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Sainte-Maline mordait ses gants; le sang coulait sous sa dent furibonde.

– Là, là, monsieur, dit Ernauton, gardez vos mains pour tenir l'épée quand nous y serons.

– Oh! j'en crèverai! cria Sainte-Maline.

– Alors ce sera une besogne toute faite pour moi, dit Ernauton.

On ne peut savoir où serait allée la rage toujours croissante de Sainte-Maline, quand tout à coup Ernauton, en traversant la rue Saint-Antoine, près de Saint-Paul, vit une litière, poussa un cri de surprise et s'arrêta pour regarder une femme à demi voilée.

– Mon page d'hier! murmura-t-il.

La dame n'eut pas l'air de le reconnaître et passa sans sourciller, mais en se rejetant cependant au fond de sa litière.

– Cordieu! vous me faites attendre, je crois, dit Sainte-Maline, et cela pour regarder des femmes!

– Je vous demande pardon, monsieur, dit Ernauton en reprenant sa course.

Les jeunes gens, à partir de ce moment, suivirent au grand trot la rue du Faubourg-Saint-Marceau: ils ne se parlaient plus, même pour quereller.

Sainte-Maline paraissait assez calme extérieurement; mais, en réalité, tous les muscles de son corps frémissaient encore de colère.

En outre, il avait reconnu, et cette découverte ne l'avait aucunement adouci, comme on le comprendra facilement; en outre, il avait reconnu que, tout bon cavalier qu'il était, il ne pourrait dans aucun cas donné suivre Ernauton, son cheval étant fort inférieur à celui de son compagnon, et suant déjà sans avoir couru.

Cela le préoccupait fort; aussi, comme pour se rendre positivement compte de ce que pourrait faire sa monture, la tourmentait-il de la houssine et de l'éperon.

Cette insistance amena une querelle entre son cheval et lui. Cela se passait aux environs de la Bièvre. La bête ne se mit point en frais d'éloquence, comme avait fait Ernauton; mais, se souvenant de son origine (elle était Normande), elle fit à son cavalier un procès que celui-ci perdit.

Elle débuta par un écart, puis se cabra, puis fit un saut de mouton et se déroba jusqu'à la Bièvre où elle se débarrassa de son cavalier, en roulant avec lui jusque dans la rivière, où ils se séparèrent.

On eût entendu d'une lieue les imprécations de Sainte-Maline, quoiqu'à moitié étouffées par l'eau. Quand il fut parvenu à se mettre sur ses jambes, les yeux lui sortaient de la tête, et quelques gouttes de sang, coulant de son front écorché, sillonnaient sa figure.

Moulu comme il l'était, couvert de boue, trempé jusqu'aux os, tout saignant et tout contusionné, Sainte-Maline comprenait l'impossibilité de rattraper sa bête; l'essayer même était une tentative ridicule.

Ce fut alors que les paroles qu'il avait dites à Ernauton lui revinrent à l'esprit: s'il n'avait pas voulu attendre son compagnon une seconde rue Saint-Antoine, pourquoi son compagnon aurait-il l'obligeance de l'attendre une ou deux heures sur la route?

Cette réflexion conduisit Sainte-Maline de la colère au plus violent désespoir, surtout lorsqu'il vit, du fond de son encaissement, le silencieux Ernauton piquer des deux en obliquant par quelque chemin qu'il jugeait sans doute le plus court.

Chez les hommes véritablement irascibles, le point culminant de la colère est un éclair de folie, quelques-uns n'arrivent qu'au délire; d'autres vont jusqu'à la prostration totale des forces et de l'intelligence.

Sainte-Maline tira machinalement son poignard; un instant il eut l'idée de se le planter jusqu'à la garde dans la poitrine. Ce qu'il souffrit en ce moment, nul ne pourrait le dire, pas même lui. On meurt d'une pareille crise, ou, si on la supporte, on y vieillit de dix ans.

Il remonta le talus de la rivière, s'aidant de ses mains et de ses genoux jusqu'à ce qu'il fût arrivé au sommet: arrivé là, son œil égaré interrogea la route; on n'y voyait plus rien. À droite, Ernauton avait disparu, se portant sans doute en avant; au fond, son propre cheval était disparu également.

Tandis que Sainte-Maline roulait dans son esprit exaspéré mille pensées sinistres contre les autres et contre lui-même, le galop d'un cheval retentit à son oreille, et il vit déboucher de cette route de droite, choisie par Ernauton, un cheval et un cavalier.

Ce cavalier tenait un autre cheval en main.

C'était le résultat de la course de M. de Carmainges: il avait coupé vers la droite, sachant bien que, poursuivre un cheval, c'était doubler son activité par la peur.

Il avait donc fait un détour et coupé le passage au Bas-Normand, en l'attendant en travers d'une rue étroite.

À cette vue, le cœur de Sainte-Maline déborda de joie: il ressentit un mouvement d'effusion et de reconnaissance qui donna une suave expression à son regard, puis tout à coup son visage s'assombrit; il avait compris toute la supériorité d'Ernauton sur lui, car il s'avouait qu'à la place de son compagnon, il n'eût pas même eu l'idée d'agir comme lui.

La noblesse du procédé le terrassait: il la sentait pour la mesurer et en souffrir.

Il balbutia un remercîment auquel Ernauton ne fit pas attention, ressaisit furieusement la bride de son cheval, et, malgré la douleur, se remit en selle.

Ernauton, sans dire un seul mot, avait pris les devants au pas en caressant son cheval.

Sainte-Maline, nous l'avons dit, était excellent cavalier; l'accident dont il avait été victime était une surprise; au bout d'un instant de lutte dans laquelle cette fois il eut l'avantage, redevenu maître de sa monture, il lui fit prendre le trot.

– Merci, monsieur, vint-il dire une seconde fois à Ernauton, après avoir consulté cent fois son orgueil et les convenances.

Ernauton se contenta de s'incliner de son côté, en touchant son chapeau de la main.

La route parut longue à Sainte-Maline.

Vers deux heures et demie environ, ils aperçurent un homme qui marchait, escorté d'un chien: il était grand, avait une épée au côté; il n'était pas Chicot, mais il avait des bras et des jambes dignes de lui.

Sainte-Maline, encore tout fangeux, ne put se tenir; il vit qu'Ernauton passait et ne prenait pas même garde à cet homme. L'idée de trouver son compagnon en faute passa comme un méchant éclair dans l'esprit du Gascon; il poussa vers l'homme et l'aborda.