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Coquillards en ballade à Rueil, Mézigue vous chante mieux que caille Pour que vous n’y laissiez ni corps ni peau, Comme le fit Colin l’Écaille. Devant la roue à babiller, Il en croque pour s’en tirer. Son baratin ne faisant pas chialer, Le bourreau lui rompt la moelle.
Changez souvent de frusques De la tronche aux arpions, Et faites gaffe en vous esbignant De ne pas vous cravater au colbac. Montigny le fut, par exemple, Bien agrafé au gibet. Et qu’il vous caille ou qu’il tremble, Le bourreau lui rompt la moelle.
Beaux chevaliers de la filouterie, Pour envoyer la rousse au bain, Grouillez-vous, et sans les foies. Sinon, pour les copains, c’est le gros lot : À l’occiput, la chaîne en plomb Qui blesse et tient le ciboulot, Et très loin de la terre, Le bourreau lui rompt la moelle.

À la lumière de cette ballade, on comprend que deux gonzes (mot de l’époque) ont été les mauvais génies de Villon : Colin de Cayeux, dit l’Écailler, et René de Montigny, un clerc dévoyé. Ces deux-là, pendus haut et court, étaient des coquillards. La notoriété de maître François, « le poète mauvais garçon », comme dit Cellard qui, plus près de nous, pense à Rimbaud et Genet, c’est aussi ça : des gars qui terminent aux fleurs (comme chante Jacques Brel dans « Adieu l’Émile ») ou en cabane (mot du XIIe siècle issu du provençal). Les ballades de Villon, avec leur jargon si particulier, incompréhensible pour le vulgum pecus, sont un coup de chapeau aux casseurs (les froarts), aux détrousseurs (les gailleurs), aux arnaqueurs (les spélicans), aux preneurs d’empreintes de clés (les saupicquets), aux écornifleurs (les joncheurs), aux petits voleurs (les gaudisseurs).

À l’origine, qui sont ces coquillards ? De drôles de pèlerins qui mangent la chair des huîtres et vous font goûter la coquille. Belle image. En d’autres termes, des baratineurs. Des trompeurs. Mais aussi des malfaiteurs. Et des assassins.

« La Coquille, explique Jacques Cellard, n’est pas un gang au sens moderne. Il faut se la représenter comme une association professionnelle de truands astucieux et bien organisés, dispersée et diversifiée, dont les affidés, des spécialistes de tous les domaines de la délinquance, se repassent des renseignements et des services. » Parmi eux, on trouve des merciers, des compères d’allure bourgeoise, des receleurs, des revendeurs, des rabatteurs, des policiers marron, des putains, des orfèvres vendus, des artisans achetés, des informateurs, des pépères qui espionnent. Ils sont de cinq cents à mille. On les voit dans les foires, en Bourgogne, à Dijon. L’un des chefs était barbier, l’autre tailleur de pierre du duc de Bourgogne en personne. Lors du procès de 1455, certains seront pendus, d’autres bannis.

Villon nage là-dedans comme un poison dans l’eau. Certains de ses amis l’ont dans l’os, pas lui. C’est tout le mystère de Villon le malin, de Villon l’ironique, de Villon qui parlait lui-même de rayon et de sillon.

Le sillon, c’est cet argot, ce début, cet enchantement désenchanté, ce langage remis à jour en 1842 par Jean Garnier, un archiviste de Dijon, puis par Marcel Schwob, auteur d’un sémillant François Villon[3]. Becquer voulait dire regarder, les sergents étaient des gaffres, le cheval s’appelait le galier, le jour la torture, les jambes les quilles, les cartes la taquinade, les jeux de dés la muiche, les moines des ratichons, les prêtres les rats, la marine la justice, un homme riche un godiz, le pain l’arton, la main la serre, l’oreille l’anse, un type qui ne trahit jamais ses camarades un sire ferme à la manche, etc.

Bref, un langage sans cadre grammatical venait de voir le jour. Il était sans lois de linguistique, peinard dans sa fraîcheur, travesti par excellence, mixture incroyable de tous les jus du monde, panaché d’attaque et d’autodéfense, géniale floraison d’expressions manouches et de roses aussi belles que du Ronsard, poussée sur d’inextinguibles pourritures. D’aucuns, comme Alphonse Boudard, parlaient de « bonheur auditif ». Un langage populaire qui a du corps, du bouquet, du slip. Un truc changeant, virevoltant, imprévisible. Parfois court en bouche. Mais de longue garde.

Pechon de Ruby

Péchons, mes frères, car le salut est dans le péché, et il faut avoir beaucoup péché pour mériter le paradis, comme disait Staline. Ce raisonnement sauvagement spécieux pourrait s’attribuer à un certain Pechon de Ruby qui, contrairement aux apparences, n’était pas un passionné du ballon ovale. En 1596, il publia La Vie généreuse des mercelots, gueux et bohémiens[4]. Un assemblage d’épisodes rigolos, égrillards, qui font plus penser à une Farce de maître Pathelin survitaminée qu’à une vie quotidienne des gueux dans la célèbre collection Hachette. Il n’en demeure pas moins que ce livre réédité plus de cinq fois est un texte littéraire qui prend pour sujet l’ordinaire des mendiants et des voleurs de cette époque. Dans la postface de l’édition Allia, Romain Weber explique que l’auteur, Pechon de Ruby, un pseudonyme qui en fait signifie « enfant éveillé » dans le jargon du XVIe siècle, était peut-être un magistrat ou un gentilhomme breton.

« La vie des gueux, écrit-il, apparaît bien idéalisée : plaisante, elle prête plus au rire qu’à l’apitoiement. Par-delà son intérêt littéraire, sa drôlerie, et les éléments qu’il apporte sur l’argot ancien, ce texte est surtout un témoignage sur l’idée qu’ont pu se faire de la vie des mendiants et des voleurs ceux qui n’en faisaient pas partie. » Dans La Vie généreuse, il y a d’ailleurs un dictionnaire argot-français où la hurette est une grosse fille, la moulue la merde, le bis le con, l’atrimeur le larron, les batoches les couillons, la crie la chair, le flambant le poignard, la morfe la nourriture, la lime la chemise, le prais le cul, les piloches les dents, les sœurs les cuisses, etc.

Pechon de Ruby nous raconte que le vol n’est pas occasionnel, mais qu’il est un métier. C’est un monde souterrain avec ses mystères, son organisation, ses règles, sa hiérarchie, son langage. Tout est décrit de façon alerte et complice. Cette alacrité ne rime que très rarement avec l’âpreté. Cela commence d’ailleurs par :

Ami et frère, parce que, depuis trois ans et plus que j’ai l’honneur de te connaître, je t’ai toujours ouï te plaindre de ta fortune, et que tu te trouvais à mal-aise dans le dénuement, encore que je te visse à une très bonne table…

Avant Pechon de Ruby, il y avait eu Guillaume de Bouchet et Marc de Papillon qui, déjà, employaient le mot fouillouse pour la poche. Avec Pechon, nous découvrons qu’il y a une pègre en marge de la société normale et que c’est un monde hiérarchisé avec son roi et ses lieutenants, ses impôts et ses lois, sa langue (jobelin, blesquin ou argot) et que le blesche, autrement dit le mercier, affure sérieux (trompe à qui mieux mieux). Il faut savoir que les milieux interlopes passionnent l’Europe des XVe et XVIe siècles. L’Allemagne et l’Espagne raffolent des romans picaresques. On parle du « Liber vagatorum » et du « Lazarillo ». En France, les publications prenant pour sujets les vagabonds se multiplient sous la forme de minces livrets. Le pauvre, contrairement à ce qui se passait au Moyen Âge, commence à perdre sa référence positive. Il est de plus en plus considéré comme un vicieux qui refuse de travailler. Si le voleur doit être châtié, le mendiant doit être rééduqué par le travail manuel (comme quoi Mao n’a rien inventé !). Le livre de Pechon de Ruby, dans l’ensemble gréco-latin et théologique qui sévit à l’époque, est une sorte d’ovni. Comme l’indique Jacques Cellard : « Les gaillardises rabelaisiennes y alternent plaisamment avec les scènes de cruauté (des pendus au gibet) et les cérémonies d’initiation (des scènes d’orgie crapuleuse qui tiennent du sabbat). »

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3

Revue des Deux Mondes, 1892 ; Allia, 2008.

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4

Allia, 1999.