Выбрать главу

L’ami de Robert Hossein, du R. P. Brückberger et d’Albert Cohen, Suisse d’adoption, puisqu’il était installé à Gstaad dans le monde des rupins, n’avait pas des sugus dans les oreilles. On veut dire qu’il était à l’écoute. C’était un généreux. Si l’on jette un coup d’œil aux alentours dans notre monde littéraire, à part Vautrin et quelques rares nostalgiques d’Audiard, de Boudard, de Le Breton, les artificiers de la langue se comptent sur les cinq doigts du pied, pour la simple et bonne raison qu’ils écrivent comme cette partie inférieure articulées à l’extrémité de la jambe. Tenez-vous bien, le commissaire San-Antonio a connu cent soixante-quinze aventures sous l’étendard du Fleuve Noir. Dard était un fidèle, un Balzac poilu et poilant, somme toute sceptique qui, entre la Loire et l’ouvrage, déclarait : « Toutes les princesses de rêve finissent avec la bouille de madame pipi. » Dans sa comédie inhumaine, on dénombre deux cent quatre-vingt-huit romans, vingt pièces de théâtres et des œuvrettes écrites sous les pseudonymes de Max Beeting, de Frédéric Charles, de Kill Him, de Kaput, de Cornel Milk. Une telle manne tient autant de la corne que de l’abondance. Rien de commun avec nos écrivaillons ectoplasmiques contemporains, secs comme des coups de trique, couilles au corps, aussi voluptueux que des lombrics sur le point d’enfiler des porte-jarretelles. Goujon rubicond et coruscant, l’homme qui s’inscrivait dans une grande tradition de la chanson de tous les gestes frétillait dans les cours d’eau du polar. Ce Simenon de la langue multicolore avait du chou et de la fleur. L’argotier n’ergotait pas. Il suffit de l’écouter. « La ruée vers l’or ? Une partie de touche-pépites. » « Le mariage est soit une corne d’abondance, soit une abondance de cornes. » Ou encore : « J’enfile des pages et des pages avec la frénésie d’Henri III. »

Dard avait du brio, du panache. Tout ce qui manque à notre civilisation aussi chlorotique que chaotique. Dans la lignée de Raymond Queneau, il dynamisait la prose en filochant la syntaxe et en réinventant la ribouldingue, ce qui fait une moyenne avec ces « ramollots qui font Kafka dans leur culotte ». San-Antonio ne disait pas « faire d’une pièce deux coups », mais « fier d’une paire de couilles ». Vous allez me dire que c’est sérieusement orienté, mais aux jeunes générations qui s’abrutissent au mail de pays et au SMS, on conseille la lecture de San-Antonio. Pas les films, car au cinéma, que ce soit avec Gérard Barray ou Gérard Lanvin dans le rôle de San-Antonio, et Jean Richard ou Gérard Depardieu dans celui de Béru, ç’a toujours été un flop. Saucisson à l’ail et morves aux pieds. Calamiteux. Mais loin des petits marquis germanopratins qui accouchent de crottes de nez en croyant avoir le Freud sacré, on recommande Fleur de nave vinaigrette (1962) ou Tarte aux poils sur commande (1989). Ami lecteur, renifle un peu ce zef, c’est salvateur !

Michel Audiard

Le titi et l’argot, c’est comme Roux et Combaluzier, Lagarde et Michard, Alka et Seltzer, c’est inséparable. Michel Audiard était un titi. Le petit mec râleur, gueulard, insolent, grossier, accent parigot, coiffé d’une bâche, qui a connu tous les métiers, toutes les misères, saute-ruisseau ou traîne-savate, ingérable ou mal géré, tantôt coco, tantôt facho, toujours affreux jojo. Donc, réac. Disons plutôt réactionnaire au sens étymologique du mot. C’est-à-dire le type normalement constitué qui réagit lorsqu’on lui flanque un coup de pied au coup. En chimie, c’est le cas dès qu’on met deux corps étrangers en présence. On se met alors à calculer l’ordre ou le désordre. C’est soit l’enthalpie, soit l’entropie. Quoi qu’il en soit, cela n’a rien à voir avec ces foies jaunes qui restent scotchés à leur terrine, étrangers à toute réaction, de peur de choquer ou de se mettre à dos le PC. Audiard n’aimait pas le PC. On parle évidemment du Politiquement Correct, de tout ce qui ne sort jamais des ornières, de la horde gélatineuse et bien pensante qui ne sait pas dire non et qui se tire plus vite que son ombre dès que le pavillon noir se met à flotter sur la marmite.

Si « un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche », on ignore toutefois où est passé Michel Audiard. Aux dernières nouvelles, il aurait pris un taxi pour Tobrouk, tout ça pour cent mille dollars au soleil, dégauchissant la bonne gâche dont il rêvait depuis une paye. Audiard ? La gouaille, bien sûr. Un dialoguiste hors pair. Mais aussi un écrivain. On vous rappelle quelques titres : Priez pour elle (Fleuve Noir), Méfiez-vous des blondes (Fleuve Noir), Massacre en dentelles (Fleuve Noir), Ne nous fâchons pas (Plon), Le Terminus des prétentieux (Plon), Mon petit livre rouge (Presses Pocket), Vive la France (Julliard), Le Petit Cheval de retour (Julliard), Répète un peu ce que tu viens de dire (Julliard), et un livre incandescent : La nuit, le jour et toutes les autres nuits (Denoël).

Comme l’indique Dominique Chabrol dans une biographie simplement intitulée Audiard[31], le râleur cynique et caustique de la pellicule, argoteur pur caouas, roi du box office, était certes « un fouteur de verbe régnant sur le petit monde du cinéma français, mais également un fou de littérature qui avait lu Proust, Céline, Aragon, Rimbaud, Marcel Aymé ». Cela fait une moyenne avec les décérébrés d’aujourd’hui qui ne jurent que par le Net, le virtuel, Cauet, le Macdo et les épisodes de Louis la Brocante. Audiard était à lui seul une langue vivante. Une méthode Assimil assimilable, le zinc et le radis beurre, tout le populo. « Un phrasé lumineusement populaire, rappelle encore Dominique Chabrol, une syntaxe patiemment refondue, un mélange de dérision, d’impertinence et de cette philosophie de comptoir qu’il débusquait dans les bistrots de quartier. Il était l’aîné de la trinité Audiard-Boudard-Dard, l’ABC de la langue verte, qui avec des noms pareils firent dare-dare de l’argot un art. »

Mais le titi avait des ennemis. L’enfant du bon Dieu un peu canard sauvage qui faisait dire à l’irremplaçable Bernard Blier à propos de Françoise Rosay : « Messieurs, si je vous ai arraché à vos pokers et à vos télés, c’est qu’on est au bord de l’abîme. La maladie revient sur les poules. Et si j’étais pas sûr de renverser la vapeur, je vous dirai de sauter dans vos autos et de filer comme en 40. Le tocsin va sonner dans Montmartre, il y a le choléra qui est de retour, la peste qui revient sur le monde, Carabosse a quitté ses zoziaux, bref, Léontine se repointe… », eh bien, cet enfant du bon Dieu fut diabolisé pendant une longue période de son activité. Dialoguiste des Tontons flingueurs, du Cave se rebiffe, d’Un singe en hiver, de La Métamorphose des cloportes, du Professionnel, du Marginal, des Morfalous (quand Marie Laforêt voit son mari se faire électrocuter en urinant sur des câbles, elle dit à Jean-Paul Belmondo : « C’est la première fois qu’il fait des étincelles avec sa bite ! »), il fut aussi celui de Garce à vue et de On ne meurt que deux fois. Il avait plusieurs arcs dans ses cordes. Si l’homme de la proximité n’aimait guère la promiscuité, sa verve et son argot avaient grandi sur le macadam. Faiseur de bons mots, pistolero sarcastique aux répliques multispires, réalisateur de sept films qui n’ont rien d’impérissable, il déclenchait la ire de certains intellos de gauche, de la presse de gauche, de la bourgeoisie de gauche. En fin de parcours, il a eu beau collaborer au Matin de Paris, journal de gauche, Audiard était trop gauche pour être malhonnête.

вернуться

31

Flammarion, 2001.