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– Et moi, monsieur, je vois que vous prononcez ces paroles avec une intention de reproche, et je le regrette; car, en vérité, ce qui vous alarme devrait au contraire vous rassurer. On n'est pas discret beaucoup avec celui-ci sans l'être un peu avec celui-là.

– Vous avez raison: votre main, monsieur de Carmainges.

Ernauton lui donna la main, mais sans que rien dans son geste indiquât qu'il savait donner la main à un prince.

– Vous avez inculpé ma conduite, monsieur, continua Mayenne; je ne puis me justifier sans révéler de grands secrets; mieux vaut, je crois, que nous ne poussions pas plus loin nos confidences.

– Remarquez, monsieur, répondit Ernauton, que vous vous défendez quand je n'accuse pas. Vous êtes parfaitement libre, croyez-le bien, de parler et de vous taire.

– Merci, monsieur, je me tais. Sachez seulement que je suis un gentilhomme de bonne maison, en position de vous faire tous les plaisirs que je voudrai.

– Brisons là-dessus, monsieur, répondit Ernauton, et croyez que je serai aussi discret à l'égard de votre crédit que je l'ai été à l'égard de votre nom. Grâce au maître que je sers, je n'ai besoin de personne.

– Votre maître? demanda Mayenne avec inquiétude, quel maître, s'il vous plaît?

– Oh! plus, de confidences, vous l'avez dit vous-même, monsieur, répliqua Ernauton.

– C'est juste.

– Et puis votre blessure commence à s'enflammer; causez moins, monsieur, croyez-moi.

– Vous avez raison. Oh! il me faudra mon chirurgien.

– Je retourne à Paris, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire; donnez-moi son adresse.

Mayenne fit un signe au soldat qui s'approcha de lui; puis tous deux causèrent à voix basse.

Avec sa discrétion habituelle, Ernauton s'éloigna.

Enfin, après quelques minutes de consultation, le duc se retourna vers Ernauton.

– Monsieur de Carmainges, dit-il, votre parole d'honneur que, si je vous donnais une lettre pour quelqu'un, cette lettre serait fidèlement remise à cette personne?

– Je vous la donne, monsieur.

– Et j'y crois; vous êtes trop galant homme, pour que je ne me fie pas aveuglément à vous.

Ernauton s'inclina.

– Je vais vous confier une partie de mon secret, dit Mayenne; je suis des gardes de madame la duchesse de Montpensier.

– Ah! fit naïvement Ernauton, madame la duchesse de Montpensier a des gardes, je l'ignorais.

– Dans ces temps de troubles, monsieur, reprit Mayenne, tout le monde s'entoure de son mieux, et la maison de Guise étant maison souveraine…

– Je ne demande pas d'explication, monsieur; vous êtes des gardes de madame la duchesse de Montpensier, cela me suffit.

– Je reprends donc: j'avais mission de faire un voyage à Amboise, quand, en chemin, j'ai rencontré mon ennemi. Vous savez le reste.

– Oui, dit Ernauton.

– Arrêté par cette blessure avant d'avoir accompli ma mission, je dois compte à madame la duchesse des causes de mon retard.

– C'est juste.

– Vous voudrez bien lui remettre en mains propres, la lettre que je vais avoir l'honneur de lui écrire?

– S'il y a toutefois de l'encre et du papier ici, répliqua Ernauton se levant pour se mettre en quête de ces objets.

– Inutile, dit Mayenne; mon soldat doit avoir sur lui mes tablettes.

Effectivement le soldat tira de sa poche des tablettes fermées. Mayenne se retourna du côté du mur pour faire jouer un ressort; les tablettes s'ouvrirent: il écrivit quelques lignes au crayon, et referma les tablettes avec le même mystère.

Une fois fermées, il était impossible, si l'on ignorait le secret, de les ouvrir, à moins de les briser.

– Monsieur, dit le jeune homme, dans trois jours ces tablettes seront remises.

– En mains propres!

– À madame la duchesse de Montpensier elle-même.

Le duc serra les mains de son bienveillant compagnon, et, fatigué à la fois de la conversation qu'il venait de faire et de la lettre qu'il venait d'écrire, il retomba, la sueur au front, sur la paille fraîche.

– Monsieur, dit le soldat dans un langage qui parut à Ernauton assez peu en harmonie avec le costume, monsieur, vous m'avez lié comme un veau, c'est vrai; mais, que vous le vouliez ou non, je regarde ce lien comme une chaîne d'amitié, et vous le prouverai en temps et lieu.

Et il lui tendit une main dont le jeune homme avait déjà remarqué la blancheur.

– Soit, dit en souriant Carmainges; me voilà donc avec deux amis de plus?

– Ne raillez pas, monsieur, dit le soldat, on n'en a jamais de trop.

– C'est vrai, camarade, répondit Ernauton.

Et il partit.

XXXIX La cour aux chevaux

Ernauton partit à l'instant même, et comme il avait pris le cheval du duc en remplacement du sien, qu'il avait donné à Robert Briquet, il marcha rapidement, de sorte que vers la moitié du troisième jour il arriva à Paris.

À trois heures de l'après-midi il entrait au Louvre, au logis des quarante-cinq.

Aucun événement d'importance, d'ailleurs, n'avait signalé son retour.

Les Gascons, en le voyant, poussèrent des cris de surprise.

M. de Loignac, à ces cris, entra, et, en apercevant Ernauton, prit sa figure la plus renfrognée, ce qui n'empêcha point Ernauton de marcher droit à lui.

M. de Loignac fit signe au jeune homme de passer dans le petit cabinet situé au bout du dortoir, espèce de salle d'audience où ce juge sans appel rendait ses arrêts.

– Est-ce donc ainsi qu'on se conduit, monsieur? lui dit-il tout d'abord; voilà, si je compte bien, cinq jours et cinq nuits d'absence, et c'est vous, vous, monsieur, que je croyais un des plus raisonnables, qui donnez l'exemple d'une pareille infraction?

– Monsieur, répondit Ernauton en s'inclinant, j'ai fait ce qu'on m'a dit de faire.

– Et que vous a-t-on dit de faire?

– On m'a dit de suivre M. de Mayenne, et je l'ai suivi.

– Pendant cinq jours et cinq nuits?

– Pendant cinq jours et cinq nuits, monsieur.

– Le duc a donc quitté Paris?

– Le soir même, et cela m'a paru suspect.

– Vous aviez raison, monsieur. Après?

Ernauton se mit alors à raconter succinctement, mais avec la chaleur et l'énergie d'un homme de cœur, l'aventure du chemin et les suites que cette aventure avait eues. À mesure qu'il avançait dans son récit, le visage si mobile de Loignac s'éclairait de toutes les impressions que le narrateur soulevait dans son âme.

Mais lorsque Ernauton en vint à la lettre confiée à ses soins par M. de Mayenne:

– Vous l'avez, cette lettre? s'écria M. de Loignac.

– Oui, monsieur.

– Diable! voilà qui mérite qu'on y prenne quelque attention, répliqua le capitaine; attendez-moi, monsieur, ou plutôt venez avec moi, je vous prie.

Ernauton se laissa conduire, et arriva derrière Loignac dans la cour aux chevaux du Louvre.

Tout se préparait pour une sortie du roi: les équipages étaient en train de s'organiser; M. d'Épernon regardait essayer deux chevaux nouvellement venus d'Angleterre, présent d'Élisabeth à Henri: ces deux chevaux, d'une harmonie de proportions remarquable, devaient ce jour-là même être attelés en première main au carrosse du roi.