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– Silence, dit Loignac, vous êtes venus ici pour obéir, obéissez donc; en attendant voici un ordre que vous allez me faire le plaisir de lire à haute voix, monsieur Ernauton.

Ernauton déplia lentement le parchemin que lui tendait M. de Loignac, et lut à haute voix:

«Ordre à M. de Loignac d'aller prendre, pour les commander, les quarante-cinq gentilshommes que j'ai mandés à Paris, avec l'assentiment de Sa Majesté.

NOGARET DE LA VALETTE,

Duc d'Épernon.»

Ivres ou rassis, tous s'inclinèrent: il n'y eut d'inégalités que dans l'équilibre, lorsqu'il fallut se relever.

– Ainsi, vous m'avez entendu, dit M. de Loignac: il s'agit de me suivre à l'instant même. Vos équipages et vos gens demeureront ici, chez maître Fournichon qui en aura soin, et où je les ferai reprendre plus tard; mais, pour le présent, hâtez-vous, les bateaux attendent.

– Les bateaux? répétèrent tous les Gascons; nous allons donc nous embarquer?

Et ils échangèrent entre eux des regards affamés de curiosité.

– Sans doute, dit Loignac, que vous allez vous embarquer. Pour aller au Louvre, ne faut-il point passer l'eau?

– Au Louvre, au Louvre! murmurèrent les Gascons joyeux; cap de Bious! nous allons au Louvre!

Loignac quitta la table, fit passer devant lui les quarante-cinq, en les comptant comme des moutons, et les conduisit par les rues jusqu'à la tour de Nesle.

Là se trouvaient trois grandes barques qui prirent chacune quinze passagers à bord et s'éloignèrent du rivage.

– Que diable allons-nous faire au Louvre? se demandèrent les plus intrépides, dégrisés par l'air froid de la rivière, et fort mesquinement couverts pour la plupart.

– Si j'avais ma cuirasse au moins! murmura Pertinax de Moncrabeau.

X L'homme aux cuirasses

Pertinax avait bien raison de regretter sa cuirasse absente, car à cette heure justement, par l'intermédiaire de ce singulier laquais que nous avons vu parler si familièrement à son maître, il venait de s'en défaire à tout jamais.

En effet, sur ces mots magiques prononcés par madame Fournichon: dix écus, le valet de Pertinax avait couru après le marchand.

Comme il faisait déjà nuit et que sans doute le marchand de ferraille était pressé, ce dernier avait déjà fait une trentaine de pas lorsque Samuel sortit de l'hôtel.

Celui-ci fut donc obligé d'appeler le marchand de ferraille.

Celui-ci s'arrêta avec crainte et jeta un coup d'œil perçant sur l'homme qui venait à lui; mais le voyant chargé de marchandises, il s'arrêta.

– Que voulez-vous, mon ami? lui dit-il.

– Eh! pardieu! dit le laquais d'un air fin, ce que je veux, c'est faire affaire avec vous.

– Eh bien, alors faisons vite.

– Vous êtes pressé?

– Oui.

– Oh! vous me donnerez bien le temps de souffler, que diable!

– Sans doute, mais soufflez vite, on m'attend.

Il était évident que le marchand conservait une certaine défiance à l'endroit du laquais.

– Quand vous aurez vu ce que je vous apporte, dit ce dernier, comme vous me paraissez amateur, vous prendrez votre temps.

– Et que m'apportez-vous?

– Une magnifique pièce, un ouvrage dont… Mais vous ne m'écoutez pas.

– Non, je regarde.

– Quoi?

– Vous ne savez donc pas, mon ami, dit l'homme aux cuirasses, que le commerce des armes est défendu par un édit du roi?

Et il jetait autour de lui des regards inquiets.

Le laquais jugea qu'il était bon de paraître ignorer.

– Je ne sais rien, moi, dit-il; j'arrive de Mont-de-Marsan.

– Ah! c'est différent alors, dit l'homme aux cuirasses, que cette réponse parut rassurer un peu; mais quoique vous arriviez de Mont-de-Marsan, continua-t-il, vous savez cependant déjà que j'achète des armes?

– Oui, je le sais.

– Et qui vous a dit cela?

– Sangdioux! nul n'a eu besoin de me le dire, et vous l'avez crié assez fort tout à l'heure.

– Où cela?

– À la porte de l'hôtellerie de l'Épée du fier Chevalier.

– Vous y étiez donc?

– Oui.

– Avec qui?

– Avec une foule d'amis.

– Avec une foule d'amis? Il n'y a jamais personne d'ordinaire à cette hôtellerie.

– Alors, vous avez dû la trouver bien changée?

– En effet. Mais d'où venaient tous ces amis?

– De Gascogne, comme moi.

– Êtes-vous au roi de Navarre?

– Allons donc! nous sommes Français de cœur et de sang.

– Oui, mais huguenots?

– Catholiques comme notre saint père le pape, Dieu merci, dit Samuel en ôtant son bonnet; mais ce n'est point de cela qu'il s'agit, il s'agit de cette cuirasse.

– Rapprochons-nous un peu des murs, s'il vous plaît; nous sommes par trop à découvert en pleine rue.

Et ils remontèrent de quelques pas jusqu'à une maison de bourgeoise apparence, aux vitraux de laquelle on n'apercevait aucune lumière.

Cette maison avait sa porte sous une sorte d'auvent formant balcon. Un banc de pierre accompagnait sa façade, dont il faisait le seul ornement.

C'était en même temps l'utile et l'agréable, car il servait d'étriers aux passants pour monter sur leurs mules ou sur leurs chevaux.

– Voyons cette cuirasse, dit le marchand, quand ils furent arrivés sous l'auvent.

– Tenez.

– Attendez; on remue, je crois, dans la maison.

– Non, c'est en face.

Le marchand se retourna.

En effet, en face il y avait une maison à deux étages, dont le second s'éclairait parfois fugitivement.

– Faisons vite, dit le marchand en palpant la cuirasse.

– Hein! comme elle est lourde! dit Samuel.

– Vieille, massive, hors de mode.

– Objet d'art.

– Six écus, voulez-vous?

– Comment! six écus! et vous en avez donné dix là-bas pour un vieux débris de corselet!

– Six écus, oui ou non, répéta le marchand.