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– Mais considérez donc les ciselures?

– Pour revendre au poids, qu'importent les ciselures?

– Oh! oh! vous marchandez ici, dit Samuel, et là-bas vous avez donné tout ce qu'on a voulu.

– Je mettrai un écu de plus, dit le marchand avec impatience.

– Il y a pour quatorze écus, rien que de dorures.

– Allons, faisons vite, dit le marchand, ou ne faisons pas.

– Bon, dit Samuel, vous êtes un drôle de marchand: vous vous cachez pour faire votre commerce; vous êtes en contravention avec les édits du roi, et vous marchandez les honnêtes gens.

– Voyons, voyons, ne criez pas comme cela.

– Oh! je n'ai pas peur, dit Samuel en haussant la voix; je ne fais pas un commerce illicite, et rien ne m'oblige à me cacher.

– Voyons, voyons, prenez dix écus et taisez-vous.

– Dix écus? Je vous dis que l'or seul le vaut; ah! vous voulez vous sauver?

– Mais non; quel enragé!

– Ah! c'est que si vous vous sauvez, voyez-vous, je crie à la garde, moi!

En disant ces mots, Samuel avait tellement haussé la voix qu'autant eût valu qu'il eût effectué sa menace sans la faire.

À ce bruit, une petite fenêtre s'était ouverte au balcon de la maison contre laquelle le marché se faisait; et le grincement qu'avait produit cette fenêtre en s'ouvrant, le marchand l'avait entendu avec terreur.

– Allons, allons, dit-il, je vois bien qu'il faut faire tout ce que vous voulez; voilà quinze écus, et allez-vous-en.

– À la bonne heure, dit Samuel en empochant les quinze écus.

– C'est bien heureux.

– Mais ces quinze écus sont pour mon maître, continua Samuel, et il me faut bien aussi quelque chose pour moi.

Le marchand jeta les yeux autour de lui en tirant à demi sa dague du fourreau. Évidemment il avait l'intention de faire à la peau de Samuel un accroc qui l'eût dispensé à tout jamais de racheter une cuirasse pour remplacer celle qu'il venait de vendre; mais Samuel avait l'œil alerte comme un moineau qui vendange, et il recula en disant:

– Oui, oui, bon marchand, je vois ta dague; mais je vois encore autre chose: cette figure au balcon qui te voit aussi.

Le marchand, blême de frayeur, regarda dans la direction indiquée par Samuel, et vit en effet au balcon une longue et fantastique créature, enveloppée dans une robe de chambre en fourrures de peaux de chat: cet argus n'avait perdu ni une syllabe ni un geste de la dernière scène.

– Allons, allons, vous faites de moi ce que vous voulez, dit le marchand avec un rire pareil à celui du chacal qui montre ses dents, voilà un écus en plus. Et que le diable vous étrangle! ajouta-t-il tout bas. – Merci, dit Samuel; bon négoce!

Et saluant l'homme aux cuirasses, il disparut en ricanant.

Le marchand, demeuré seul dans la rue, se mit à ramasser la cuirasse de Pertinax et à l'enchâsser dans celle de Fournichon.

Le bourgeois regardait toujours, puis quand il vit le marchand bien empêché:

– Il paraît, monsieur, lui dit-il, que vous achetez des armures?

– Mais non, monsieur, répondit le malheureux marchand; c'est par hasard et parce que l'occasion s'en est présentée ainsi.

– Alors, le hasard me sert à merveille.

– En quoi, monsieur? demanda le marchand.

– Imaginez-vous que j'ai justement là, à la portée de ma main, un tas de vieilles ferrailles qui me gênent.

– Je ne vous dis pas non; mais pour le moment, vous le voyez, j'en ai tout ce que j'en puis porter.

– Je vais toujours vous les montrer.

– Inutile, je n'ai plus d'argent.

– Qu'à cela ne tienne, je vous ferai crédit; vous m'avez l'air d'un parfait honnête homme.

– Merci, mais on m'attend. – C'est étrange comme il me semble que je vous connais! fit le bourgeois.

– Moi? dit le marchand essayant inutilement de réprimer un frisson.

– Regardez donc cette salade, dit le bourgeois amenant avec son long pied l'objet annoncé, car il ne voulait point quitter la fenêtre de peur que le marchand ne se dérobât.

Et il déposa la salade dans la main du marchand.

– Vous me connaissez, dit celui-ci, c'est-à-dire que vous croyez me connaître?

– C'est-à-dire que je vous connais. N'êtes-vous point…

Le bourgeois sembla chercher; le marchand resta immobile et attendant.

– N'êtes-vous pas Nicolas?

La figure du marchand se décomposa, on voyait le casque trembler dans sa main.

– Nicolas? répéta-t-il.

– Nicolas Truchou, marchand quincaillier, rue de la Cossonnerie.

– Non, non, répliqua le marchand qui sourit et respira en homme quatre fois heureux.

– N'importe, vous avez une bonne figure; il s'agit donc de m'acheter l'armure complète, cuirasse, brassards et épée.

– Faites attention que c'est commerce défendu, monsieur.

– Je le sais, votre vendeur vous l'a crié assez haut tout à l'heure.

– Vous avez entendu?

– Parfaitement; vous avez même été large en affaire: c'est ce qui m'a donné l'idée de me mettre en relations avec vous; mais, soyez tranquille, je n'abuserai pas, moi; je sais ce que c'est que le commerce: j'ai été négociant aussi.

– Ah! et que vendiez-vous?

– Ce que je vendais?

– Oui.

– De la faveur.

– Bon commerce, monsieur.

– Aussi j'y ai fait fortune, et vous me voyez bourgeois.

– Je vous en fais mon compliment.

– Il en résulte que j'aime mes aises, et que je vends toute ma ferraille parce qu'elle me gêne.

– Je comprends cela.

– Il y a encore là les cuissards; ah! et puis les gants.

– Mais je n'ai pas besoin de tout cela.

– Ni moi non plus.

– Je prendrai seulement la cuirasse.

– Vous n'achetez donc que des cuirasses?

– Oui.

– C'est drôle, car enfin vous achetez pour revendre au poids; vous l'avez dit du moins, et du fer est du fer.

– C'est vrai, mais, voyez-vous, de préférence…