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Sont-ils assez cons tous ces pantes ! I’trouvent que l’art est emmerdante. Moi j’l’aime, j’en suis fier, et j’m’en vante. J’l’aime comme un cul aime son étron.

Tout cela se chante sur la scène du Chat noir. On se tient les côtes. C’est graveleux. Lorsque Richepin écrit La Chanson des gueux, on le surnomme le Villon de la natchiche. Un peu french-concon sur les bords, le bellâtre signe des poèmes intitulés Au pays du largonji. Mais comme dira Céline, il lui manque l’émotion. C’est entendu, on se fend le moutardier, on se colle au pucier, on bouffe de la mousse, mais pour l’illusion divine, le grand tremblement nervalien, balpeau. Il faut le savoir, tous les taquins de la muse ont donné dans la mystique du mille-feuille. Rimbaud a joué des agobilles, Verlaine a titillé le barbu, Apollinaire a dénombré onze mille verges. Richepin, lui, se limite à la turlupinade. En dépit de ses calots de mec au gratin et de sa manière métaphysique de se camoufler en pélican (se déguiser en paysan), il attige (il exagère). Bref, une chouille (un peu) de tirebouchon, de bol, de pipe, de poire, pourquoi pas. Mais pour le transcendantal, on biffe.

La vie suit son cours, même avec nib dans le cabas, il y a le persil pour nourrir sa dabuche, ils y vont tous, c’est la mode, la chanson du paveton, rien à voir avec les gargouillis d’aujourd’hui, rap des villes, rap des champs, pas de ça ma gigolette, on reprend les refrains, vieux fiasses, en avant argotiers ! Eh oui culs bleus, c’est la romance, la guinche et la claque ! De 1875 à 1914, le naturalisme est servi nature. On croise Zola, Barbey d’Aurevilly, Courteline, Coppée. Les gonzes qui se délectent dans le puant, l’ignoble, le sordide, en prennent plein les mirettes. Les chtars tombent dru. Le théâtre bat son plein, les bouquins également. On parle de Méténier et de son En famille, qui n’a rien à voir, on s’en doute, avec le larmoyant Hector Malot. Il publie même des Études d’argot. Côté planches, on recense la Mère Paradis, du raisiné, des cognes, de la viande, des poteaux, des balances. Quelques lardus jouent de la plume sergent-major. Ne sont-ils pas aux premières loges de la voyouterie ? Rossignol, surnommé Cuicui, signe la chanson du marlou :

Enfin te v’là, petite salope ! Tu m’fais poireauter d’puis minuit ! Rouspète pas, va, sinon t’écopes… Tu viens vadrouiller, sale outil !

Il est à noter que beaucoup de chansons tournent autour de la misère, du hareng de salade, des fleurs de trottoir. C’est le sujet de prédilection. On a même les « Plaintes d’un souteneur ». Un mac se lamente, parce qu’on lui a secoué sa garce, le pauvre. Moralité, il est bon pour le clou.

Loin des pleurnicheries, Jehan Rictus poétise. Il chante les monte-en-l’air, « voui, tas de truffes, t’entends coquine, emmanché, fiotte, hé, apprenti ! Hé, gâte-métier ! Dans le genre pégriot qui attend sa casserole, bon Dieu ! y a du trèpe en bas. » Dans Les Soliloques du pauvre, c’est presque du Baudelaire :

Vous savez bien, la Grande en Noir, Qui tranch’ les tronch’s par ribambelles Et, dans les tas les plus rebelles, Envoye son tranchoir en coup d’aile Pour fair’ du Silence et du Soir.

Émile Pouget enquille le chant de révolte, 1er mai et églises de tolérance, avec moult engueulades, amendes, sainte chierie de contrecoups, « oh, nom de Dieu, les maudits gardes-chiourmes ! C’est la mélodie et le tumulte, l’éclat et la taule. »

Rémy Broustaille, amateur de boustifaille, se fait une jolie place au festin des chansonniers. Sa « petite sœur a mal tourné » et c’est au guinche qu’il se fait les crocs :

E’m’dit : « J’suis chipée par ton gniasse, Mon petit bichon Mais faudra pas avoir la chiasse D’un coup d’torchon… »

Dans Les Poésies de Bec de Gaz (1890), il éclaire notre lanterne :

Dans l’métier c’qu’on est malheureux Comm’ goss si j’avais une pisseuse Parol’ j’en f’rais un’ religieuse.

On prise également les lieux (d’aisance) tels le Sébasto, Saint-Lazare, la rue de Provence. Mais ce qui revient en priorité, c’est l’artiche, le prose, le vase. Bref, la fesse, comme dans « La Putain consciencieuse » ou « La Pierreuse » :

Je taille une plume pour un écu, Il faut savoir jouer du cul, Avec des marlous d’bas étage, Je fais des noces à tout casser, Et c’qui m’épate, c’est qu’à mon âge, Je puisse encore les faire bander.

Dans des styles divers, il y aura aussi Moréas, Mérall, Gasta, Mac-Nab. On s’épuise en sentiments, en métaphores du pavé. Tous ces chansonniers crèvent la dalle. Drame, réalisme, julot casse-croûte, prostituée au grand cœur : c’est mitraille courante. Macbeth, Roméo, Juliette, Carmen, Don José et Escamillo sont de bonnes sources d’inspiration. Figue ou mandarine, c’est le même ressort. Et ce sens exacerbé du faubourg et de la pommade (misère), entre purée et bagouse, il faut bien en convenir, ça sourd du beau, du grand, de l’incomparable Aristide Bruant.

D’abord, l’allure. Le rouge et le noir, style Stendhal. Un célèbre tableau de Toulouse-Lautrec. On suppute la goualante, les gueulantes. Et puis, la tenue. Grand sombrero noir, cape assortie, froc pareil, écharpe rouge, gilet à revers, bottes montantes, liquette amarante, canne énorme. Une tête de chouan. Cadoudal à Montmartre. Bruant est le pape de la chanson réaliste. Un piaf à l’envergure de condor. Édith, justement, s’inspirera de lui. Il est l’homme du texte, le Céline de la chanson, le Huysmans de la langue verte. Et aussi l’inventeur de la chanson contestataire :

Mais notre règne arrivera Quand votre règne finira Nous tisserons le linceul du vieux monde Car on entend déjà la révolte qui gronde…

Aristide Louis Armand Bruant est issu d’une famille bourgeoise qui avait du foin dans les bottes. Le petit Aristide apprend le latin au lycée impérial de Sens, collectionne les premiers prix, séduit les curés, écrit des vers et compose des chansons. Puis, patatras ! c’est le revers de fortune. L’énorme coup de bambou. Déménagement. Direction la capitale. Pour oublier son malheur, le père d’Aristide se graisse un peu trop le toboggan. Quand il n’a pas un coup derrière les carreaux, il morigène son gniard. Un jour, il le conduit chez un avoué. Au taf, rigolboche ! Voilà Aristide saute-ruisseau. C’est presque Mort à crédit. Aristide bosse chez un bijoutier, d’abord apprenti, ensuite ouvrier. Il a quinze ans. Cette fois, c’est sûr, sa famille est dans la dèche. Le père n’est-il pas traqué par les huissiers ? Si l’on boude le mastic (ne pas manger à sa faim), c’est par la force des choses. La meilleure preuve, c’est qu’on morgane au lance-pierres. Pour la peine, Aristide, en suivant ses parents, fréquente les restaus pour démunis, les rades de pue-la-sueur, de miséreux, de révoltés, de filles faciles, de mauvais garçons. Et là, c’est le déclic. Son jargon est tout trouvé. Le petit latiniste qui avait été premier prix de latin et de grec sera un cador de l’argot.