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Dans une autre circonstance ou dans une autre intention, les archers n'eussent pu faire un pas au milieu de cette masse compacte; mais la foule savait ce qu'allaient faire les archers, et elle se serrait et elle faisait passage, comme, sur un théâtre encombré, on fait toujours place aux acteurs chargés de rôles importants.

En ce moment, il se fit quelque bruit à la porte de la loge royale, et l'huissier, soulevant la tapisserie, prévint LL. MM. que le président Brisson et quatre conseillers, dont l'un était le rapporteur du procès, désiraient avoir l'honneur de converser un instant avec le roi au sujet de l'exécution.

– C'est à merveille, dit le roi.

Puis se retournant vers Catherine:

– Eh bien! ma mère, continua-t-il, vous allez être satisfaite?

Catherine fit un léger signe de tête en témoignage d'approbation.

– Faites entrer ces messieurs, reprit le roi.

– Sire, une grâce, demanda Joyeuse.

– Parle, Joyeuse, fit le roi, et pourvu que ce ne soit pas celle du condamné…

– Rassurez-vous, sire.

– J'écoute.

– Sire, il y a une chose qui blesse particulièrement la vue de mon frère et surtout la mienne, ce sont les robes rouges et les robes noires; que Votre Majesté soit donc assez bonne pour nous permettre de nous retirer.

– Comment! vous vous intéressez si peu à mes affaires, monsieur de Joyeuse, que vous demandez à vous retirer dans un pareil moment! s'écria Henri.

– N'en croyez rien, sire, tout ce qui touche Votre Majesté est d'un profond intérêt pour moi; mais je suis d'une misérable organisation, et la femme la plus faible est, sur ce point, plus forte que moi. Je ne puis voir une exécution que je n'en sois malade huit jours. Or, comme il n'y a plus guère que moi qui rie à la cour depuis que mon frère, je ne sais pas pourquoi, ne rit plus, jugez ce que va devenir ce pauvre Louvre, déjà si triste, si je m'avise, moi, de le rendre plus triste encore. Ainsi, par grâce, sire…

– Tu veux me quitter, Anne? dit Henri avec un accent d'indéfinissable tristesse.

– Peste, sire! vous êtes exigeant: une exécution en Grève, c'est la vengeance et le spectacle à la fois, et quel spectacle! celui dont, tout au contraire de moi; vous êtes le plus curieux; la vengeance et le spectacle ne vous suffisent pas, et il faut encore que vous jouissiez en même temps de la faiblesse de vos amis.

– Reste, Joyeuse, reste; tu verras que c'est intéressant.

– Je n'en doute pas; je crains même, comme je l'ai dit à Votre Majesté, que l'intérêt ne soit porté à un point où je ne puisse plus le soutenir; ainsi vous permettez, n'est-ce pas, sire?

– Allons, dit Henri III en soupirant, fais donc à ta fantaisie; ma destinée est de vivre seul.

Et le roi se retourna, le front plissé, vers sa mère, craignant qu'elle n'eût entendu le colloque qui venait d'avoir lieu entre lui et son favori.

Catherine avait l'ouïe aussi fine que la vue; mais lorsqu'elle ne voulait pas entendre, nulle oreille n'était plus dure que la sienne.

Pendant ce temps, Joyeuse s'était penché à l'oreille de son frère et lui avait dit:

– Alerte, alerte, du Bouchage! tandis que ces conseillers vont entrer, glisse-toi derrière leurs grandes robes, et esquivons-nous; le roi dit oui maintenant, dans cinq minutes il dira non.

– Merci, merci, mon frère, répondit le jeune homme; j'étais comme vous, j'avais hâte de partir.

– Allons, allons, voici les corbeaux qui paraissent, disparais, tendre rossignol.

En effet, derrière MM. les conseillers, on vit fuir, comme deux ombres rapides, les deux jeunes gens.

Sur eux retomba la tapisserie aux pans lourds.

Quand le roi tourna la tête, ils avaient déjà disparu.

Henri poussa un soupir et baisa son petit chien.

V Le supplice

Les conseillers se tenaient au fond de la loge du roi, debout et silencieux, attendant que le roi leur adressât la parole.

Le roi se laissa attendre un instant, puis, se retournant de leur côté:

– Eh bien! messieurs, – quoi de nouveau? demanda-t-il. Bonjour, monsieur le président Brisson.

– Sire, répondit le président avec sa dignité facile que l'on appelait à la cour sa courtoisie de huguenot, – nous venons supplier Votre Majesté, ainsi que l'a désiré M. de Thou, de ménager la vie du coupable. – Il a sans doute quelques révélations à faire, et en lui promettant la vie on les obtiendrait.

– Mais, dit le roi, ne les a-t-on pas obtenues, monsieur le président?

– Oui, sire, – en partie: – est-ce suffisant pour Votre Majesté?

– Je sais ce que je sais, messire.

– Votre Majesté sait alors à quoi s'en tenir sur la participation de l'Espagne dans cette affaire?

– De l'Espagne? oui, monsieur le président, et même de plusieurs autres puissances.

– Il serait important de constater cette participation, sire.

– Aussi, interrompit Catherine, le roi a-t-il l'intention, monsieur le président, de surseoir à l'exécution, si le coupable signe une confession analogue à ses dépositions devant le juge qui lui a fait infliger la question.

Brisson interrogea le roi des yeux et du geste.

– C'est mon intention, dit Henri, et je ne le cache pas plus longtemps; vous pouvez vous en assurer, monsieur Brisson, en faisant parler au patient par votre lieutenant de robe.

– Votre Majesté n'a rien de plus à recommander?

– Rien. Mais pas de variation dans les aveux, ou je retire ma parole. – Ils sont publics, ils doivent être complets.

– Oui, sire. – Avec les noms des personnages compromis?

– Avec les noms, tous les noms!

– Même lorsque ces noms seraient entachés, par l'aveu du patient, de haute trahison et révolte au premier chef?

– Même lorsque ces noms seraient ceux de mes plus proches parents! dit le roi.

– Il sera fait comme Votre Majesté l'ordonne.

– Je m'explique, monsieur Brisson; ainsi donc, pas de malentendu. On apportera au condamné du papier et des plumes; il écrira sa confession, montrant par là publiquement qu'il s'en réfère à notre miséricorde et se met à notre merci. Après, nous verrons.