– Et vous, monsieur?
– J'ai cru que monsieur répondait pour nous deux, sire; voilà pourquoi ma réponse s'est fait attendre; mais quant à être au service de Votre Majesté, j'y suis autant que qui que ce soit au monde.
– Bien. Vous allez monter à cheval et prendre la route de Tours: la connaissez-vous?
– Je demanderai, dit Sainte-Maline.
– Je m'orienterai, dit Carmainges.
– Pour vous mieux guider, passez par Charenton, d'abord.
– Oui, sire.
– Vous pousserez jusqu'à ce que vous rencontriez un homme voyageant seul.
– Votre Majesté veut-elle nous donner son signalement? demanda Sainte-Maline.
– Une grande épée au côté ou au dos, de grands bras, de grandes jambes.
– Pouvons-nous savoir son nom, sire? demanda Ernauton de Carmainges, que l'exemple de son compagnon entraînait, malgré les habitudes de l'étiquette, à interroger le roi.
– Il s'appelle l'Ombre, dit Henri.
– Nous demanderons le nom de tous les voyageurs que nous rencontrerons, sire.
– Et nous fouillerons toutes les hôtelleries.
– Une fois l'homme rencontré et reconnu, vous lui remettrez cette lettre.
Les deux jeunes gens tendaient la main ensemble.
Le roi demeura un instant embarrassé.
– Comment vous appelle-t-on? demanda-t-il à l'un d'eux.
– Ernauton de Carmainges, répondit-il.
– Et vous?
– René de Sainte-Maline.
– Monsieur de Carmainges, vous porterez la lettre, et monsieur de Sainte-Maline la remettra.
Ernauton prit le précieux dépôt qu'il s'apprêta à serrer dans son pourpoint.
Sainte-Maline arrêta son bras au moment où la lettre allait disparaître, et il en baisa respectueusement le scel.
Puis il remit la lettre à Ernauton.
Cette flatterie fit sourire Henri III.
– Allons, allons, messieurs, dit-il, je vois que je serai bien servi.
– Est-ce tout, sire? demanda Ernauton.
– Oui, messieurs; seulement une dernière recommandation.
Les jeunes gens s'inclinèrent et attendirent.
– Cette lettre, messieurs, dit Henri, est plus précieuse que la vie d'un homme. Sur votre tête, ne la perdez pas, remettez-la secrètement à l'Ombre, qui vous en donnera un reçu que vous me rapporterez, et surtout voyagez en gens qui voyagent pour leurs propres affaires. Allez.
Les deux jeunes gens sortirent du cabinet royal, Ernauton comblé de joie; Sainte-Maline gonflée de jalousie; l'un avec la flamme dans les yeux, l'autre avec un avide regard qui brûlait le pourpoint de son compagnon.
Monsieur d'Épernon les attendait: il voulut questionner.
– M. le duc, répondit Ernauton, le roi ne nous a point autorisés à parler.
Ils allèrent à l'instant même aux écuries, où le piqueur du roi leur délivra deux chevaux de route, vigoureux et bien équipés.
M. d'Épernon les eût suivis certainement pour en savoir davantage, s'il n'eût été prévenu, au moment où Carmainges et Sainte-Maline le quittaient, qu'un homme voulait lui parler à l'instant même et à tout prix.
– Quel homme? demanda le duc avec impatience.
– Le lieutenant de la prévôté de l'Île-de-France.
– Eh! parfandious! s'écria-t-il, suis-je échevin, prévôt ou chevalier du guet?
– Non, monseigneur, mais vous êtes ami du roi, répondit une humble voix à sa gauche. Je vous en supplie, à ce titre écoutez-moi donc!
Le duc se retourna.
Près de lui, chapeau bas et oreilles basses, était un pauvre solliciteur qui passait à chaque seconde par une des nuances de l'arc-en-ciel.
– Qui êtes-vous? demanda brutalement le duc.
– Nicolas Poulain, pour vous servir, monseigneur.
– Et vous voulez me parler?
– Je demande cette grâce.
– Je n'ai pas le temps.
– Même pour entendre un secret, monseigneur?
– J'en écoute cent tous les jours, monsieur: le vôtre fera cent et un; ce serait un de trop.
– Même si celui-là intéressait la vie de Sa Majesté? dit Nicolas Poulain en se penchant à l'oreille de d'Épernon.
– Oh! oh! je vous écoute; venez dans mon cabinet.
Nicolas Poulain essuya son front ruisselant de sueur, et suivit le duc.
XXVIII La révélation
Monsieur d'Épernon, en traversant son antichambre, s'adressa à l'un des gentilshommes qui s'y tenaient à demeure.
– Comment vous nommez-vous, monsieur? demanda-t-il à un visage inconnu.
– Pertinax de Montcrabeau, monseigneur, répondit le gentilhomme.
– Eh bien, monsieur de Montcrabeau, placez-vous à ma porte, et que personne n'entre.
– Oui, monsieur le duc.
– Personne, vous entendez?
– Parfaitement.
Et M. Pertinax, qui était somptueusement vêtu et qui faisait le beau dans des bas oranges, avec un pourpoint de satin bleu, obéit à l'ordre de d'Épernon. Il s'adossa en conséquence au mur et prit position, les bras croisés, le long de la tapisserie.
Nicolas Poulain suivit le duc qui passa dans son cabinet. Il vit la porte s'ouvrir et se refermer, puis la portière retomber sur la porte, et il commença sérieusement à trembler.
– Voyons votre conspiration, monsieur? dit sèchement le duc; mais, pour Dieu, qu'elle soit bonne, car j'avais aujourd'hui une multitude de choses agréables à faire, et si je perds mon temps à vous écouter, gare à vous!
– Eh! monsieur le duc, dit Nicolas Poulain, il s'agit tout simplement du plus épouvantable des forfaits.
– Alors, voyons le forfait.
– Monsieur le duc…
– On veut me tuer, n'est-ce pas? interrompit d'Épernon en se raidissant comme un Spartiate; eh bien! soit, ma vie est à Dieu et au roi: qu'on la prenne.
– Il ne s'agit pas de vous, monseigneur.
– Ah! cela m'étonne.
– Il s'agit du roi. On veut l'enlever, monsieur le duc.
– Oh! encore cette vieille affaire d'enlèvement! dit dédaigneusement d'Épernon.
– Cette fois la chose est assez sérieuse, monsieur le duc, si j'en crois les apparences.
– Et quel jour veut-on enlever Sa Majesté?
– Monseigneur, la première fois que Sa Majesté ira à Vincennes dans sa litière.
– Comment l'enlèvera-t-on?
– En tuant ses deux piqueurs.
– Et qui fera le coup?
– Madame de Montpensier.
D'Épernon se mit à rire.
– Cette pauvre duchesse, dit-il, que de choses on lui attribue!
– Moins qu'elle n'en projette, monseigneur.
– Et elle s'occupe de cela à Soissons?
– Madame la duchesse est à Paris.
– À Paris!
– J'en puis répondre à monseigneur.
– Vous l'avez vue?
– Oui.