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La bombe, l’énorme, la Super H, pétera un de ces matins ! C’est sûr, c’est écrit. Et pas dans les tarots ! Écrit dans le Grand Livre où tout est consigné : la pomme, Eurêka, la marmite, la roue, la dynamite, e = mc2. Il en ressort très net, du Grand Livre, que, depuis la brouette, l’homme n’a jamais rien inventé pour rien.

En attendant la mise à feu — alors que le compte à rebours déjà virule dans les encéphalites intégrées —, il paraît indispensable d’énoncer les règles de ce qui, sinon pourrait avoir l’apparence d’un jeu… car je n’ai pu du tout l’esprit à jouer… un certain temps déjà que je ne joue plus… à rien… depuis qu’une auto jaune a percuté une pile de pont sur l’autoroute du Sud et qu’un petit garçon est mort. C’était par une matinée de grand vent. Voilà. Oui, voilà. J’essaierai de ne plus en parler, mais, et c’est pour cela qu’il est nécessaire de se bien comprendre, quoi que je dise, vrai ou faux, ce sera toujours du petit garçon qu’il s’agira…

En 1981, lorsque sortit au cinéma Garde à vue de Claude Miller, étonnant huis clos où s’affrontaient Serrault et Ventura, sans argot ni sarcasmes, avec pudeur et subtilité, on cessa d’attaquer Audiard. Il fallait beaucoup de tact pour traiter cette histoire d’assassin d’enfant. Et du tact, Michel Audiard en avait. Des bistrotiers ne l’appelaient-ils pas « l’aristocrate des petites gens » ? Pour la peine, on considéra l’auteur populacier de Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas… mais elle cause d’une autre manière. C’était trop tard. Amputé de sa jeunesse et de cette postérité qui, selon Céline, se résume à un discours aux asticots, Audiard n’en eut cure. Quatre ans plus tard, la mort l’attendait au détour d’une brune sans filtre. Le canard sauvage avait pris son envol. C’était un enfant du bon Dieu.

Auguste Le Breton

Il est breton et s’appelle Montfort. On aurait pu le surnommer Montfort le Marlou, mais pour simplifier, comme le Rital, le Corsico ou le Tatoué, c’est devenu Le Breton. Auguste Le Breton. Un vrai de vrai, qui a d’ailleurs écrit des dictionnaires d’argot : L’argot chez les vrais de vrai[37], Argotez, argotez[38], et qui, ainsi que l’a écrit un de ses admirateurs, a eu une « enfance pourrave ». Un père clown, un auguste (d’où le prénom du fiston), tué en 1915, une mère qui l’abandonne. Né en 1913 à Lesneven, un chef-lieu de canton du Finistère, Auguste Le Breton n’a pas eu de foin dans les bottes. Le foin, il s’en occupait avec les vaches qu’il gardait dans une ferme. À huit ans, il est adopté par les Pupilles de la nation. On le conduit dans un orphelinat de guerre. La cerise, comme disait Boudard. La scoumoune, comme disait José Giovanni. Ou encore la guigne, la mouise, la poisse, la dégoulinante, le chrome, la mouscaille, la merdouille. Les malheureux comme le petit Auguste, ce sont des rebuts à qui l’on ne demande pas leur avis. Des gens qui n’ont pas été élevés à Saint-Jean de Passy, dans les beaux quartiers où l’on joue à se prolétariser, à s’envoyouter, à se donner un genre. Il était tranquille dans sa ferme, le petit Auguste. Pourquoi l’a-t-on enlevé à sa quiétude pour le dresser, l’embrigader, et lui donner une malchance de tourner délinquant ? À la ville, la zone fut son quotidien. Mais il fallait s’en sortir. Seul, comme le pistolero de la rivière rouge.

Auguste Le Breton a écrit un beau livre sur son enfance : Les Hauts Murs[39], adapté à l’écran en 2008. On ne parle bien que de ce que l’on connaît. Après une fugue de l’orphelinat, on le flanque dans un centre d’éducation surveillée. En d’autres termes, une maison de redressement. Terminée, la rigolade. Un peu plus, et il tournait mal, a-t-on allégué. Mais la rétorsion, parfois, n’obtient pas forcément de bons résultats. Plus on vous contraint, plus vous vous révoltez. Face à l’implacable, Auguste se veut impeccable. Il dérape quand même. C’est le sujet de La Loi des rues[40].

Ado, Auguste Le Breton ne fréquente pas les beaux établissements. Son éducation, c’est le pavé. Il est couvreur, terrassier, bookmaker. Il apprend l’argot au contact de la pègre de Saint-Ouen. Débrouillard, il possède des parts dans des tripots. Il est « Le Breton ». Comme il refuse d’en croquer avec les collabos de la Carlingue (la pègre au service de la Gestapo), il fait la guerre du bon côté. On lui attribue la Croix de guerre. Il se marie, fait une fille à sa femme et écrit son premier livre en 1947, ce fameux Les Hauts Murs, récit d’une expérience qui l’a traumatisé à vie.

La carrière de Le Breton est lancée. Mais le vrai big-bang, le déclic financier, c’est Du rififi chez les hommes. Publié en « Série Noire » chez Gallimard, comme plus tard Razzia sur la chnou et Le rouge est mis. Le Breton est immédiatement consacré vedette du polar à la française. On est en 1953. J’ai du bol, je suis né cette année-là, quand la série Rififi a été lancée. Elle devient l’un des fers de lance des Presses de la Cité. Rififi est une marque déposée. C’est la propriété de son auteur.

Comme Le Trou de José Giovanni[41] mis en scène par Becker, Du rififi chez les hommes devient un film. Réalisé par Jules Dassin, avec Jean Servais (qui faisait le méchant dans L’Homme de Rio) et Magali Noël (l’égérie pulpeuse des films de Fellini). Succès fulgurant. La patte de Dassin, ce n’est pas de l’anodin. Et là, on est dans le sérieux. On se familiarise avec l’argot des hommes, du Milieu. Pas d’humour. Auguste Le Breton ne sera jamais un rigolo. Dans son livre, c’est direct. Il ne s’embarrasse pas de circonlocutions. Exemple :

Ida ne s’attardait pas sur le clille. Elle encaissait l’oseille, épongeait le branque, et hop ! fonçait remettre le couvert avec un autre.

Il y a pourtant des passages où l’on sourit, plus à cause de l’argot lui-même que de l’action, ce qui prouve que l’argot appartient aussi au domaine du rire, involontaire ou non. Exemple :

Au comptoir, perchées sur des tabourets, deux nanas se laissent pincer les noix par des corniauds en goguette.

Les mots « noix » et « corniauds », associés dans ce contexte, forcent le sourire. L’argot faisant partie du domaine de l’interdit, on ressent une sorte de défoulement jubilatoire lorsque les mots ou les expressions giclent. Auguste Le Breton, qui prétendait avoir inventé le verlan (l’envers), signe des passages dans ce langage aujourd’hui revendiqué par les zarbis de banlieue. Suite du précédent extrait :

L’une d’elles jeta un coup de sabord sur une équipe de mirontons qui venaient de soulever la tenture bleue de l’entrée et murmura à sa pote :

— Te détronche pas, Lily, la Mondaine…

Pour que les caves qui les serraient de trop près n’entravent pas, elle ajouta en verlan :

— Qu’est-ce qu’ils viennent tréfou les draupers à cette heure-ci ? Pourvu qu’ils fassent pas une flera. Ça serait le quetbou : j’ai pas encore gnéga une thune.

Les temps changent. De nos jours, n’importe quel Raymond pige le verlan. C’est chic, mode, snob. Les bobos se gargarisent tous les matins au verlan. C’est le Synthol de leur rhétorique. L’argot, par contre, c’est coton. Celui qui rouscaille bigorne façon Vidocq, Bruant ou Le Breton fait flanelle. C’est un bouffon. Un cassos, comme on dit maintenant. Les grands argotiers, à l’instar des grands argentiers, ont saisi la manipe. C’est presque une histoire de recyclage. On a beau être piqué, il faut vivre avec son taon !

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37

Presses de la Cité, 1975.

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38

Michel Lafon, 1987.

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39

Denoël, 1954.

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40

Plon, 1967.

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41

Gallimard, « Série Noire », 1957.