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– Voyageur, demanda-t-il, n'attendez-vous point quelque chose?

Le voyageur regarda Sainte-Maline dont en ce moment, il faut l'avouer, l'aspect n'était point agréable. La figure décomposée par la colère récente, cette boue mal séchée sur ses habits, ce sang mal séché sur ses joues, de gros sourcils noirs froncés, une main fiévreuse étendue vers lui, avec un geste de menace bien plus que d'interrogation, tout cela parut sinistre au piéton.

– Si j'attends quelque chose, dit-il, ce n'est pas quelqu'un: et si j'attends quelqu'un, à coup sur ce quelqu'un n'est pas vous.

– Vous êtes fort impoli, mon maître, dit Sainte-Maline enchanté de trouver enfin une occasion de lâcher la bride à sa colère, et furieux en outre de voir qu'il venait, en se trompant, de fournir un nouveau triomphe à son adversaire.

Et en même temps qu'il parlait, il leva sa main armée de la houssine pour frapper le voyageur; mais celui-ci leva son bâton et en asséna un coup sur l'épaule de Sainte-Maline, puis il siffla son chien qui bondit aux jarrets du cheval et à la cuisse de l'homme, et emporta de chaque endroit un lambeau de chair et un morceau d'étoffe.

Le cheval, irrité par la douleur, prit une seconde fois sa course en avant, il est vrai, mais sans pouvoir être retenu par Sainte-Maline qui, malgré tous ses efforts, demeura en selle.

Il passa ainsi emporté devant Ernauton, qui le vit passer sans même sourire de sa mésaventure.

Lorsqu'il eut réussi à calmer son cheval, lorsque M. de Carmainges l'eut rejoint, son orgueil commençait, non pas à diminuer, mais à entrer en composition.

– Allons! allons! dit-il en s'efforçant de sourire, je suis dans mon jour malheureux, à ce qu'il paraît. Cet homme ressemblait fort cependant au portrait que nous avait fait Sa Majesté de celui à qui nous avons affaire.

Ernauton garda le silence.

– Je vous parle, monsieur, dit Sainte-Maline exaspéré par ce sang-froid qu'il regardait avec raison comme une preuve de mépris, et qu'il voulait faire cesser par quelque éclat définitif, dût-il lui en coûter la vie; je vous parle, n'entendez-vous pas?

– Celui que Sa Majesté nous avait désigné, répondit Ernauton, n'avait pas de bâton et n'avait pas de chien.

– C'est vrai, répondit Sainte-Maline, et si j'avais réfléchi, j'aurais une contusion de moins à l'épaule, et deux crocs de moins sur la cuisse. Il fait bon être sage et calme, à ce que je vois.

Ernauton ne répondit point; mais se haussant sur les étriers et mettant la main au-dessus de ses yeux en manière de garde-vue:

– Voilà là bas, dit-il, celui que nous cherchons et qui nous attend.

– Peste! monsieur, dit sourdement Sainte-Maline, jaloux de ce nouvel avantage de son compagnon, vous avez une bonne vue; moi je ne distingue qu'un point noir, et encore est ce à peine.

Ernauton, sans répondre, continua d'avancer; bientôt Sainte-Maline put voir et reconnaître à son tour l'homme désigné par le roi. Un mauvais mouvement le prit, il poussa son cheval en avant pour arriver le premier.

Ernauton s'y attendait: il le regarda sans menace et sans intention apparente: ce coup d'œil fit rentrer Sainte-Maline en lui-même, et il remit son cheval au pas.

XXX Sainte-Maline

Ernauton ne s'était point trompé, l'homme désigné était bien Chicot.

Il avait, de son côté, bonne vue et bonne oreille; il avait vu et entendu les cavaliers de fort loin. Il s'était douté que c'était à lui qu'ils avaient affaire, de sorte qu'il les attendait.

Quand il n'eut plus aucun doute à cet égard, et qu'il eût vu que les deux cavaliers se dirigeaient bien vers lui, il posa sans affectation sa main sur la poignée de sa longue épée, comme pour prendre une attitude noble.

Ernauton et Sainte-Maline se regardèrent tous deux une seconde, muets tous deux.

– À vous, monsieur, si vous le voulez bien, dit en s'inclinant Ernauton à son adversaire; car, en cette circonstance, le mot adversaire est plus convenable que celui de compagnon.

Sainte-Maline fut suffoqué; la surprise de cette courtoisie lui serrait la gorge; il ne répondit qu'en baissant la tête.

Ernauton vit qu'il gardait le silence, et prit alors la parole.

– Monsieur, dit-il à Chicot, nous sommes, monsieur et moi, vos serviteurs.

Chicot salua avec son plus gracieux sourire.

– Serait-il indiscret, continua le jeune homme, de vous demander votre nom?

– Je m'appelle l'Ombre, monsieur, répondit Chicot.

– Oui, monsieur.

– Vous serez assez bon, n'est-ce pas, pour nous dire ce que vous attendez?

– J'attends une lettre.

– Vous comprenez notre curiosité, monsieur, et elle n'a rien d'offensant pour vous.

Chicot s'inclina toujours, et avec un sourire de plus en plus gracieux.

– De quel endroit attendez-vous cette lettre? continua Ernauton.

– Du Louvre.

– Scellée de quel sceau?

– Du sceau royal.

Ernauton mit sa main dans sa poitrine.

– Vous reconnaîtriez sans doute cette lettre? dit-il.

– Oui, si je la voyais.

Ernauton tira la lettre de sa poitrine.

– La voici, dit Chicot, et, pour plus grande sûreté, vous savez, n'est-ce pas, que je dois vous donner quelque chose en échange?

– Un reçu?

– C'est cela.

– Monsieur, reprit Ernauton, j'étais chargé par le roi de vous porter cette lettre; mais c'est monsieur que voici qui est chargé de vous la remettre.

Et il tendit la lettre à Sainte-Maline, qui la prit et la déposa aux mains de Chicot.

– Merci, messieurs, dit ce dernier.

– Vous voyez, ajouta Ernauton, que nous avons fidèlement rempli notre mission. Il n'y a personne sur la route, personne ne nous a donc vus vous parler ou vous donner la lettre.

– C'est juste, monsieur, je le reconnais, et j'en ferai foi au besoin. Maintenant à mon tour.

– Le reçu, dirent ensemble les deux jeunes gens.

– Auquel des deux dois-je le remettre?

– Le roi ne l'a point dit! s'écria Sainte-Maline en regardant son compagnon d'un air menaçant.

– Faites le reçu par duplicata, monsieur, reprit Ernauton, et donnez-en un à chacun de nous; il y a loin d'ici au Louvre, et sur la route il peut arriver malheur à moi ou à monsieur.