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— Faut partir, mon capitaine, ça va mal ici, déclara une voix tendue.

— Laisse-le, il est déjà mort ! lança quelqu’un d’autre.

La manche fut libérée. L’officier russe se redressa en prenant appui sur ses coudes. Margont se remit à battre en retraite. Il aperçut le colonel Delarse à la lisière du bois et se précipita vers lui. Delarse était furieux.

— Maudits Russes ! Ils sont comme les balançoires : plus on les repousse fortement en arrière et plus ils reviennent violemment en avant ! Et reprenez donc votre souffle, capitaine Margont, vous voilà plus asthmatique que moi.

— Mon colonel, où est le général Delzons ? Où est la brigade Roussel ? Et les brigades de Sivray et Alméras ?

— Tout ce beau monde arrive, capitaine Margont.

Réponse purement formelle, car, visiblement, le colonel n’en savait rien. Margont se retourna et contempla les canons français à l’autre bout de la plaine. Il scrutait les groupes de cavaliers et les va-et-vient des messagers. Quelque part par là-bas se trouvaient le prince Eugène et son état-major. Margont savait que ses chances de survie dépendaient de ce qui était en train de s’y décider. Le prince Eugène lui semblait aussi lointain que Dieu et, en cet instant, plus puissant que ce dernier lui-même. Les Russes talonnaient toujours la brigade Huard. Margont se dit qu’il fallait continuer à courir. Courir jusqu’à l’autre bout de la plaine, jusqu’aux canons français. Là-bas étaient les siens : des batteries, des troupes fraîches qui avaient hâte d’en découdre, Eugène, Murat... Il aperçut alors des hussards russes qui se déployaient au galop dans la plaine. Les Français se trouvaient pris entre le marteau et l’enclume. Le colonel Delarse lança son cheval au trot. Il effectua une boucle et rejoignit Margont après une brève cavalcade au milieu des débandés, cavalcade qui n’avait rallié personne.

— Faisons-nous jour à travers eux ! s’exclama-t-il en désignant les cavaliers de son sabre.

Les hussards chargèrent à ce moment-là. Les fantassins français étaient trop désorganisés pour pouvoir se former en carré, or cette formation permettait de se protéger efficacement contre la cavalerie. La sanction fut immédiate : les cavaliers se faufilèrent entre les groupes épars, en encerclèrent quelques-uns et se mirent à les sabrer de tous les côtés à la fois. Certains hussards s’acharnaient avec rage, comme s’ils voulaient massacrer la brigade entière à eux seuls. D’autres se contentaient de galoper vers une poignée d’hommes, tirant un coup de pistolet avant de donner un coup de rênes pour décrocher. Cette tactique portait ses fruits : les groupes ainsi harcelés étaient grandement ralentis. L’infanterie russe finissait par les rattraper et les anéantissait. Margont perçut un bruit de galop derrière lui. Son voisin de gauche s’écroula tandis qu’un hussard le dépassait, un sabre sanglant à la main. Un autre hussard surgit à sa suite. Il se dressa sur ses étriers, se retrouvant presque debout, sabre levé vers le ciel. Margont brandit son épée au-dessus de sa tête et parvint à dévier le coup. Le cheval, poursuivant sa course, rompit l’engagement et les deux hommes en furent quittes pour une douleur au poignet. Un autre cavalier, arrivant par la droite, pointa son sabre vers Margont et lança son cheval au galop. Margont fit face et fixa cette lame qu’il devait parer. Le hussard se déporta au dernier moment et l’abandonna. Margont se retourna et eut la vision effrayante de l’infanterie verte arrivant au pas de course, hérissée de baïonnettes et maintenant proche de lui. Il s’élança à nouveau vers ses lignes. Un hussard lança à son tour son cheval dans sa direction. Si Margont ne s’arrêtait pas pour lui faire face, ce cavalier le tuerait. Et s’il s’arrêtait, son adversaire décrocherait, comme le précédent, le laissant aux mains de l’infanterie... Margont jeta son épée à terre, comme un fuyard paniqué. Ce geste convainquit le hussard qu’une victoire facile lui était offerte et il ne détourna pas son cheval. Mais, au dernier moment, Margont fit volte-face. Le Russe s’était dressé sur ses étriers, sabre brandi. Margont bondit sur lui et s’agrippa à sa pelisse. Le hussard, penché sur le côté pour assener son coup, s’en trouva déséquilibré et les deux hommes chutèrent. Margont se releva aussitôt et courut vers le cheval tandis que le hussard se remettait de sa commotion, mais pas encore de sa surprise. Il enfourcha la bête et la lança au galop, riant aux éclats. Il aperçut Delarse, seul aux prises avec trois hussards telles des guêpes attirées par ses galons couleur miel. Margont aurait tenté de le secourir... s’il avait été armé. Il dut se contenter de chercher où les hussards russes pouvaient bien ranger leurs pistolets d’arçon. Le colonel fut stupéfiant. Parfaitement droit sur sa monture, il plongea son sabre dans le flanc de son adversaire de droite. Il dégagea aussitôt sa lame et pivota avec vivacité pour sabrer au visage le cavalier qui l’assaillait sur la gauche. Le dernier Russe, en retrait, pointa un pistolet dans le dos du colonel. Darval, l’officier adjoint de Delarse, qui venait lui-même d’en finir avec un autre hussard, abattit son sabre sur la pelisse jetée sur l’épaule gauche du Russe. Cette mode vestimentaire populaire protégeait le bras non défendu par le sabre. La lame fendit le vêtement, mais le coup, fortement amorti, n’entama que peu profondément le muscle. Le hussard tourna bride et s’enfuit. Margont était abasourdi. Lui qui passait son temps à reprocher à ses amis de juger les gens sur les apparences et d’accumuler les a priori, voilà que Delarse lui donnait involontairement une leçon sur le sujet ! Margont avait considéré que le colonel était moribond, mais il devait reconnaître qu’en cet instant, ce « mourant » se révélait bien plus vivant que les deux hussards qui l’avaient pris à partie. Il réhabilita immédiatement Delarse en tant que suspect à part entière.

La situation restait critique : la brigade Huard déferlait en désordre sur la position française. Un capitaine galopa jusqu’à Margont et le bombarda de questions.

Où se trouvait le général Huard ? Quelles étaient les forces ennemies ? Margont ne répondait pas. Il n’était plus qu’une carcasse vide contemplant fixement un homme qui gesticulait et haussait la voix. L’officier s’éloigna au trot en secouant la tête. Des fantassins russes et français se livraient des duels à la baïonnette, brisaient des corps à coups de crosse, se fusillaient sans relâche... Les artilleurs, en habit et pantalon bleus, se regroupaient autour de leurs précieux canons. Une mêlée confuse se déroulait dans des volutes de poussière. Les hussards avaient changé de tactique. Ils ne harcelaient plus, ils chargeaient en sabrant tout ce qui était bleu. Leur dextérité impressionnait. Margont en aperçut un qui se frayait un passage au galop. Un coup de sabre horizontal sur la droite, un canonnier s’écroula, un coup oblique sur la gauche, un soldat tomba à genoux en portant ses mains au visage, un coup vertical sur la droite et un lieutenant partit en arrière... Son cheval eut un grand tressaillement et s’affaissa sur son arrière-train. Un cheval assis comme un chien ! Margont n’avait jamais rien vu de semblable. La bête saignait abondamment du flanc droit. Quelqu’un vint le saisir par les bras et le secoua avec frénésie.