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Le trésor se trouvait-il par hasard un peu garni, on voyait surgir et s'approcher d'Épernon, le bras arrondi et le visage riant; le trésor était-il vide, il disparaissait, la lèvre dédaigneuse et le sourcil froncé, pour s'enfermer, soit dans son hôtel, soit dans quelqu'un de ses châteaux, où il pleurait misère jusqu'à ce qu'il eût pris le pauvre roi par la faiblesse du cœur et tiré de lui quelque don nouveau.

Par lui le favoritisme avait été érigé en métier, métier dont il exploitait habilement tous les revenus possibles. D'abord il ne passait pas au roi le moindre retard à payer aux échéances; puis, lorsqu'il devint plus tard courtisan et que les bises capricieuses de la faveur royale furent revenues assez fréquentes pour solidifier sa cervelle gasconne, plus tard, disons-nous, il consentit à se donner une part du travail, c'est-à-dire à coopérer à la rentrée des fonds dont il voulait faire sa proie.

Cette nécessité, il le sentait bien, l'entraînait à devenir, de courtisan paresseux, ce qui est le meilleur de tous les états, courtisan actif, ce qui est la pire de toutes les conditions. Il déplora bien amèrement alors les doux loisirs de Quélus, de Schomberg et de Maugiron, qui, eux, n'avaient de leur vie parlé affaires publiques ni privées, et qui convertissaient si facilement la faveur en argent et l'argent en plaisirs; mais les temps avaient changé: l'âge de fer avait succédé à l'âge d'or; l'argent ne venait plus comme autrefois: il fallait aller à l'argent, fouiller, pour le prendre, dans les veines du peuple, comme dans une mine à moitié tarie. D'Épernon se résigna et se lança en affamé dans les inextricables ronces de l'administration, dévastant ça et là sur son passage, et pressurant sans tenir compte des malédictions, chaque fois que le bruit des écus d'or couvrait la voix des plaignants.

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L'esquisse rapide et bien incomplète que nous avons tracée du caractère de Joyeuse peut montrer au lecteur quelle différence il y avait entre les deux favoris qui se partageaient, nous ne dirons pas l'amitié, mais cette large portion d'influence que Henri laissait toujours prendre sur la France et sur lui-même à ceux qui l'entouraient. Joyeuse, tout naturellement et sans y réfléchir, avait suivi la trace et adopté la tradition des Quélus, des Schomberg, des Maugiron et des Saint-Mégrin: il aimait le roi et se faisait insoucieusement aimer par lui; seulement tous ces bruits étranges qui avaient couru sur la merveilleuse amitié que le roi portait aux prédécesseurs de Joyeuse, étaient morts avec cette amitié; aucune tache infâme ne souillait cette affection presque paternelle de Henri pour Joyeuse. D'une famille de gens illustres et honnêtes, Joyeuse avait du moins en public le respect de la royauté, et sa familiarité ne dépassait jamais certaines bornes. Dans le milieu de la vie morale, Joyeuse était un ami véritable d'Henri; mais ce milieu ne se présentait guère. Anne était jeune, emporté, amoureux, égoïste; c'était peu pour lui d'être heureux par le roi et de faire remonter le bonheur vers sa source; c'était tout pour lui d'être heureux de quelque façon qu'il le fût. Brave, beau, riche, il brillait de ce triple reflet qui fait aux jeunes fronts une auréole d'amour. La nature avait trop fait pour Joyeuse, et Henri maudissait quelquefois la nature, qui lui avait laissé, à lui roi, si peu de chose à faire pour son ami.

Henri connaissait bien ces deux hommes, et les aimait sans doute à cause du contraste. Sous son enveloppe sceptique et superstitieuse, Henri cachait un fonds de philosophie qui, sans Catherine, se fût développé dans un sens d'utilité remarquable.

Trahi souvent, Henri ne fut jamais trompé.

C'est donc avec cette parfaite intelligence du caractère de ses amis, avec cette profonde connaissance de leurs défauts et de leurs qualités, qu'éloigné d'eux, isolé, triste, dans cette chambre sombre, il pensait à eux, à lui, à sa vie, et regardait dans l'ombre ces funèbres horizons déjà dessinés dans l'avenir pour beaucoup de regards moins clairvoyants que les siens.

Cette affaire de Salcède l'avait fort assombri. Seul entre deux femmes dans un pareil moment, Henri avait senti son dénûment; la faiblesse de Louise l'attristait; la force de Catherine l'épouvantait. Henri sentait enfin en lui cette vague et éternelle terreur qu'éprouvent les rois marqués par la fatalité, pour qu'une race s'éteigne en eux et avec eux.

S'apercevoir en effet que, quoique élevé au-dessus de tous les hommes, cette grandeur n'a pas de base solide; sentir qu'on est la statue qu'on encense, l'idole qu'on adore; mais que les prêtres et le peuple, les adorateurs et les ministres, vous inclinent ou vous relèvent selon leur intérêt, vous font osciller selon leur caprice, c'est, pour un esprit altier, la plus cruelle des disgrâces. Henri le sentait vivement et s'irritait de le sentir.

Et cependant, de temps en temps, il se reprenait à l'énergie de sa jeunesse éteinte en lui bien avant la fin de cette jeunesse.

– Après tout, se disait-il, pourquoi m'inquiéterais-je? Je n'ai plus de guerres à subir; Guise est à Nancy, Henri à Pau; l'un est obligé de renfermer son ambition en lui-même, l'autre n'en a jamais eu.

Les esprits se calment; nul Français n'a sérieusement envisagé cette entreprise impossible de détrôner son roi; cette troisième couronne promise par les ciseaux d'or de madame de Montpensier n'est qu'un propos de femme blessée dans son amour-propre; ma mère seule rêve toujours à son fantôme d'usurpation, sans pouvoir sérieusement me montrer l'usurpateur; mais moi, qui suis un homme, moi qui suis un cerveau jeune encore malgré mes chagrins, je sais à quoi m'en tenir sur les prétendants qu'elle redoute.

Je rendrai Henri de Navarre ridicule, Guise odieux, et je dissiperai, l'épée à la main, les ligues étrangères. Par la mordieu! je ne valais pas mieux que je ne vaux aujourd'hui, à Jarnac et à Montcontour.

Oui, continuait Henri en laissant retomber sa tête sur sa poitrine; oui, mais, en attendant, je m'ennuie, et c'est mortel de s'ennuyer. Eh! voilà mon seul, mon véritable conspirateur, l'ennui! et ma mère ne me parle jamais de celui-là.

Voyez, s'il me viendra quelqu'un ce soir! Joyeuse avait tant promis d'être ici de bonne heure: il s'amuse, lui; mais comment diable fait-il pour s'amuser? D'Épernon? ah! celui-là, il ne s'amuse pas: il boude: il n'a pas encore touché sa traite de vingt-cinq mille écus sur les pieds fourchus; eh bien, ma foi! qu'il boude tout à son aise.