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Tanchon en suivait habilement la direction.

Mais Salcède ne pouvait plus parler, il était mort.

Tanchon donna tout bas quelques ordres à ses archers, qui se mirent à fouiller la foule dans la direction indiquée par les regards dénonciateurs de Salcède.

– Je suis découverte, dit le jeune page à l'oreille d'Ernauton; par pitié, aidez-moi, secourez-moi, monsieur; ils viennent! ils viennent!

– Mais que voulez-vous donc encore?

– Fuir: ne voyez-vous point que c'est moi qu'ils cherchent?

– Mais qui êtes-vous donc?

– Une femme… sauvez-moi! protégez-moi! Ernauton pâlit; mais la générosité l'emporta sur l'étonnement et la crainte.

Il plaça devant lui sa protégée, lui fraya un chemin à grands coups de pommeau de dague et la poussa jusqu'au coin de la rue du Mouton, vers une porte ouverte.

Le jeune page s'élança et disparut dans cette porte qui semblait l'attendre et qui se referma derrière lui.

Il n'avait pas même eu le temps de lui demander son nom ni où il le retrouverait.

Mais en disparaissant, le jeune page, comme s'il eût deviné sa pensée, lui avait fait un signe plein de promesses.

Libre alors, Ernauton se retourna vers le centre de la place, et embrassa d'un même coup d'œil l'échafaud et la loge royale.

Salcède était étendu raide et livide sur l'échafaud.

Catherine était debout, livide et frémissante dans la loge.

– Mon fils, dit-elle enfin en essuyant la sueur de son front, mon fils, vous ferez bien de changer votre maître des hautes œuvres, c'est un ligueur!

– Et à quoi donc voyez-vous cela, ma mère? demanda Henri.

– Regardez, regardez!

– Eh bien! je regarde.

– Salcède n'a souffert qu'une tirade, et il est mort.

– Parce qu'il était trop sensible à la douleur.

– Non pas! non pas! fit Catherine avec un sourire de mépris arraché par le peu de perspicacité de son fils, mais parce qu'il a été étranglé par dessous l'échafaud avec une corde fine, au moment où il allait accuser ceux qui le laissent mourir. Faites visiter le cadavre par un savant docteur, et vous trouverez, j'en suis sûre, autour de son cou le cercle que la corde y aura laissé.

– Vous avez raison, dit Henri, dont les yeux étincelèrent un instant, mon cousin de Guise est mieux servi que moi.

– Chut! chut! mon fils, dit Catherine, pas d'éclat, on se moquerait de nous; car cette fois encore c'est partie perdue.

– Joyeuse a bien fait d'aller s'amuser autre part, dit le roi; on ne peut plus compter sur rien en ce monde, même sur les supplices. Partons, mesdames, partons!

VI Les deux Joyeuse

Messieurs de Joyeuse, comme nous l'avons vu, s'étaient dérobés pendant toute cette scène par les derrières de l'Hôtel-de-Ville, et laissant aux équipages du roi leurs laquais qui les attendaient avec des chevaux, ils marchaient côte à côte dans les rues de ce quartier populeux, qui ce jour-là étaient désertes, tant la place de Grève avait été vorace de spectateurs.

Une fois dehors ils avaient marché se tenant par le bras, mais sans s'adresser la parole.

Henri, si joyeux naguère, était préoccupé et presque sombre.

Anne semblait inquiet et comme embarrassé de ce silence de son frère.

Ce fut lui qui rompit le premier le silence.

– Eh bien! Henri, demanda-t-il, où me conduis-tu?

– Je ne vous conduis pas, mon frère, je marche devant moi, répondit Henri comme s'il se réveillait en sursaut.

– Désirez-vous aller quelque part, mon frère?

– Et toi?

Henri sourit tristement.

– Oh! moi, dit-il, peu m'importe où je vais.

– Tu vas cependant quelque part chaque soir, dit Anne, car chaque soir tu sors à la même heure pour ne rentrer qu'assez avant dans la nuit, et parfois pour ne pas rentrer du tout.

– Me questionnez-vous, mon frère? demanda Henri avec une charmante douceur mêlée d'un certain respect pour son aîné.

– Moi te questionner? dit Anne, Dieu m'en préserve; les secrets sont à ceux qui les gardent.

– Quand vous le désirerez, mon frère, répliqua Henri, je n'aurai pas de secrets pour vous; vous le savez bien.

– Tu n'auras pas de secrets pour moi, Henri?

– Jamais, mon frère; n'êtes-vous pas à la fois mon seigneur et mon ami?

– Dame! je pensais que tu en avais avec moi, qui ne suis qu'un pauvre laïque; je pensais que tu avais notre savant frère, ce pilier de la théologie, ce flambeau de la religion, ce docte architecte de cas de conscience de la cour, qui sera cardinal un jour, que tu te confiais à lui, et que tu trouvais en lui à la fois confession, absolution, et qui sait?… et conseil; car, dans notre famille, ajouta Anne en riant, on est bon à tout, tu le sais: témoin notre très cher père.

Henri du Bouchage saisit la main de son frère et la lui serra affectueusement.

– Vous êtes pour moi plus que directeur, plus que confesseur, plus que père, mon cher Anne, dit-il, je vous répète que vous êtes mon ami.

– Alors, mon ami, pourquoi de gai que tu étais, t'ai-je vu peu à peu devenir triste, et pourquoi, au lieu de sortir le jour, ne sors-tu plus maintenant que la nuit?

– Mon frère, je ne suis pas triste, répondit Henri en souriant.

– Qu'es-tu donc?

– Je suis amoureux.

– Bon! et cette préoccupation?

– Vient de ce que je pense sans cesse à mon amour.

– Et tu soupires en me disant cela?

– Oui.

– Tu soupires, toi, Henri, comte du Bouchage, toi le frère de Joyeuse, toi que les mauvaises langues appellent le troisième roi de France. Tu sais que M. de Guise est le second, si toutefois ce n'est pas le premier; toi qui es riche, toi qui es beau, toi qui seras pair de France, comme moi, et duc, comme moi, à la première occasion que j'en trouverai; tu es amoureux, tu penses et tu soupires; tu soupires, toi qui as pris pour devise: Hilariter (joyeusement).

– Mon cher Anne, tous ces dons du passé ou toutes ces promesses de l'avenir n'ont jamais compté pour moi au rang des choses qui devaient faire mon bonheur. Je n'ai point d'ambition.