célébrant ses pièces rares.
Mon lecteur me pardonnera cette relation de notre visite. Elle peut paraître scabreuse à des êtres sensibles et délicats, mais je préfère céder à la vérité scrupuleuse qu’à la décence. Le monde est plein de cons qui se chargent d’être décents pour les autres parce qu’ils n’ont rien de mieux à foutre, qu’ils sont étroits de partout et principalement d’esprit, que leurs idées font la coquille d’escargot, que leur âme pue le rance et leur sexe le renfermé. Il m’arrive de buter sur des nullités que je choque et qui me protestent contre, ces larves inaboutissables. Leur indignation m’est un réjouissement. Ils me donnent, avec leurs clameurs, une sérénité que je ne trouverais pas tout seul. Et, pendant qu’ils exclament, fustigent et insurgent, je les regarde à mi-yeux, me retenant d’éjaculer sur leurs faces de carême, les trouvant beaux comme des trous sales, écoutant le bruit de leurs mesquineries qui est un bruit de merde piétinée, et élevant mon âme à Dieu pour le remercier de sa rayonnante injustice à mon égard, puisqu’il m’a permis autrement qu’eux.
Le soleil était à l’aplomb de la propriété. D’un beau rouge de jaune d’œuf opulent.
Une fois dehors, Maeleström me reprit le bras, avec cette familiarité délicate qu’ont les gens sûrs d’eux lorsqu’ils sont sûrs de vous.
— Ami commissaire, murmura-t-il, j’ai lu dans vos yeux que vous aviez révisé votre décision d’hier et que vous allez me rechercher Borg Borïgm. Me suis-je trompé ?
Au « me » près, il disait vrai. Mais je ne le chicanai pas pour deux lettres et admis qu’en effet. La pression de sa chétive dextre se fît plus forte.
— Vous aurez tout l’argent souhaitable, promit-il.
— Ce n’est pas une question financière, monsieur Maeleström. Je préfère que vous m’accordiez une aide psychologique. Je ne sais rien de l’homme qui vous intéresse. Comment, en ce cas, pourrais-je découvrir sa cachette ? Bien sûr, je puis aller à la police, me faire connaître, inventer quelque prétexte et prier mes homologues suédois de me laisser accéder au dossier ; mais vous comprenez bien que ce serait les alerter et me coller des bâtons dans les roues car, à partir de cet instant, je n’aurais plus ma pleine liberté d’action. Ma chance de succès réside dans mon côté « amateur ». Votre ami Borïgm (là, je sentis sa main frémir sur mes muscles) a su se mettre à l’abri des investigations policières. Peut-être est-il plus vulnérable en face d’un quidam étranger ? Ce qui m’est un handicap au départ, c’est-à-dire ma méconnaissance de la langue et des mœurs, peut me devenir un atout. Alors parlez-moi de lui et dites-moi tout ce que vous pouvez m’en dire.
Je parlai fermement et mes mots tombaient sous le sens (sans s’abîmer). Maeleström le reconnut.
— Allons prendre une petite collation, et nous ferons le tour du problème, proposa le scatophage.
Je refusai toute nourriture, me contentant d’un verre d’akvavit glacé.
Bérurier prit des toasts au saumon, tandis que notre hôte consommait le contenu d’un de ses chers bocaux. Je n’en préciserai pas la consistance, non plus que la couleur, afin de ne pas sombrer dans la fausse aisance. Toujours est-il que notre Suédois avait l’air de trouver la chose délectable.
Il mangeait à l’aide d’une fourchette à gâteau, avec des mines de vieille marquise peignant son persan bleu.
Bérurier, qui l’observait avec intérêt, murmura :
— A vous voir becter, on pourrait jamais se figurer que c’est de la merde, m’sieur le châtelain.
Maeleström eut une mimique radieuse.
— Mais quelle merde, mon cher monsieur ! Quelle merde !
Puis, décidé, il me dit :
— Bien, venons-en au sujet qui nous préoccupe. Ah ! mon jeune maître, votre acceptation me comble. Si je vous disais que je ne l’ai jamais mise en doute, pas plus que je ne mets en doute le résultat final. Posez-moi des questions, et je m’efforcerai d’y répondre.
Fort de ses bonnes intentions, je bus une gorgée de son horrible alcool, et attaquai :
— Avant son forfait, quel genre d’homme était Borg Borïgm ?
Il hocha la tête.
— Je l’ai si peu connu…
— Mais encore ?
— Eh bien, il donnait l’impression d’être un homme énergique et plein d’autorité.
— Marié ?
— Oui. Mais divorcé très vite. Je pense que son union ne dura pas plus de six mois.
— Des enfants ?
— Non.
— Il dirigeait un institut ; dois-je comprendre qu’initialement il était dans l’enseignement ?
— Du tout.
— Sa profession ?
— Je l’ignore.
Maeleström paraissant sincère, je n’insiste pas. Il poursuit :
— Ce garçon était, depuis son plus jeune âge, passionné de spiritisme. Il prétendait avoir des visions. Il devint très lié avec le précédent directeur de l’institut Bhézodröm après un long échange de correspondance. Le bonhomme en question était un vieillard maladif qui mourut sans héritiers, léguant son pensionnat à Borïgm.
— Ensuite ?
— Ensuite, Borg Borïgm géra cet institut en homme très avisé. L’établissement prit un nouvel essor. Il serait probablement devenu un internat de jeunes filles aussi réputé que le collège de Bouffémont ou que le pensionnat des Oiseaux chez vous si son propriétaire n’avait perdu la tête…
Il se tait. Emet un « hmmmm » d’intense gourmandise comblée, et continue de piocher en silence dans son assiette.
— Monsieur Mal-à-l’estom’, l’interpelle Béru, v’ verriez-t-il un inconvénient à ce que je goûtassasse vot’ rata ? Vous prenez un tel panard en le bouffant que j’ me pose des questions.
— Mais au contraire ! Faites, mon bon, faites, faites ! empresse Maeleström, ravi à la perspective d’une possible conversion.