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– Sire, dit la voix de l'huissier, M. le duc d'Épernon.

Tous ceux qui connaissent les ennuis de l'attente, les récriminations qu'elle suggère contre les personnes attendues, la facilité avec laquelle se dissipe le nuage lorsque la personne paraît, comprendront l'empressement que mit le roi à ordonner que l'on avançât un pliant pour le duc.

– Ah! bonsoir, duc, dit-il, je suis enchanté de vous voir.

D'Épernon s'inclina respectueusement.

– Pourquoi donc n'êtes-vous point venu voir écarteler ce coquin d'Espagnol; vous saviez bien que vous aviez une place dans ma loge, puisque je vous l'avais fait dire?

– Sire, je n'ai pas pu.

– Vous n'avez pas pu?

– Non, sire, j'avais affaire.

– Ne dirait-on pas, en vérité, qu'il est mon ministre avec sa mine d'une coudée, et qu'il vient m'annoncer qu'un subside n'a pas été payé, dit Henri en levant les épaules.

– Ma foi, sire, dit d'Épernon prenant au bond la balle, Votre Majesté est dans le vrai; le subside n'a pas été payé, et je suis sans un écu.

– Bon, fit Henri impatient.

– Mais, reprit d'Épernon, ce n'est point de cela qu'il s'agit, et je me hâte de le dire à Votre Majesté, car elle pourrait croire que ce sont là les affaires dont je me suis occupé.

– Voyons ces affaires, duc.

– Votre Majesté sait ce qui s'est passé au supplice de Salcède.

– Parbleu, puisque j'y étais.

– On a tenté d'enlever le condamné.

– Je n'ai pas vu cela.

– C'est le bruit qui court par la ville cependant.

– Bruit, sans cause et sans résultat: on n'a pas remué.

– Je crois que Votre Majesté est dans l'erreur.

– Et sur quoi bases-tu ta croyance?

– Sur ce que Salcède a démenti devant le peuple ce qu'il avait dit devant les juges.

– Ah! vous savez déjà cela, vous?

– Je tâche de savoir tout ce qui intéresse Votre Majesté.

– Merci, mais où voulez-vous en venir avec ce préambule?

– À ceci: un homme qui meurt comme Salcède est mort en bien bon serviteur, sire.

– Eh bien! après?

– Le maître qui a de tels serviteurs est bien heureux: voilà tout.

– Et tu veux dire que je n'ai pas de tels serviteurs, moi, ou plutôt que je n'en ai plus? Tu as raison, si c'est cela que tu veux dire.

– Ce n'est pas cela que je veux dire. Votre Majesté trouverait dans l'occasion, et je puis en répondre mieux que personne, des serviteurs aussi fidèles qu'en a trouvés le maître de Salcède.

– Le maître de Salcède, le maître de Salcède! nommez donc une fois les choses par leur nom, vous tous qui m'entourez. Comment s'appelle-t-il ce maître?

– Votre Majesté doit le savoir mieux que moi, elle qui s'occupe de politique.

– Je sais ce que je sais. Dites-moi ce que vous savez, vous.

– Moi, je ne sais rien; seulement je me doute de beaucoup de choses.

– Bon! dit Henri ennuyé, vous venez ici pour m'effrayer et me dire des choses désagréables, n'est-ce pas? Merci, duc, je vous reconnais bien là.

– Allons, voilà que Votre Majesté me maltraite, dit d'Épernon.

– C'est assez juste, je crois.

– Non pas, sire. L'avertissement d'un homme dévoué peut tomber à faux; mais cet homme n'en fait pas moins son devoir en donnant cet avertissement.

– Ce sont mes affaires.

– Ah! du moment que Votre Majesté le prend ainsi, vous avez raison, sire; n'en parlons donc plus.

Ici, il se fit un silence que le roi rompit le premier.

– Voyons, dit-il, ne m'assombris pas, duc. Je suis déjà lugubre comme un Pharaon d'Égypte en sa pyramide. Égaie-moi.

– Ah! sire, la joie ne se commande point.

Le roi frappa la table de son poing avec colère.

– Vous êtes un entêté, un mauvais ami, duc! s'écria-t-il. Hélas! hélas! je ne croyais pas avoir tout perdu en perdant mes serviteurs d'autrefois.

– Oserais-je faire remarquer à Votre Majesté qu'elle n'encourage guère les nouveaux?

Ici le roi fit une nouvelle pause pendant laquelle, pour toute réponse, il regarda cet homme, dont il avait fait la haute fortune, avec une expression des plus significatives.

D'Épernon comprit.

– Votre Majesté me reproche ses bienfaits, dit-il du ton d'un Gascon achevé. Moi, je ne lui reproche pas mon dévoûment.

Et le duc, qui ne s'était pas encore assis, prit le pliant que le roi avait fait préparer pour lui.

– Lavalette, Lavalette, dit Henri avec tristesse, tu me navres le cœur, toi qui as tant d'esprit, toi qui pourrais, par ta bonne humeur, me faire gai et joyeux. Dieu m'est témoin que je n'ai point entendu parler de Quélus, si brave; de Schomberg, si bon; de Maugiron, si chatouilleux sur le point de mon honneur. Non, il y avait même en ce temps-là Bussy, Bussy, qui n'était point à moi si tu veux, mais que je me fusse acquis si je n'avais craint de donner de l'ombrage aux autres; Bussy, qui est la cause involontaire de leur mort, hélas! Où en suis-je venu, que je regrette même mes ennemis! Certes, tous quatre étaient de braves gens. Eh! mon Dieu! ne te fâche point de ce que je dis là. Que veux-tu, Lavalette, ce n'est point ton tempérament de donner à chaque heure du jour de grands coups de rapière sur tout venant; mais enfin, cher ami, si tu n'es pas aventureux et haut à la main, tu es facétieux, fin, de bon conseil parfois. Tu connais toutes mes affaires, comme cet autre ami plus humble avec lequel je n'éprouvai jamais un seul moment d'ennui.

– De qui Votre Majesté veut-elle parler? demanda le duc.

– Tu devrais lui ressembler, d'Épernon.

– Mais encore faut-il que je sache qui Votre Majesté regrette.

– Oh! pauvre Chicot, où es-tu?

D'Épernon se leva tout piqué.

– Eh bien! que fais-tu? dit le roi.

– Il paraît, sire, que Votre Majesté est en mémoire aujourd'hui; mais, en vérité, ce n'est pas heureux pour tout le monde.

– Et pourquoi cela?

– C'est que Votre Majesté, sans y songer peut-être, me compare à messire Chicot, et que je me sens assez peu flatté de la comparaison.