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— Non mais, t’as déjà vu ça ? En pleine paix ? Il chante, et pis crac ! un bourre-pif. Non mais, il est complètement fou ce mec ! Mais moi, les dingues, je les soigne ! J’m’en vais lui faire une ordonnance, et une sévère ! J’vais lui montrer qui c’est Raoul ! Aux quatre coins d’Paris qu’on va l’retrouver éparpillé par petits bouts façon puzzle ! Moi, quand on m’en fait trop, j’correctionne plus, j’dynamite ! J’disperse ! J’ventile !

Nouvelle rigolade. Auparavant, Jean Lefebvre, avec sa tête de faux-jeton, avait prévenu Lino Ventura :

— Écoute, on t’connaît pas, mais laisse nous t’dire que tu t’prépares des nuits blanches, des migraines, des nervous breakdown, comme on dit de nos jours.

Vu son format, et vu celui de Ventura, on se dit qu’il n’a pas tenu compte de l’histoire racontée par Jean-Paul Belmondo à l’héroïne de 100 000 dollars au soleil, en camion, à propos d’un cocufieur musclé et d’un cocu maigrichon :

— Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent.

Ce même Jean Lefebvre, dans Ne nous fâchons pas, parfait emmerdeur, chaperonné par Lino Ventura et Michel Constantin, deux anciens du mitan, provoquait des paroles vengeresses du style : « Le flinguer, comme ça, de sang-froid, sans être tout à fait de l’assassinat, y aurait quand même un cousinage. » Cela nous fait penser qu’Audiard détestait les cons et qu’il le clamait bien fort, même si, pour paraphraser Sartre, on est toujours le con de quelqu’un. Dans Les Tontons flingueurs, la réplique célèbre : « Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. » Dans Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages : « Un pigeon, c’est plus con qu’un dauphin, d’accord, mais ça vole ». Dans Le Pacha : « Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner. » Dans Le Guignolo : « Vous savez quelle différence il y a entre un con et un voleur ? Un voleur, de temps en temps, ça se repose. » Ou encore : « Si la connerie n’est pas remboursée par les assurances sociales, vous finirez sur la paille. » On pourrait dévider l’écheveau à loisir, agrémenter le florilège à l’infini. Les scènes d’anthologie se succèdent. C’est le label Audiard.

La scène de la cuisine dans Les Tontons flingueurs reste gravée dans tous les esprits, même dans ceux des ayatollahs du cinéma d’art et d’essai. Tandis que les tontons beurrent les toasts en cherchant un terrain d’entente, et alors que la nièce de Lino Ventura a organisé une surprise-party, une jeune fille déboule dans la cuisine, réclame du whisky et, apercevant une sacoche pleine de billets, tente de mettre la main dessus. Francis Blanche s’écrie : « Touche pas au grisbi, salope ! » Quelques minutes plus tard, puisqu’il est question de boisson, Francis Blanche propose : « Le tout-venant a été piraté par les mômes. Qu’est-ce qu’on fait ? On se risque sur le bizarre ? » Il sort un gros flacon d’un placard. Robert Dalban, le serviteur, dit : « Vous avez sorti le vitriol ? » On sert, on s’étudie. Puis on goûte. Silence. « Faut reconnaître, c’est du brutal », dit Bernard Blier. « J’ai connu une Polonaise qui en prenait au petit-déjeuner », observe Lino Ventura. Puis, deux secondes après : « Faut quand même admettre, c’est une boisson d’homme… » Jean Lefebvre fait remarquer, les larmes aux yeux : « J’y trouve un goût de pomme. » Réponse de Francis Blanche : « Y en a. »

Et ainsi de suite. Des mots de pur argot, mais une mélodie qui n’est pas en sous-sol. De l’universel. Du langage de tous les jours, saisi et déglacé au poil près. On pourrait citer aussi Les Barbouzes, Ne nous fâchons pas, Le cave se rebiffe, tout ce qui est un peu policier, un peu aventureux, un peu grotesque. Mais le script doctor Audiard, ami de Claude Sautet, avait également participé à des films comme Le fauve est lâché, Ma femme est formidable, Caroline chérie, Destinées, Sale temps pour les mouches, etc. Il était même aidé par des nègres tels qu’Albert Simonin, Jean Herman (Jean Vautrin), Dominique Roulet, Jean-Marie Poiré, etc. Audiard était le Dumas du populo, le Jacques Laurent de la pellicule.

Né le 15 mai 1920 à Paris, au 2 de la rue Brézin, dans le XIVe arrondissement, il fut tour à tour cycliste, soudeur à l’arc, opticien, vendeur de journaux. Et même journaliste lorsqu’il tint une chronique régulière au Matin de Paris. Lui qui se drapait dans la dignité des petites gens, il ricanait pour mieux se cacher. N’était-il pas voué aux gémonies d’une vulgarité structurelle et racoleuse ? On le devinait. Sous l’enveloppe de Sganarelle perçait Pierrot. Audiard aimait la vie et la vie ne l’aimait pas toujours. « Je me contente de participer à l’amusement général », disait-il. Et il y participait bigrement lorsqu’il écrivait les dialogues de Rue des prairies, de Mélodie en sous-sol, de Pile ou Face, de Canicule, d’après Jean Vautrin, de Week-end à Zuydcoote, d’après Robert Merle, de Flic ou Voyou, d’après Michel Grisolia, de La Table-aux-crevés, d’après Marcel Aymé. Bien sûr, certains disaient qu’Audiard était parfois répétitif dans les plus de cent films qu’il a défendus et illustrés à la manière d’un Clément Marot de la langue populaire, usant de ficelles dont les nœuds n’étaient pas toujours très coulants. Certains disaient aussi qu’il était trop libertaire, trop célinien, trop cynique, qu’un dialoguiste aux ambitions d’auteur est une chose qui participe à la fois du monstrueux, du naïf, de l’absurde, de la facétie. Certains disaient tout simplement que c’est injuste, qu’Audiard aurait dû entrer à l’Académie française. Mais Audiard ne cirait pas assez les grandes pompes. Comme il est rappelé dans Pile ou Face : « La justice, c’est comme la Sainte Vierge. Si on ne la voit pas de temps en temps, le doute s’installe. »

Le doute s’installa dans l’esprit d’Audiard lorsque son fils François fut tué dans un accident de voiture. Plus que le doute, la douleur. Cela peut donner l’envie d’être monstrueux, naïf, absurde, facétieux, distant, injuste, sarcastique, tout à la fois. Cela donna aussi un livre superbe : Le jour, la nuit et toutes les autres nuits[36]. Un livre d’argot, d’émotion, de souvenirs qui palpitaient comme un nid de tourterelles, le récit angoissant d’un voyage au bout du désespoir, où l’on retrouvait l’influence des deux écrivains qui ont le plus compté pour Audiard : Artaud et Céline. Extrait (début du livre) :

Déjà la Seine charrie des poissons morts. Il n’y a plus qu’à s’asseoir sur un banc et attendre. La fin du monde est pour dimanche. Le plus tôt sera le mieux. Ils ont tondu Quenotte le dernier jour d’août 44. C’est déjà loin, mais je me souviens. Je me souviens de tout. On l’appelait Quenotte à cause de ses incisives qui lui donnaient une drôlerie d’écureuil. C’était une gentille et fidèle amie. Ses parents tenaient un « Charbons, Vins, Liqueurs » rue Saint-Jacques, tout près du Val-de-Grâce. Il y avait des margotins et de l’anthracite dans la petite vitrine et une porte verte.

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36

Denoël, 1978 ; Gallimard, « Folio », 1980 ; Pocket, 2012.