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François interjette appel. Les arcanes du sérail sont familiers à ce fils adoptif d’un professeur de droit. Contre toute attente, l’arrêt est cassé par le Parlement. La condamnation à mort est commuée en dix piges de trique, soit dix ans d’interdiction de séjour. Soulagement pour François. Il trépigne. Mais il ne faut pas pousser le bouchon trop loin. Terminée, la rigolade. On lui enjoint l’ordre d’allonger les compas — et séance tenante ! Il faut faire chibi, François. Oui, se tailler. Tu es tricard. Nous sommes en 1463.

Après cette date, l’artiste s’évapore. En 1489, un pionnier de la nouvelle imprimerie, un certain Levet, publie Le Grand Testament Villon et le Petit, ainsi que Le Jargon et ses onze ballades, parmi lesquels se distinguent les lais, pas vraiment beaux. On a beau dire, mais l’œuvre du grand poète — et fameux gredin — est parfois inégale. Certains ont même parlé de médiocrité pour certaines ballades, attendu que cela ne valait pas le coup d’en faire tout un plat. Disons que le mystère séduit les sots, surtout quand c’est incompréhensible. Mais Villon est un précurseur. Il a pour lui le charme de la nouveauté. On découvre un personnage rhétoriqueur et raffiné, poète sensuel et pessimiste, vrai pendu d’une ballade sans fin, un mystique de la trivialité et un trivial du mysticisme.

Voilà l’héritage. Après le bannissement de Villon, plus aucune trace de lui. Allô, François ? Abonné absent. On ne le retrouvera que dans Rabelais, au chapitre XII du Quart Livre. Prière de s’y reporter.

Dans ce XVe siècle français qui ignore Antonello, Bellini, Mantegna et Piero della Francesca en Italie, où Louis XI cherche à se colleter avec le Téméraire, où des trognes telles que Caboche l’Écorcheur, Capeluche le Bourreau et le Loup sans queue font la loi dans les campagnes, où Gilles de Rais a zigouillé des centaines d’enfants après son glorieux parcours auprès de Jeanne d’Arc, on se dit qu’il vaut mieux ne pas mettre le nez dehors et se coltiner des travaux d’intérieur, style Aubusson, une Dame à la licorne en loucedoc. Et puis la poésie. C’est le truc de François Villon. Raconter des ballades équivoques, rétrogrades, léonines, à la poursuite d’un diamant vert qui pourrait être la grâce. Villon a laissé trois mille vers. Le contenu d’un coffret. On suppute l’influence biblique, Ovide, et puis Froissart, Guillaume de Machaut, Deschamps, les écrivassiers du Moyen Âge, poètes et conteurs, gros producteurs de lais. D’un château l’autre, Villon pourrait être souteneur, meurtrier, fils de ratichon (le chanoine de Saint-Benoît ?), professeur de rhétorique, tringleur de la petite Macé, jouisseur de la grosse Margot, des roses plein les vers, à moins que ce ne soit des vers plein les roses.

Mais l’amour pour Villon est secondaire. À l’instar de Rutebeuf, il se fiche de ce sentiment transcendé par Chrétien de Troyes. Il colle à la perfection avec cet âge parfois moyen qui, à partir de la fondation des ordres mendiants, considère la pauvreté comme la vertu essentielle. Pauvre, il l’est. Mais il faut bien se sustenter. Alors il pique, il choure, il fauche, il emplâtre, il étouffe, il barbote, il engourdit. Deo gratias ! Le larron est un flagellé flagellant, le tonton de Baudelaire, le cousin de Rimbaud. Vive les mistoufles ! L’envers vaut l’endroit, in saecula saeculorum. On alexandrine à l’aise dans les poulaines, la dague en pogne. La légèreté des octosyllabes villonniennes s’apparente, paraît-il, à une source d’eau claire. Même si l’on n’y pige que tchi, le langage des fées et des rues surgit telle une négligence de funambule. C’est du ballet, de la pointe, de l’entrechat. Un Jésus la Caille qui bondit entre les cottes du roi René, le lingue de Courtault la Teigne et les nénés de Denise. Ce frère de corde est ficelle. La mouise est son frichti. Voici un exemple d’une ballade (la II) en jargon :

Coquillars enarvans a Ruel Men ys vous chante que gardés Que n’y laissez et corps et pel, Qu’on fist de Collin l’Escailler (Colin le porteur de coquilles) Devant la roë (justice) babiller (parler). Il babigna pour son salut, Pas ne sçavoit oingnons peiler, Dont l’amboureux (bourreau) luy rompt le suc (cou).
Changés et andossés souvent, Et tirés vous tout droit au temple, Et eschequés tost, en brouant, Qu’en la jarte (robe) ne soiez emple. Montigny y fut, par exemple, Bien attaché au halle grup (potence), Dont l’amboureux luy rompt le suc.
Gailleurs, fatiz en piperie, Pour ruer les ninars au loing A l’asault tost, sans suerie ! Que les mignons ne soient au gaing (vol) Farciz d’ung plumbis a coing Qui griffe au gard le duc, Et de la dure si tres loing, Dont l’amboureux luy rompt le suc.

Pour les ceusses qui entravent que couic, ils n’ont qu’à chanter dans le registre Vanderlove, et la musique comme le miel du Cantique des cantiques coulera, les rimes et le toutime. Le vieux françois, ça tient la route. Dans la traduction faite par le regretté Pierre Guiraud (auteur d’un épatant Dictionnaire érotique en argot[1]), qui pensait que les ballades s’adressaient exclusivement aux coquillards, aux tricheurs et aux homosexuels de la Coquille, voilà ce que ça donnait :

Coquillards qui donnez dans le meurtre Je vous dis de prendre garde Que vous n’y laissiez corps et peau. C’est ainsi que Colin l’Écailleur Fut amené à répondre à la question. Il raconta des bobards pour se sauver. Il ne savait pas dorer la pilule. À la fin, le bourreau lui rompt la nuque.
Donnez le change, tournez les talons sur le champ Et gagnez tout droit la colline. Décampez, en vitesse, au galop, De peur de vous retrouver la gorge pleine d’eau. C’est ainsi que Montigny, pris, Y fut bien attaché au chevalet, Et Dieu sait s’il y avala le bouillon ! À la fin, le bourreau lui rompt la nuque.
Maîtres, experts en piperie Pour allonger les coups, Gagnez la sortie en vitesse ! Pas de sang, De peur que les compagnons ne soient, au gosier, Garnis d’une corde, ainsi qu’un fil à plomb Qui saisit le niais à la gorge Et l’envoie dans les airs, loin de la terre. À la fin, le bourreau lui rompt la nuque.

Dans la transcription argotique du docteur Leuret, que cite l’inimitable et le regretté Jacques Cellard dans l’Anthologie de la littérature argotique[2] à propos d’un ouvrage du non moins inimitable Galtier-Boissière, cela devient :

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1

Payot, 1978 ; 2006.

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2

Mazarine, 1985.