Plus tard je le gaffe devant la laregam Laintsoin Lazarelouille avec un lypetogue dans son leuregome qui lui donnait des lonseilscons à propos d’un loutonbé.
Traduction : « Plus tard je le remarque devant la gare Saint-Lazare avec un type dans son genre qui lui donnait des conseils à propos d’un bouton. »
Le nom fait très corse, règlement de compte à Bonifacio, loi du milieu et Méditerranée, aux mille calibres enchantés. Erreur. La saccagne (couteau) et le riboustin (pistolet) n’étaient pas forcément les hochets et les tututes du petit Victor-Marie Lepage, bientôt préfet sous le régime de Vichy, homme de bonne famille, à l’aise dans ses brodequins sur mesure, parlant un langage très châtié, digne de la comtesse de Ségur. Interné illico à la Libération pour quelques années, Victor-Marie (qui a déjà pris le pseudonyme de Maurice Raphaël pour écrire des fadaises politiques et classiques), fréquente en prison des marlous, des gestapistes, toute la fine fleur des pois (pas toujours chiches) de la malfaisance. C’est quand même l’époque de Pierre Loutrel (Pierrot le Fou), Jo Attia, Georges Boucheseiche, Le Mamouth, Bonny et Lafont (les chefs de la Carlingue), bref, de toute une voyouterie sans foi ni loi, qui tuerait père et mère pour deux ronds six sous. Le préfet vichyssois (sacrée soupe !) choisit le nom d’Ange Bastiani. En 1954, il écrit même un roman policier, dont le titre coloré (Arrête ton char, Ben-Hur !) sera la réplique fatale des moujingues dans les cours de récréation.
Bastiani, qui n’a rien d’un ange, se démène tel un démon. Dans L’Overdose, pour féliciter une partenaire de sa bonne aptitude au coït anal, il fait dire à son héros : « Dis pas que ça t’a pas plu, je t’ai sentie et on t’a entendue. T’es encore meilleure du petit que du crac. » Il évoque aussi les voitures : « Tu en verras souvent des chiottes comme elles. Souple, stable, silencieuse, avec des accélérations impeccables, un freinage comme ça… » Dans Chauffe ! Charlie ! Chauffe !, il est question de musique : « En attendant, remonte travailler ton biniou, Charlie, la musique en conserve (disque) m’ennuie les rotules. »
Bastiani bâtit des histoires, des vraies, des marrantes, et joue à pigeon vole avec le langage argotique. Il a été envoûté par ces mots et ces expressions entendus en prison. Tellement envoûté, à l’instar de Pierre Devaux, qu’il fait un peu trop étalage de son nouveau savoir. Il se complaît dans l’appellation des métiers, des parties de l’anatomie, des boissons : rouille de brut (champagne), sirop de parapluie (eau), mazout (vin), rince-cochon (vin blanc et limonade), fond de culotte (suze-cassis), antigel (alcool), camphre (eau-de-vie), marie salope (vodka tomate), cognebi (cognac), etc. Ce petit défaut effacé, il n’en reste pas moins que Bastiani va quand même signer Le Pain des jules[19], dix-sept ans avant sa mort. Il s’agit d’un roman policier à la française, calibré au poil près, une « Série Noire » qui se déroule dans le milieu toulonnais, avec un caïd, une fille de joie un peu triste, un certain Pascal l’Élégant (comme dans Simonin), une petite frappe, des tueurs légèrement chtarbés, et la maison Bourreman (la police). C’est bien ficelé, ça va vite, et l’argot de Bastiani, pas du tout obsolète, a la précision d’un.38. Dans le toutime et la mèche (tout ce qu’on peut imaginer), et dans la continuité de ce Pain des jules, il y aura Caltez volaille, Madame Lucifer vous fait un bras d’honneur, Polka dans un champ de tir, En chair et en os. Rien que des titres destinés aux étudiants de troisième année de psychologie ! Entre la gripette (sexe féminin) et le cigare à moustaches (sexe masculin), ça fuse : « Vous étiez plates comme des limandes, et vous vous êtes retrouvées avec des pamplemousses comaco en devanture. »
Il faut bien le dire, dans cet argot du XXe siècle, le sexe, une fois de plus, tient une place prépondérante. Tout se règle à la description, à grand renfort d’images, de comparaisons oiseuses et de métaphores osées. C’est à celui qui en fera le plus. Une façon de retrouver le Moyen Âge, les jacqueries et les bonheurs impies, la paillardise des seigneurs et des moines de jadis.
René Fallet, né en 1927, c’est le copain d’abord. Proche de Brassens, anarchiste de comptoir, dingue de cyclisme et admirateur de Kléber Haedens, il fait une entrée remarquable et remarquée en littérature avec Banlieue Sud-Est. Prolo chic à voix de rogomme, il s’inscrit dans la veine célinienne. Le populiste (qui a obtenu le prix du même nom) a deux veines : une beaujolais, une autre whisky. On s’en souvient, l’éloge du gros rouge et du perniflard avait son bouchon à dire dans Le beaujolais nouveau est arrivé. Côté whisky, amour et mouquère, ce fut le très charnel et touchant Comment fais-tu l’amour Cerise ?.
René Fallet est un affectif. Il lui faut l’amitié des copains, la jeune fille pure et une multitude de boutanches au zinc. Aussi biturin que Blondin (qui disait de lui : « Il a la discrétion du cor de chasse »), il a parfois versé dans le populacier et le mauvais goût comme La Soupe aux choux, gros navet pétaradant et farci de flatulences qui devint même un nanar stupide avec Louis de Funès et Jacques Villeret.
Dans Banlieue Sud-Est comme dans Souris et Pigalle, on pratique un argot à l’aise dans les tartines (chaussures). C’est direct, séduisant, luxuriant. Avant le franglais, Fallet parsème un peu d’anglais. Extrait :
Il y avait des ptites Suze à se rouler par terre. Et c’est là que le drame commence. Je vois passer dehors une wonderful souris blonde. Bandante ! que je me dis. Je douille et bolide dans la rue. Je retrouve la fille et prends sa roue. Elle était roulée comme pas deux et respirait le paradis par tous les pores. Je me dis : « Merde, mon petit Jo, il faut t’envoyer cette entrecôte impériale. » Je me mets à sa hauteur et commence à la baratiner sur la pluie et le beau temps.