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Le peuple accueillit donc le prince et les deux frères par de discrètes, mais flatteuses acclamations.

Henri salua la foule gravement et sans sourire, puis il baisa son chien sur la tète.

Alors, se retournant vers les jeunes gens:

– Adossez-vous à la tapisserie, Anne, dit-il à l'aîné; ne vous fatiguez pas à demeurer debout: ce sera long peut-être.

– Je l'espère bien, interrompit Catherine, – long et bon, sire.

– Vous croyez donc que Salcède parlera, ma mère? demanda Henri.

– Dieu donnera, je l'espère, cette confusion à nos ennemis. Je dis nos ennemis, car ce sont vos ennemis aussi, ma fille, ajouta-t-elle en se tournant vers la reine, qui pâlit et baissa son doux regard.

Le roi hocha la tête en signe de doute.

Puis, se retournant une seconde fois vers Joyeuse, et voyant que celui-ci se tenait debout malgré son invitation:

– Voyons, Anne, dit-il, faites ce que j'ai dit; adossez-vous au mur, ou accoudez-vous sur mon fauteuil.

– Votre Majesté est en vérité trop bonne, dit le jeune duc, et je ne profiterai de la permission que quand je serai véritablement fatigué.

– En nous n'attendrons pas que vous le soyez, n'est-ce pas, mon frère? dit tout bas Henri.

– Sois tranquille, répondit Anne des yeux plutôt que de la voix.

– Mon fils, dit Catherine, ne vois-je pas du tumulte là-bas, au coin du quai?

– Quelle vue perçante! ma mère; – oui, en effet, je crois que vous avez raison. Oh! les mauvais yeux que j'ai, moi, qui ne suis pas vieux pourtant!

– Sire, interrompit librement Joyeuse, ce tumulte vient du refoulement du peuple sur la place par la compagnie des archers. C'est le condamné qui arrive, bien certainement.

– Comme c'est flatteur pour des rois, dit Catherine, de voir écarteler un homme qui a dans les veines une goutte de sang royal!

Et en disant ces paroles, son regard pesait sur Louise.

– Oh! Madame, pardonnez-moi, épargnez-moi, dit la jeune reine avec un désespoir qu'elle essayait en vain de dissimuler; non, ce monstre n'est point de ma famille, et vous n'avez point voulu dire qu'il en était.

– Certes, non, dit le roi; – et je suis bien certain que ma mère n'a point voulu dire cela.

– Eh! mais, fit aigrement Catherine, il tient aux Lorrains, et les Lorrains sont vôtres, madame; je le pense, du moins. Ce Salcède vous touche donc, et même d'assez près.

– C'est-à-dire, interrompit Joyeuse avec une honnête indignation qui était le trait distinctif de son caractère, et qui se faisait jour en toute circonstance contre celui qui l'avait excitée, quel qu'il fût, c'est-à-dire qu'il touche à M. de Guise peut-être, mais point à la reine de France.

– Ah! vous êtes là, monsieur de Joyeuse, dit Catherine avec une hauteur indéfinissable, et rendant une humiliation pour une contrariété. Ah! vous êtes là? Je ne vous avais point vu.

– J'y suis, non seulement de l'aveu, mais encore par l'ordre, du roi, madame, répondit Joyeuse en interrogeant Henri du regard. Ce n'est pas une chose si récréative que de voir écarteler un homme, pour que je vienne à un pareil spectacle si je n'y étais forcé.

– Joyeuse a raison, madame, dit Henri; il ne s'agit ici ni de Lorrains, ni de Guise, ni surtout de la reine; il s'agit de voir séparer en quatre morceaux M. de Salcède, c'est-à-dire un assassin qui voulait tuer mon frère.

– Je suis mal en fortune aujourd'hui, dit Catherine en pliant tout à coup, ce qui était sa tactique la plus habile, je fais pleurer ma fille, et, Dieu me pardonne! je crois que je fais rire M. de Joyeuse.

– Ah! madame, s'écria Louise en saisissant les mains de Catherine, est-il possible que Votre Majesté se méprenne à ma douleur?

– Et à mon respect profond, ajouta Anne de Joyeuse, en s'inclinant sur le bras du fauteuil royal.

– C'est vrai, c'est vrai, répliqua Catherine, enfonçant un dernier trait dans le cœur de sa belle-fille. Je devrais savoir combien il vous est pénible, ma chère enfant, de voir dévoiler les complots de vos alliés de Lorraine; et, bien que vous n'y puissiez mais, vous ne souffrez pas moins de cette parenté.

– Ah! quant à cela, ma mère, c'est un peu vrai, dit le roi, cherchant à mettre tout le monde d'accord; car enfin, cette fois, nous savons à quoi nous en tenir sur la participation de MM. de Guise à ce complot.

– Mais, sire, interrompit plus hardiment qu'elle n'avait fait encore Louise de Lorraine, – Votre Majesté sait bien qu'en devenant reine de France, j'ai laissé mes parents tout en bas du trône.

– Oh! s'écria Anne de Joyeuse, vous voyez que je ne me trompais pas, sire; voici le patient qui paraît sur la place. Corbleu! la vilaine figure!

– Il a peur, dit Catherine; il parlera.

– S'il en a la force, dit le roi. Voyez donc, ma mère, sa tête vacille comme celle d'un cadavre.

– Je ne m'en dédis pas, sire, dit Joyeuse, il est affreux.

– Comment voudriez-vous que ce fût beau, un homme dont la pensée est si laide? Ne vous ai-je point expliqué, Anne, les rapports secrets du physique et du moral, comme Hippocrate et Galenus les comprenaient et les ont expliqués eux-mêmes?

– Je ne dis pas non, sire; mais je ne suis pas un élève de votre force, moi, et j'ai vu quelquefois de fort laids hommes être de très braves soldats. N'est-ce pas, Henri?

Joyeuse se retourna vers son frère, comme pour appeler son approbation à son aide; mais Henri regardait sans voir, écoutait sans entendre; il était plongé dans une profonde rêverie; ce fut donc le roi qui répondit pour lui.

– Eh! mon Dieu! mon cher Anne, s'écria-t-il, qui vous dit que celui-là ne soit pas brave? Il l'est pardieu! comme un ours, comme un loup, comme un serpent. Ne vous rappelez-vous pas ses façons? Il a brûlé, dans sa maison, un gentilhomme normand, son ennemi. Il s'est battu dix fois, et a tué trois de ses adversaires; il a été surpris faisant de la fausse monnaie, et condamné à mort pour ce fait.

– À telles enseignes, dit Catherine de Médicis, qu'il a été gracié par l'intercession de M. le duc de Guise, votre cousin, ma fille.

Cette fois, Louise était à bout de ses forces; elle se contenta de pousser un soupir.

– Allons, dit Joyeuse, voilà une existence bien remplie, et qui va finir bien vite.