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Le rustique Marc Stéphane, charmant et poissard, également auteur de L’Épopée camisarde et de Contes ingénus, avait du soleil dans la plume. Mais son succès (c’était chez Grasset en 1928) reste Ceux du trimard, où l’on suit les pérégrinations de Batiss’ (Baptiste), un vieux trimardeur au langage haché, parfois incompréhensible, qui nous entraîne dans sa quête de Graal clochardisante. On ne saisit pas toujours les sucs, attendu que ça renifle parfois l’antiquité, limite amphigourique. Exemple :

Mi, cuidant bonnement qu’il voulait en griller une, de li tend’ une boîte naturlich, vu que c’est des services qui se refusent point sur le trimard.

Ou encore :

Depuis que Monsieur habite un cabouin à lui, bref, depuis que Monsieur est propriétaire et son propre vautour (logement), et qu’il a pus de paille au cul, il daigne pus frayer avec ceux du trimard.

Ou encore, avec un brin de fantaisie érotique :

Mais en vérité vraie, elle allait sur le dos comme pas une, et s’y réveillait tellement chaude et tellement vicieuse qu’on était quasiment forcé d’en avoir le tricotin (être en érection).

Fondateur du Crapouillot et auteur du Dictionnaire historique, étymologique et anecdotique d’argot[17] en collaboration avec Pierre Devaux, signataire bien caleçonné des Dieux verts, où l’Olympe s’exprime en argot, Galtier-Boissière est un hercule du stylographe (« Tonnerre de merdouille ! » comme dirait Héraclès). Il a signé plusieurs ouvrages, dont des essais historiques, des souvenirs (comme l’excellent et trépidant Mon journal pendant l’Occupation), des romans (La Bonne Vie, La Vie de garçon, La Belle Amour), et Tradition de la trahison chez les maréchaux, un petit bouquin teigneux qui vous déride le cinoquet en même temps que le discernement, pas vraiment aimable pour Marmont, Bernadotte, Bordessoule, Bourmont, La Fayette, Pichegru, Dumouriez, Grouchy, Moreau, Pétain…

Dans La Bonne Vie, on suit les pérégrinations de quelques femmes promises à la débauche, flanquées de harengs pas toujours aimables (Jo, Petit-Louis, Gras du Genou), évoluant des Halles aux guinguettes de Nogent, des Bat-d’Af (Joyeux, fais ton fourbi !) à la Foire du Trône, réglant les blèmes à coup de boule ou de 7.65. On cultive donc les mœurs du mitan. Et quand ça s’exprime, c’est du muscat pure araignée, fragrance échalotes. Extrait :

Une livre, gy (d’accord) ! répondit Petit-Louis, viens te mettre la viande dans les bannes, comme on dit aux abattoirs.

Et quand Gras du Genou parle des femmes, c’est du Ronsard, du Pontus de Thiard, du Rémi Belleau :

Voyons, tu sais bien que la frangine à Louis, la Nénette, est chipée pour ta pomme. C’est une femme un peu dingo, soit, mais travailleuse, un bon bifteck. Elle est au « 38 », comme ma femme, je suis bien placé pour en causer. La Nénette, c’est un placement de père de famille, j’te dis ! Avec elle, t’as la croûte et la dorme !

Dans La Vie de garçon, dédiée à Jean Cocteau, il est question de « nazi ». Il ne s’agit évidemment pas du parti de « tonton Adolf », comme disait ADG, mais d’un truc nazebroque, style chtouille, indiscutablement pourrave. Le narrateur flirte avec une dame de petite vertu qui, sans jeu de mot, s’ouvre à lui. Elle se confesse sur l’oreiller et évoque Tatave de Saint-Denis, alias « Crâne de limace », ce qui nous rappelle que le langage argotique s’accompagne très souvent de surnoms, de diminutifs et de sobriquets :

Au Tatave, sa botte de Nevers, c’est le « plectusse solaire », comme il disait. Il a éteint sa bougie quarante-huit heures plus tard, une méningite spirale qui y avait travaillé les sangs. Il se croyait ratichon, c’est marrant : il disait la messe dans son lit.

Il ne faut pas l’oublier, l’époque est au merlan et à la péripatéticienne. La langue des faubourgs est reine. Quand Maurice Chevalier demande : « Et puis quoi ? », cela devient : « Et pis quoi ? » Jean Gabin sera l’incarnation de ce romantique prolo. Sur le tard, bourré de tics et d’agacements, il interprètera avec talent et naturel les patriarches argotiers et populos, affranchis pur sucre, qui « jactera de cette façon » (déjà dans Quai des brumes), un peu comme Marc Stéphane : « Hé ben, t’en fais pas, qu’y fait : y en aura pas. Et pis t’as raison : buter le bestiau sur les grands chemins, ça la fout mal. » En somme, un panaché d’argot, de familiarités et de langage populaire. Mistinguett, de 1920 à 1925, ne chante-t-elle pas avec son inimitable accent parigot et sa voix pincharde :

Je l’ai tellement dans la peau Qu’j’en d’viens marteau. Dès qu’il approche, c’est fini Je suis à lui… ?

Le très sérieux Édouard Bourdet, homme de théâtre malin et auteur dramatique qui, après quelques grands succès populaires, finira par être administrateur général de la Comédie-Française avec le concours de Jacques Copeau, Charles Dullin et Louis Jouvet, a écrit, épaulé par Fernand Trignol, un malfrat authentique, auteur de Pantruche, ou les mémoires d’un truand, l’énigmatique Fric-Frac. On sent là toute la fascination qu’exerce le monde des mauvais garçons et de leur langage sur le bourgeois bohème, un tantinet caveton, ancêtre du bobo, aussi bien par ses choix, ses mœurs, que par son style de vie tenant du fantasque et de l’anticonformisme. « Je rêve de frayer avec les durs, les tatoués, les fleurs de trottoir, c’est le grand frisson, mais je suis bien joice de rentrer chez papa et maman, ou chez moi, dans mon trois pièces choucard, donnant sur un petit jardinet tout ce qu’il y a de plus reposant », écrivait un certain Jacques Dyssord, né Édouard Jacques Moreau de Bellaing, fin de race et frelaté, mais joyeusement iconoclaste, auteur de Fin de Babylone et L’amour tel qu’on le parle, deux joyaux lexicographiques blackboulés dans les limbes de l’oubli collectif. C’était aussi le fantasme de M. Bill, un nabot, un avorton, un garçon de bonne famille qui avait trop lu de polars et qui, à la suite de meurtres odieux, finira sur l’échafaud…

Quoi qu’il en soit, tout le monde se rappelle le film de Maurice Lehmann et de Claude Autant-Lara, où l’intrigue, aussi épaisse qu’un papier Job, sublimait l’impérissable prestation d’un trio unique : Arletty-Michel Simon-Fernandel. C’était assez niais, mais sur fond de Vel’ d’Hiv et de démangés du dérailleur, on montait en danseuse avec Loulou, une jolie fille à l’accent faubourien, et Jo, un copain de son homme, qui se refaisait la cerise à la Santé. Certains dialogues pétaradaient, surtout en évoquant Marcel, le béguin de Loulou. Extrait :

Jo : Que tu pouvais être mordue pour un gonze com’ çui là ! J’peux pas en dire du mal mais vrai, entre nous, il est pas fortiche ! Comme moule à gaufre, il se pose un peu là !… Ah ! quelle fleur de nave, mes amis !

Loulou : T’as fini ?

Jo : Si encore il était beau mec, j’comprendrais. Mais pour c’qui est d’la frime, il est plutôt tarte !

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17

Le Crapouillot, 1939.