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Et en disant ces mots, les yeux d'Ernauton s'illuminaient à leur tour d'un éclair.

– Vous êtes un homme sage, monsieur, dit Chicot à Ernauton.

Et il tira des tablettes de sa poche, en déchira deux pages, et sur chacune d'elles il écrivit:

«Reçu des mains de M. René de Sainte-Maline la lettre apportée par M. Ernauton de Carmainges.

L'OMBRE.»

– Adieu, monsieur, dit Sainte-Maline en s'emparant de son reçu.

– Adieu, monsieur, et bon voyage, ajouta Ernauton: avez-vous autre chose à transmettre au Louvre?

– Absolument rien, messieurs; grand merci, dit Chicot.

Ernauton et Sainte-Maline tournèrent la tête de leurs chevaux vers Paris, et Chicot s'éloigna d'un pas que le meilleur mulet eût envié.

Lorsque Chicot eut disparu, Ernauton, qui avait fait cent pas à peine, arrêta court son cheval, et s'adressant à Sainte-Maline:

– Maintenant, monsieur, dit-il, pied à terre, si vous le voulez bien.

– Et pourquoi cela, monsieur? fit Sainte-Maline avec étonnement.

– Notre tâche est accomplie, et nous avons à causer. L'endroit me paraît excellent pour une conversation du genre de la nôtre.

– À votre aise, monsieur, dit Sainte-Maline en descendant de cheval comme l'avait déjà fait son compagnon.

Lorsqu'il eut mis pied à terre, Ernauton s'approcha et lui dit:

– Vous savez, monsieur, que, sans appel de ma part et sans mesure de la vôtre, sans cause aucune enfin, vous m'avez, durant toute la route, offensé grièvement. Il y a plus: vous avez voulu me faire mettre l'épée à la main dans un moment inopportun, et j'ai refusé. Mais à cette heure le moment est devenu bon, et je suis votre homme.

Sainte-Maline écouta ces mots d'un visage sombre et avec les sourcils froncés; mais, chose étrange! Sainte-Maline n'était plus dans ce courant de colère qui l'avait entraîné au-delà de toutes les bornes, Sainte-Maline ne voulait plus se battre; la réflexion lui avait rendu le bon sens; il jugeait toute l'infériorité de sa position.

– Monsieur, répondit-il après un instant de silence, vous m'avez, quand je vous insultais, répondu par des services; je ne saurais donc maintenant vous tenir le langage que je vous tenais tout à l'heure.

Ernauton fronça le sourcil.

– Non, monsieur, mais vous pensez encore maintenant ce que vous disiez tantôt.

– Qui vous dit cela?

– Parce que toutes vos paroles étaient dictées par la haine et par l'envie, et que, depuis deux heures que vous les avez prononcées, cette haine et cette envie ne peuvent être éteintes dans votre cœur.

Sainte-Maline rougit, mais ne répondit point.

Ernauton attendit un instant et reprit:

– Si le roi m'a préféré à vous, c'est parce que ma figure lui revient plus que la vôtre; si je ne me suis pas jeté dans la Bièvre, c'est que je monte mieux à cheval que vous; si je n'ai pas accepté votre défi au moment où il vous a plu de le faire, c'est que j'ai plus de sagesse; si je ne me suis pas fait mordre par le chien de l'homme, c'est que j'ai plus de sagacité; enfin si je vous somme à cette heure de me rendre raison et de tirer l'épée, c'est que j'ai plus de réel honneur; si vous hésitez, je vais dire plus de courage.

Sainte-Maline frissonnait, et ses yeux lançaient des éclairs: toutes les passions mauvaises que signalait Ernauton avaient tour à tour imprimé leurs stigmates sur sa figure livide; au dernier mot du jeune homme, il tira son épée comme un furieux.

Ernauton avait déjà la sienne à la main.

– Tenez, monsieur, dit Sainte-Maline, retirez le dernier mot que vous avez dit; il est de trop, vous l'avouerez, vous qui me connaissez parfaitement, puisque, comme vous l'avez dit, nous demeurons à deux lieues l'un de l'autre; retirez-le, vous devez avoir assez de mon humiliation; ne me déshonorez pas.

– Monsieur, dit Ernauton, comme je ne me mets jamais en colère, je ne dis jamais que ce que je veux dire; par conséquent je ne retirerai rien du tout. Je suis susceptible aussi, moi, et nouveau à la cour, je ne veux donc pas avoir à rougir chaque fois que je vous rencontrerai. Un coup d'épée, s'il vous plaît, monsieur, c'est pour ma satisfaction autant que pour la vôtre.

– Oh! monsieur, je me suis battu onze fois, dit Sainte-Maline avec un sombre sourire, et sur mes onze adversaires deux sont morts. Vous savez encore cela, je présume?

– Et moi, monsieur, je ne me suis jamais battu, répliqua Ernauton, car l'occasion ne s'en est jamais présentée; je la trouve à ma guise, venant à moi quand je n'allais pas à elle, et je la saisis aux cheveux. J'attends votre bon plaisir, monsieur.

– Tenez, dit Sainte-Maline en secouant la tête, nous sommes compatriotes, nous sommes au service du roi, ne nous querellons plus, je vous tiens pour un brave homme; je vous offrirais même la main, si cela ne m'était pas presque impossible. Que voulez-vous, je me montre à vous comme je suis, ulcéré jusqu'au fond du cœur, ce n'est point ma faute. Je suis envieux, que voulez-vous que j'y fasse? la nature m'a créé dans un mauvais jour. M. de Chalabre, ou M. de Montcrabeau, ou M. de Pincorney ne m'eussent point mis en colère, c'est votre mérite qui cause mon chagrin; consolez-vous-en, puisque mon envie ne peut rien contre vous, et qu'à mon grand regret votre mérite vous reste. Ainsi nous en demeurons là, n'est-ce pas, monsieur? je souffrirais trop, en vérité, quand vous diriez le motif de notre querelle.

– Notre querelle, personne ne la saura, monsieur.

– Personne?

– Non, monsieur, attendu que si nous nous battons, je vous tuerai ou me ferai tuer. Je ne suis pas de ceux qui font peu de cas de la vie; au contraire, j'y tiens fort. J'ai vingt-trois ans; un beau nom, je ne suis pas tout à fait pauvre; j'espère en moi et dans l'avenir, et soyez tranquille, je me défendrai comme un lion.

– Eh bien! moi, tout au contraire de vous, monsieur, j'ai déjà trente ans et suis assez dégoûté de la vie, car je ne crois ni en l'avenir ni en moi; mais tout dégoûté de la vie, tout incrédule au bonheur que je suis, j'aime mieux ne pas me battre avec vous.

– Alors, vous m'allez faire des excuses? dit Ernauton.

– Non, j'en ai assez fait et assez dit. Si vous n'êtes pas content, tant mieux. Alors vous cesserez de m'être supérieur.