Выбрать главу

Joyeuse se calma.

– Eh bien, je l'admets, dit-il; mais il n'en est pas qui ne se donnent.

– À la bonne heure.

– Eh bien! qu'avez-vous fait pour que le cœur de cette belle insensible se donnât à vous?

– J'ai la conviction, Anne, d'avoir fait tout ce que je pouvais faire.

– Allons donc, comte du Bouchage, vous voyez une femme triste, enfermée, gémissante, et vous vous faites plus triste, plus reclus, plus gémissant, c'est-à-dire plus assommant qu'elle-même! En vérité, vous parliez des façons vulgaires de l'amour, et vous êtes banal comme un quartenier. Elle est seule, faites-lui compagnie; elle est triste, soyez gai; elle regrette, consolez-la, et remplacez.

– Impossible, mon frère.

– As-tu essayé?

– Pourquoi faire?

– Dame! ne fût-ce que pour essayer. Tu es amoureux, dis-tu?

– Je ne connais pas de mot pour exprimer mon amour.

– Eh bien! dans quinze jours, tu auras ta maîtresse.

– Mon frère!

– Foi de Joyeuse. Tu n'as pas désespéré, je pense?

– Non, car je n'ai jamais espéré.

– À quelle heure la vois-tu?

– À quelle heure je la vois?

– Sans doute.

– Mais je vous ai dit que je ne la voyais pas, mon frère.

– Jamais?

– Jamais.

– Pas même à sa fenêtre?

– Pas même son ombre, vous dis-je.

– Il faut que cela finisse. Voyons, a-t-elle un amant?

– Je n'ai jamais vu un homme entrer dans sa maison, excepté ce Remy dont je vous ai parlé.

– Comment est la maison?

– Deux étages, petite porte sur un degré, terrasse au-dessus de la deuxième fenêtre.

– Mais par cette terrasse, ne peut-on entrer?

– Elle est isolée des autres maisons.

– Et en face, qu'y a-t-il?

– Une autre maison à peu près pareille, quoique plus élevée, ce me semble.

– Par qui est habitée cette maison?

– Par une espèce de bourgeois.

– De méchante ou de bonne humeur?

– De bonne humeur, car parfois je l'entends rire tout seul.

– Achète-lui sa maison.

– Qui vous dit qu'elle soit à vendre?

– Offre-lui-en le double de ce qu'elle vaut.

– Et si la dame m'y voit?

– Eh bien?

– Elle disparaîtra encore, tandis qu'en dissimulant ma présence, j'espère qu'un jour ou l'autre je la reverrai.

– Tu la reverras ce soir.

– Moi?

– Va te camper sous son balcon à huit heures.

– J'y serai comme j'y suis chaque jour, mais sans plus d'espoir que les autres jours.

– À propos! l'adresse au juste?

– Entre la porte Bussy et l'hôtel Saint-Denis, presque au coin de la rue des Augustins, à vingt pas d'une grande hôtellerie ayant enseigne; À l'Épée du fier Chevalier.

– Très bien, à huit heures, ce soir.

– Mais que ferez-vous?

– Tu le verras, tu l'entendras. En attendant, retourne chez toi, endosse tes plus beaux habits, prends tes plus riches joyaux, verse sur tes cheveux tes plus fines essences; ce soir tu entres dans la place.

– Dieu vous entende, mon frère!

– Henri, quand Dieu est sourd, le diable ne l'est pas. Je te quitte, ma maîtresse m'attend; non, je veux dire la maîtresse de M. de Mayenne. Par le pape! celle-là n'est point une bégueule.

– Mon frère!

– Pardon, beau servant d'amour; je ne fais aucune comparaison entre ces deux dames, sois-en bien persuadé, quoique, d'après ce que tu me dis, j'aime mieux la mienne, ou plutôt la nôtre. Mais elle m'attend, et je ne veux pas la faire attendre. Adieu, Henri, à ce soir.

– À ce soir, Anne.

Les deux frères se serrèrent la main et se séparèrent.

L'un, au bout de deux cents pas, souleva hardiment et laissa retomber avec bruit le heurtoir d'une belle maison gothique sise au parvis Notre-Dame.

L'autre s'enfonça silencieusement dans une des rues tortueuses qui aboutissent au Palais.

VII En quoi l'épée du fier chevalier eut raison sur le rosier d'amour.

Pendant la conversation que nous venons de rapporter, la nuit était venue, enveloppant de son humide manteau de brumes la ville si bruyante deux heures auparavant.

En outre, Salcède mort, les spectateurs avaient songé à regagner leurs gîtes, et l'on ne voyait plus que des pelotons éparpillés dans les rues, au lieu de cette chaîne non interrompue de curieux qui dans la journée étaient descendus ensemble vers un même point.

Jusqu'aux quartiers les plus éloignés de la Grève, il y avait des restes de tressaillements bien faciles à comprendre après la longue agitation du centre.

Ainsi du côté de la porte Bussy, par exemple, où nous devons nous transporter à cette heure pour suivre quelques-uns des personnages que nous avons mis en scène au commencement de cette histoire, et pour faire connaissance avec des personnages nouveaux; à cette extrémité, disons-nous, on entendait bruire, comme une ruche au coucher du soleil, certaine maison teintée en rose et relevée de peintures bleues et blanches, qui s'appelait la Maison de l'Épée du fier Chevalier, et qui cependant n'était qu'une hôtellerie de proportions gigantesques, récemment installée dans ce quartier neuf.

En ce temps-là Paris ne comptait pas une seule bonne hôtellerie qui n'eût sa triomphante enseigne. L'Épée du fier Chevalier était une de ces magnifiques exhibitions destinées à rallier tous les goûts, à résumer toutes les sympathies.

On voyait peint sur l'entablement le combat d'un archange ou d'un saint contre un dragon, lançant, comme le monstre d'Hippolyte, des torrents de flamme et de fumée. Le peintre, animé d'un sentiment héroïque et pieux tout à la fois, avait mis dans les mains du fier chevalier, armé de toutes pièces, non pas une épée, mais une immense croix avec laquelle il tranchait en deux, mieux qu'avec la lame la mieux acérée, le malheureux dragon dont les morceaux saignaient sur la terre.