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– Tu as tort, d'Épernon. Je ne puis comparer à Chicot qu'un homme que j'aime et qui m'aime. C'était un solide et ingénieux serviteur que celui-là.

Et Henri poussa un profond soupir.

– Ce n'est pas pour ressembler à maître Chicot, je présume, que Votre Majesté m'ait fait duc et pair, dit d'Épernon.

– Allons, ne récriminons pas, dit le roi avec un si malicieux sourire que le Gascon, si fin et si impudent qu'il fût à la fois, se trouva plus mal à l'aise devant ce sarcasme timide qu'il ne l'eût été devant un reproche flagrant.

– Chicot m'aimait, continua Henri, et il me manque; voilà tout ce que je puis dire. Oh! quand je songe qu'à cette même place où tu es ont passé tous ces jeunes hommes, beaux, braves et fidèles; que là-bas, sur le fauteuil où tu as posé ton chapeau, Chicot s'est endormi plus de cent fois!

– Peut-être était-ce fort spirituel, interrompit d'Épernon; mais, en tout cas, c'était peu respectueux.

– Hélas! continua Henri, ce cher ami n'a pas plus d'esprit que de corps aujourd'hui.

Et il agita tristement son chapelet de têtes de mort, qui fit entendre un cliquetis lugubre comme s'il eût été fait d'ossements réels.

– Eh! qu'est-il donc devenu, votre Chicot? demanda insoucieusement d'Épernon.

– Il est mort! répondit Henri, mort comme tout ce qui m'a aimé!

– Eh bien! sire, reprit le duc, je crois en vérité qu'il a bien fait de mourir; il vieillissait, beaucoup moins cependant que ses plaisanteries, et l'on m'a dit que la sobriété n'était pas sa vertu favorite. De quoi est mort le pauvre diable, sire, d'indigestion?

– Chicot est mort de chagrin, mauvais cœur, répliqua aigrement le roi.

– Il l'aura dit pour vous faire rire une dernière fois.

– Voilà qui te trompe: c'est qu'il n'a pas même voulu m'attrister par l'annonce de sa maladie. C'est qu'il savait combien je regrette mes amis, lui qui tant de fois m'a vu les pleurer.

– Alors c'est son ombre qui est revenue.

– Plût à Dieu que je le revisse, même en ombre! Non, c'est son ami, le digne prieur Gorenflot, qui m'a écrit cette triste nouvelle.

– Gorenflot! qu'est-ce que cela?

– Un saint homme que j'ai fait prieur des Jacobins, et qui habite ce beau couvent hors de la porte Saint-Antoine, en face de la croix Faubin, près de Bel-Esbat.

– Fort bien! quelque mauvais prêcheur à qui Votre Majesté aura donné un prieuré de trente mille livres et à qui elle se garde bien de le reprocher.

– Vas-tu devenir impie à présent?

– Si cela pouvait désennuyer Votre Majesté, j'essaierais.

– Veux-tu te taire, duc; tu offenses Dieu!

– Chicot l'était bien impie, lui, et il me semble qu'on lui pardonnait.

– Chicot est venu dans un temps où je pouvais encore rire de quelque chose.

– Alors, Votre Majesté a tort de le regretter.

– Pourquoi cela?

– Si elle ne peut plus rire de rien, Chicot, si gai qu'il fût, ne lui serait pas d'un grand secours.

– L'homme était bon à tout, et ce n'est pas seulement à cause de son esprit que je le regrette.

– Et à cause de quoi? Ce n'est point à cause de son visage, je présume, car il était fort laid, mons Chicot.

– Il avait des conseils sages.

– Allons! je vois que, s'il vivait, Votre Majesté en ferait un garde des sceaux, comme elle a fait un prieur de ce frocard.

– Allez, duc, ne riez pas, je vous prie, de ceux qui m'ont témoigné de l'affection et pour qui j'en ai eu moi-même. Chicot, depuis qu'il est mort, m'est sacré comme un ami sérieux, et quand je n'ai point envie de rire, j'entends que personne ne rie.

– Oh! soit, sire; je n'ai pas plus envie de rire que Votre Majesté. Ce que j'en disais, c'est que tout à l'heure vous regrettiez Chicot pour sa belle humeur; c'est que tout à l'heure vous me demandiez de vous égayer, tandis que maintenant vous désirez que je vous attriste… Parfandious! Oh! pardon, sire, ce maudit juron m'échappe toujours.

– Bien, bien, maintenant je suis refroidi; maintenant je suis au point où tu voulais me voir quand tu as commencé la conversation par de sinistres propos. Dis-moi donc tes mauvaises nouvelles, d'Épernon; il y a toujours chez le roi la force d'un homme.

– Je n'en doute pas, sire.

– Et c'est heureux, car, mal gardé comme je le suis, si je ne me gardais point moi-même, je serais mort dix fois le jour.

– Ce qui ne déplairait pas à certaines gens que je connais.

– Contre ceux-là, duc, j'ai les hallebardes de mes Suisses.

– C'est bien impuissant à atteindre de loin.

– Contre ceux qu'il faut atteindre de loin, j'ai les mousquets de mes arquebusiers.

– C'est gênant pour frapper de près: pour défendre une poitrine royale, ce qui vaut mieux que des hallebardes et des mousquets, ce sont de bonnes poitrines.

– Hélas! dit Henri, voilà ce que j'avais autrefois, et dans ces poitrines de nobles cœurs. Jamais on ne fût arrivé à moi du temps de ces vivants remparts qu'on appelait Quélus, Schomberg, Saint-Luc, Maugiron et Saint-Mégrin.

– Voilà donc ce que Votre Majesté regrette? demanda d'Épernon, comptant saisir sa revanche en prenant le roi en flagrant délit d'égoïsme.

– Je regrette les cœurs qui battaient dans ces poitrines, avant toutes choses, dit Henri.

– Sire, dit d'Épernon, si j'osais, je ferais remarquer à Votre Majesté que je suis Gascon, c'est-à-dire prévoyant et industrieux; que je tâche de suppléer par l'esprit aux qualités que m'a refusées la nature; en un mot, que je fais tout ce que je puis, c'est-à-dire tout ce que je dois, et que par conséquent j'ai le droit de dire: Advienne que pourra!

– Ah! voilà comme tu t'en tires, toi; tu viens me faire grand étalage des dangers vrais ou faux que je cours, et quand tu es parvenu à m'effrayer, tu te résumes par ces mots: Advienne que pourra!… Bien obligé, duc.

– Votre Majesté veut donc bien croire un peu à des dangers?

– Soit: j'y croirai si tu me prouves que tu peux les combattre.

– Je crois que je le puis.

– Tu le peux?