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Fournichon avait entendu; aux mots: officiers ou gens d'épée, son cœur avait battu d'aise.

Il accourut.

– Monsieur, s'écria-t-il, vous serez le maître ici, le despote de la maison, et sans questions, mon Dieu! Tous vos amis seront les bienvenus.

– Je n'ai pas dit mes amis, mon brave, dit le capitaine avec hauteur; j'ai dit mes compatriotes.

– Oui, oui, les compatriotes de Sa Seigneurie; c'est moi que me trompais.

Dame Fournichon tourna le dos avec humeur: les roses d'amour venaient de se changer en buissons de hallebardes.

– Vous leur donnerez à souper, continua le capitaine.

– Très bien.

– Vous les ferez même coucher au besoin, si je n'avais pu encore préparer leurs logements.

– À merveille.

– En un mot, vous vous mettrez à leur entière discrétion, sans le moindre interrogatoire.

– C'est dit.

– Voilà trente livres d'arrhes.

– C'est marché fait, monseigneur; vos compatriotes seront traités en rois, et si vous voulez vous en assurer en goûtant le vin…

– Je ne bois jamais; merci.

Le capitaine s'approcha de la fenêtre et appela le gardien des chevaux.

Maître Fournichon pendant ce temps avait fait une réflexion.

– Monseigneur, dit-il (depuis la réception des trois pistoles si généreusement payées à l'avance, maître Fournichon appelait l'étranger monseigneur), monseigneur, comment reconnaître-je ces messieurs?

– C'est vrai, parfandious! j'oubliais; donnez-moi de la cire, du papier et de la lumière.

Dame Fournichon apporta tout.

Le capitaine appuya sur la cire bouillante le chaton d'une bague qu'il portait à la main gauche.

– Tenez, dit-il, vous voyez cette figure?

– Une belle femme, ma foi.

– Oui, c'est une Cléopâtre; eh bien! chacun de mes compatriotes vous apportera une empreinte pareille; vous hébergerez donc le porteur de cette empreinte; c'est entendu, n'est-ce pas?

– Combien de temps?

– Je ne sais point encore; vous recevrez mes ordres à ce sujet.

– Nous les attendrons.

Le beau capitaine descendit l'escalier, se remit en selle et partit au trot de son cheval.

En attendant son retour, les époux Fournichon empochèrent leurs trente livres d'arrhes, à la grande joie de l'hôte qui ne cessait de répéter:

– Des gens d'épée! allons, décidément l'enseigne n'a pas tort, et c'est par l'épée que nous ferons fortune.

Et il se mit à fourbir toutes ses casseroles, en attendant le fameux 26 octobre.

VIII Silhouette de Gascon

Dire que dame Fournichon fut absolument aussi discrète que le lui avait recommandé l'étranger, nous ne l'oserions pas. D'ailleurs elle se croyait sans doute dégagée de toute obligation envers lui, par l'avantage qu'il avait donné à maître Fournichon à l'endroit de l'Épée du fier Chevalier ; mais comme il lui restait encore plus à deviner qu'on ne lui en avait dit, elle commença, pour établir ses suppositions sur une base solide, par chercher quel était le cavalier inconnu qui payait si généreusement l'hospitalité à ses compatriotes. Aussi ne manqua-t-elle point d'interroger le premier soldat qu'elle vit passer sur le nom du capitaine qui avait passé la revue.

Le soldat, qui probablement était d'un caractère plus discret que son interlocutrice, lui demanda d'abord, avant de répondre, à quel propos elle faisait cette question.

– Parce qu'il sort d'ici, répondit madame Fournichon, qu'il a causé avec nous, et qu'on est bien aise de savoir à qui l'on parle.

Le soldat se mit à rire.

– Le capitaine qui commandait la revue ne serait pas entré à l'Épée du Fier Chevalier, madame Fournichon, dit-il.

– Et pourquoi cela? demanda l'hôtesse; il est donc trop grand seigneur pour cela?

– Peut-être.

– Eh bien, si je vous disais que ce n'est pas pour lui qu'il est entré à l'hôtellerie du Fier Chevalier?

– Et pour qui donc?

– Pour ses amis.

– Le capitaine qui commandait la revue ne logerait pas ses amis à l'Épée du fier Chevalier, j'en réponds.

– Peste! comme vous y allez, mon brave homme! Et quel est donc ce monsieur qui est trop grand seigneur pour loger ses amis au meilleur hôtel de Paris?

– Vous voulez parler de celui qui commandait la revue, n'est-ce pas?

– Sans doute.

– Eh bien! ma bonne femme, celui qui commandait la revue est purement et simplement M. le duc Nogaret de Lavalette d'Épernon, pair de France, colonel général de l'infanterie du roi, et un peu plus roi que Sa Majesté elle-même. Eh bien! qu'en dites-vous, de celui-là?

– Que si c'est lui qui est venu, il m'a fait honneur.

– L'avez-vous entendu dire parfandious?

– Eh! eh! fit la dame Fournichon, qui avait vu bien des choses extraordinaires dans sa vie, et à qui le mot parfandious n'était pas tout à fait inconnu.

Maintenant on peut juger si le 26 octobre était attendu avec impatience.

Le 25 au soir, un homme entra, portant un sac assez lourd, qu'il déposa sur le buffet de Fournichon.

– C'est le prix du repas commandé pour demain, dit-il.

– À combien par tête? demandèrent ensemble les deux époux.

– À six livres.

– Les compatriotes du capitaine ne feront-ils donc ici qu'un seul repas?

– Un seul.

– Le capitaine leur a donc trouvé un logement?

– Il paraît.

Et le messager sortit malgré les questions du Rosier et de l'Épée, et sans vouloir davantage répondre à aucune d'elles.

Enfin le jour tant désiré se leva sur les cuisines du Fier Chevalier.

Midi et demi venait de sonner aux Augustins, quand des cavaliers s'arrêtèrent à la porte de l'hôtellerie, descendirent de cheval et entrèrent.

Ceux-là étaient venus par la porte Bussy et se trouvaient naturellement les premiers arrivés, d'abord parce qu'ils avaient des chevaux, ensuite parce que l'hôtellerie de l'Épée était à cent pas à peine de la porte Bussy.