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– Au poids! fit Loignac, et vous dites qu'il vous a donné dix écus? de quoi?

– D'une vieille cuirasse et d'une vieille salade.

– En supposant qu'elles pesassent vingt livres à elle deux, c'est un demi-écu la livre. Parfandious! comme dit quelqu'un de ma connaissance, ceci cache un mystère!

– Que ne puis-je tenir ce brave homme de marchand en mon château! dit Chalabre dont les yeux s'allumèrent, je lui en vendrais trois milliers pesant, de heaumes, de brassards et de cuirasses.

– Comment! vous vendriez les armures de vos ancêtres? dit Sainte-Maline d'un ton railleur.

– Ah! monsieur, dit Eustache de Miradoux, vous auriez tort; ce sont des reliques sacrées.

– Bah! dit Chalabre; à l'heure qu'il est, mes ancêtres sont des reliques eux-mêmes, et n'ont plus besoin que de messes.

Le repas allait s'échauffant, grâce au vin de Bourgogne dont les épices de Fournichon accéléraient la consommation.

Les voix montaient à un diapason supérieur, les assiettes sonnaient, les cerveaux s'emplissaient de vapeurs au travers desquelles chaque Gascon voyait tout en rose, excepté Militor qui songeait à sa chute, et Carmainges qui songeait à son page.

– Voilà beaucoup de gens joyeux, dit Loignac à son voisin, qui justement était Ernauton, et ils ne savent pas pourquoi.

– Ni moi non plus, répondit Carmainges. Il est vrai que, pour mon compte, je fais exception, et ne suis pas le moins du monde en joie.

– Vous avez tort, quant à vous, monsieur, reprit Loignac; car vous êtes de ceux pour qui Paris est une mine d'or, un paradis d'honneurs, un monde de félicités.

Ernauton secoua la tête.

– Eh bien, voyons!

– Ne me raillez pas, monsieur de Loignac, dit Ernauton; et vous qui paraissez tenir tous les fils qui font mouvoir la plupart de nous, faites-moi du moins cette grâce de ne point traiter le vicomte Ernauton de Carmainges en comédien de bois.

– Je vous ferai encore d'autres grâces que celle-là, monsieur le vicomte, dit Loignac en s'inclinant avec politesse; je vous ai distingué au premier coup d'œil entre tous, vous dont l'œil est fier et doux, et cet autre jeune homme là-bas dont l'œil est sournois et sombre.

– Vous l'appelez?

– M. de Sainte-Maline.

– Et la cause de cette distinction, monsieur, si cette demande n'est pas toutefois une trop grande curiosité de ma part?

– C'est que je vous connais, voilà tout.

– Moi, fit Ernauton surpris; moi, vous me connaissez?

– Vous et lui, lui et tous ceux qui sont ici.

– C'est étrange.

– Oui, mais c'est nécessaire.

– Pourquoi est-ce nécessaire?

– Parce qu'un chef doit connaître ses soldats.

– Et que tous ces hommes…

– Seront mes soldats demain.

– Mais je croyais que M. d'Épernon…

– Chut! Ne prononcez pas ce nom-là ici, ou plutôt ici ne prononcez aucun nom; ouvrez les oreilles et fermez la bouche, et puisque j'ai promis de vous faire toutes grâces, prenez d'abord ce conseil comme un acompte.

– Merci, monsieur, dit Ernauton.

Loignac essuya sa moustache, et se levant:

– Messieurs, dit-il, puisque le hasard réunit ici quarante-cinq compatriotes, vidons un verre de ce vin d'Espagne à la prospérité de tous les assistants.

Cette proposition souleva des applaudissements frénétiques.

– Ils sont ivres pour la plupart, dit Loignac à Ernauton: ce serait un bon moment pour faire raconter à chacun son histoire, mais le temps nous manque.

Puis haussant la voix:

– Holà! maître Fournichon, dit-il, faites sortir d'ici tout ce qui est femmes, enfants et laquais.

Lardille se leva en maugréant; elle n'avait point achevé son dessert.

Militor ne bougea point.

– M'a-t-on entendu là-bas? dit Loignac avec un coup d'œil qui ne souffrait pas de réplique… Allons, allons, à la cuisine, monsieur Militor!

Au bout de quelques instants, il ne restait plus dans la salle que les quarante-cinq convives et M. de Loignac.

– Messieurs, dit ce dernier, chacun de vous sait qui l'a fait venir à Paris, ou du moins s'en doute. Bon, bon, ne criez pas son nom; vous le savez, cela suffit. Vous savez aussi que vous êtes venus pour lui obéir.

Un murmure d'assentiment s'éleva de toutes les parties de la salle; seulement, comme chacun savait uniquement la chose qui le concernait et ignorait que son voisin fût venu, mu par la même puissance que lui, tous se regardèrent avec étonnement.

– C'est bien, dit Loignac; vous vous regarderez plus tard, messieurs. Soyez tranquilles, vous avez le temps de faire connaissance. Vous êtes donc venus pour obéir à cet homme, reconnaissez-vous cela?

– Oui! oui! crièrent les quarante-cinq, nous le reconnaissons.

– Eh bien, pour commencer, continua Loignac, vous allez partir sans bruit de cette hôtellerie pour venir habiter le logement qu'on vous a désigné.

– À tous? demanda Sainte-Maline.

– À tous.

– Nous sommes tous mandés, nous sommes tous égaux ici, continua Perducas dont les jambes étaient si incertaines qu'il lui fallut, pour maintenir son centre de gravité, passer un bras autour du cou de Chalabre.

– Prenez donc garde, dit celui-ci, vous froissez mon pourpoint.

– Oui, tous égaux, reprit Loignac, devant la volonté du maître.

– Oh! oh! monsieur, dit en rougissant Carmainges, pardon, mais on ne m'avait pas dit que M. d'Épernon s'appellerait mon maître.

– Attendez.

– Ce n'est point cela que j'avais compris.

– Mais attendez donc, maudite tête!

Il se fit de la part du plus grand nombre un silence curieux, et de la part de quelques autres un silence impatient.

– Je ne vous ai pas dit encore qui serait votre maître, messieurs…

– Oui, dit Sainte-Maline; mais vous avez dit que nous en aurions un.

– Tout le monde a un maître! s'écria Loignac; mais si votre air est trop fier pour s'arrêter où vous venez de dire, cherchez plus haut; non seulement je ne vous le défends pas, mais je vous y autorise.

– Le roi, murmura Carmainges.