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– Laquelle?

– C'est que, pour celui qui la tient, l'orgueil est un mauvais conseiller, et la colère un mauvais aide; maintenant écoutez, mon petit frère Jacques, ajouta-t-il, vous avez un joli poignet, mais vous n'avez ni jambes ni tête; vous êtes vif, mais ne raisonnez pas. Il y a dans les armes trois choses essentielles: la tête d'abord, puis la main et les jambes; avec la première on peut se défendre, avec la première et la seconde on peut vaincre; mais en réunissant les trois on vainc toujours.

– Oh! monsieur, dit Jacques, faites donc assaut avec frère Borromée; ce sera certainement bien beau à voir.

Chicot, dédaigneux, allait refuser la proposition; mais il réfléchit que peut-être l'orgueilleux trésorier en prendrait-il davantage.

– Soit, dit-il, et si frère Borromée y consent, je suis à ses ordres.

– Non, monsieur, répondit le trésorier, je serais battu; j'aime mieux l'avouer que de faire preuve.

– Oh! qu'il est modeste, qu'il est aimable! dit Gorenflot.

– Tu te trompes, lui répondit à l'oreille l'impitoyable Chicot, il est fou de vanité; à son âge, si j'eusse trouvé pareille occasion, j'eusse demandé à genoux la leçon que Jacques vient de recevoir.

Cela dit, Chicot reprit son gros dos, ses jambes circonflexes, sa grimace éternelle, et revint s'asseoir sur son banc.

Jacques le suivit; l'admiration l'emportait chez le jeune homme sur la honte de la défaite.

– Donnez-moi donc des leçons, monsieur Robert, disait-il; le seigneur prieur le permettra: n'est-ce pas, Votre Révérence?

– Oui, mon enfant, répondit Gorenflot; avec plaisir.

– Je ne veux point marcher sur les brisées de votre maître, mon ami, dit Chicot; et il salua Borromée.

Borromée prit la parole.

– Je ne suis pas le seul maître de Jacques, dit-il, je n'enseigne pas seul les armes ici; n'ayant pas seul l'honneur, permettez que je n'aie pas seul la défaite.

– Qui donc est son autre professeur? se hâta de demander Chicot, voyant chez Borromée la rougeur qui décelait la crainte d'avoir commis une imprudence.

– Mais personne, reprit Borromée, personne.

– Si fait! si fait, dit Chicot, j'ai parfaitement entendu. Quel est donc votre autre maître, Jacques?

– Eh! oui, oui, dit Gorenflot; un gros court que vous m'avez présenté, Borromée, et qui vient ici quelquefois; une bonne figure, et qui boit agréablement.

– Je ne me rappelle plus son nom, dit Borromée.

Frère Eusèbe, avec sa mine béate et son couteau passé dans sa ceinture, s'avança niaisement.

– Je le sais, moi, dit-il.

Borromée lui fit des signes multipliés qu'il ne vit pas.

– C'est maître Bussy-Leclerc, continua-t-il, lequel a été professeur d'armes à Bruxelles.

– Ah! oui-dà, fit Chicot, maître Bussy-Leclerc! une bonne lame, ma foi!

Et tout en disant cela avec toute la naïveté dont il était capable, Chicot attrapait au passage le coup d'œil furibond que dardait Borromée sur le malencontreux complaisant.

– Tiens, je ne savais pas qu'il s'appelât Bussy-Leclerc. On avait oublié de m'en informer, dit Gorenflot.

– Je n'avais pas cru que le nom intéressât le moins du monde Votre Seigneurie, dit Borromée.

– En effet, reprit Chicot, un maître d'armes ou un autre, pourvu qu'il soit bon, n'importe.

– En effet, n'importe, reprit Gorenflot, pourvu qu'il soit bon.

Et là-dessus il prit le chemin de l'escalier de son appartement, escorté de l'admiration générale.

L'exercice était terminé.

Au pied de l'escalier, Jacques réitéra sa demande à Chicot, au grand déplaisir de Borromée; mais Chicot répondit:

– Je ne sais pas démontrer, mon ami; je me suis fait tout seul avec de la réflexion et de la pratique; faites comme moi: à tout sain esprit le bien profite.

Borromée commanda un mouvement qui tourna tous les moines vers les bâtiments pour la rentrée. Gorenflot s'appuya sur Chicot et monta majestueusement l'escalier.

– J'espère, dit-il avec orgueil, que voilà une maison dévouée au service du roi, et bonne à quelque chose, heim!

– Peste! je le crois bien, dit Chicot; on en voit de belles, révérend prieur, lorsque l'on vient chez vous.

– En un mois tout cela, en moins d'un mois même.

– Et fait par vous?

– Fait par moi, par moi seul, comme vous voyez, dit Gorenflot en se redressant.

– C'est plus que je n'attendais, mon ami, et quand je reviendrai de ma mission…

– Ah! c'est vrai, cher ami! parlons donc de votre mission.

– D'autant plus volontiers que j'ai un message, ou plutôt un messager, à envoyer au roi avant mon départ.

– Au roi, cher ami, un messager? vous correspondez donc avec le roi?

– Directement.

– Et il vous faut un messager, dites-vous?

– Il me faut un messager.

– Voulez-vous un de nos frères? Ce serait un honneur pour le couvent si un de nos frères voyait le roi.

– Assurément.

– Je vais mettre deux de nos meilleures jambes à vos ordres. Mais contez-moi, Chicot, comment le roi qui vous croyait mort…

– Je vous l'ai déjà dit, je n'étais qu'en léthargie… et au moment venu j'ai ressuscité.

– Et pour rentrer en faveur? demanda Gorenflot.

– Plus que jamais, dit Chicot.

– Alors, fit Gorenflot en s'arrêtant, vous pourrez donc dire au roi tout ce que nous faisons ici dans son intérêt?

– Je n'y manquerai pas, mon ami, je n'y manquerai pas, soyez tranquille.

– Oh! cher Chicot, s'écria Gorenflot qui se voyait évêque.

– Mais d'abord, j'ai deux choses à vous demander.

– Lesquelles?

– La première, de l'argent, que le roi vous rendra.

– De l'argent! s'écria Gorenflot en se levant avec précipitation, j'en ai plein mes coffres.

– Vous êtes bien heureux, par ma foi, dit Chicot.

– Voulez-vous mille écus?

– Non pas, c'est beaucoup trop, cher ami, je suis modeste dans mes goûts, humble dans mes désirs; mon titre d'ambassadeur ne m'enorgueillit pas, et je le cache plutôt que je ne m'en vante: cent écus me suffiront.