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– Pour elle, pour madame la duchesse?

– Pour madame la duchesse.

– Une commission de M. le duc de Mayenne?

– Oui.

Le valet réfléchit un instant.

– Monsieur, dit-il, je ne puis prendre sur moi de vous répondre; mais j'ai ici un supérieur qu'il convient que je consulte. Veuillez attendre.

– Que voilà des gens bien servis, mordieu! dit Ernauton. Quel ordre, quelle consigne, quelle exactitude! Certes, ce sont des gens dangereux que les gens qui peuvent avoir besoin de se garder ainsi. On n'entre pas chez messieurs de Guise comme au Louvre, il s'en faut; aussi commence-je à croire que ce n'est pas le vrai roi de France que je sers.

Et il regarda autour de lui: la cour était déserte; mais toutes les portes des écuries ouvertes, comme si l'on attendait quelque troupe qui n'eût qu'à entrer et à prendre ses quartiers.

Ernauton fut interrompu dans son examen par le valet qui rentra: il était suivi d'un autre valet.

– Confiez-moi votre cheval, monsieur, et suivez mon camarade, dit-il; vous allez trouver quelqu'un qui pourra vous répondre beaucoup mieux que je ne puis le faire, moi.

Ernauton suivit le valet, attendit un instant dans une espèce d'antichambre, et bientôt après, sur l'ordre qu'avait été prendre le serviteur, fut introduit dans une petite salle voisine, où travaillait à une broderie une femme vêtue sans prétention, quoique avec une sorte d'élégance.

Elle tournait le dos à Ernauton.

– Voici le cavalier qui se présente de la part de M. de Mayenne, madame, dit le laquais.

Elle fit un mouvement.

Ernauton poussa un cri de surprise.

– Vous, madame! s'écria-t-il en reconnaissant à la fois et son page et son inconnue de la litière, sous cette troisième transformation.

– Vous! s'écria à son tour la dame, en laissant tomber son ouvrage et en regardant Ernauton.

Puis faisant un signe au laquais:

– Sortez, dit-elle.

– Vous êtes de la maison de madame la duchesse de Montpensier, madame? demanda Ernauton avec surprise.

– Oui, fit l'inconnue; mais vous, vous, monsieur, comment apportez-vous ici un message de M. de Mayenne?

– Par une suite de circonstances que je ne pouvais prévoir et qu'il serait trop long de vous raconter, dit Ernauton avec une circonspection extrême.

– Oh! vous êtes discret, monsieur, continua la dame en souriant.

– Toutes les fois qu'il le faut, oui, madame.

– C'est que je ne vois point ici occasion à discrétion si grande, fit l'inconnue; car, en effet, si vous apportez réellement un message de la personne que vous dites…

Ernauton fit un mouvement.

– Oh! ne nous fâchons pas; si vous apportez en effet un message de la personne que vous dites, la chose est assez intéressante pour qu'en souvenir de notre liaison, tout éphémère qu'elle soit, vous nous disiez quel est ce message.

La dame mit dans ces derniers mots toute la grâce enjouée, caressante et séductrice que peut mettre une jolie femme dans sa requête.

– Madame, répondit Ernauton, vous ne me ferez pas dire ce que je ne sais pas.

– Et encore moins ce que vous ne voulez pas dire.

– Je ne me prononce point, madame, reprit Ernauton en s'inclinant.

– Faites comme il vous plaira à l'égard des communications verbales, monsieur.

– Je n'ai aucune communication verbale à faire, madame; toute ma mission consiste à remettre une lettre à Son Altesse.

– Eh bien! alors cette lettre, dit la dame inconnue en tendant la main.

– Cette lettre? reprit Ernauton.

– Veuillez nous la remettre.

– Madame, dit Ernauton, je croyais avoir eu l'honneur de vous faire connaître que cette lettre était adressée à madame la duchesse de Montpensier.

– Mais, la duchesse absente, reprit impatiemment la dame, c'est moi qui la représente ici; vous pouvez donc…

– Je ne puis.

– Vous défiez-vous de moi, monsieur?

– Je le devrais, madame, dit le jeune homme avec un regard à l'expression duquel il n'y avait point à se tromper; mais malgré le mystère de votre conduite, vous m'avez inspiré, je l'avoue, d'autres sentiments que ceux dont vous parlez.

– En vérité! s'écria la dame en rougissant quelque peu sous le regard enflammé d'Ernauton.

Ernauton s'inclina.

– Faites-y attention, monsieur le messager, dit-elle en riant, vous me faites une déclaration d'amour.

– Mais, oui, madame, dit Ernauton, je ne sais si je vous reverrai jamais, et, en vérité, l'occasion m'est trop précieuse pour que je la laisse échapper.

– Alors, monsieur, je comprends.

– Vous comprenez que je vous aime, madame, c'est chose fort facile à comprendre, en effet.

– Non, je comprends comment vous êtes venu ici.

– Ah! pardon, madame, dit Ernauton, à mon tour, c'est moi qui ne comprends plus.

– Oui, je comprends qu'ayant le désir de me revoir vous avez pris un prétexte pour vous introduire ici.

– Moi, madame, un prétexte! Ah! vous me jugez mal; j'ignorais que je dusse jamais vous revoir, et j'attendais tout du hasard, qui déjà deux fois m'avait jeté sur votre chemin; mais prendre un prétexte, moi, jamais! Je suis un étrange esprit, allez, et je ne pense pas en toute chose comme tout le monde.

– Oh! oh! vous êtes amoureux, dites-vous, et vous auriez des scrupules sur la façon de revoir la personne que vous aimez? Voilà qui est très beau, monsieur, fit la dame avec un certain orgueil railleur; eh bien! je m'en étais doutée que vous aviez des scrupules.

– Et à quoi, madame, s'il vous plaît? demanda Ernauton.

– L'autre jour vous m'avez rencontrée; j'étais en litière; vous m'avez reconnue, et cependant vous ne m'avez pas suivie.

– Prenez garde, madame, dit Ernauton, vous avouez que vous avez fait attention à moi.

– Ah! le bel aveu vraiment! Ne nous sommes-nous pas vus dans des circonstances qui me permettent, à moi surtout, de mettre la tête hors de ma portière quand vous passez? Mais non, monsieur s'est éloigné au grand galop, après avoir poussé un ah! qui m'a fait tressaillir au fond de ma litière.

– J'étais forcé de m'éloigner, madame.

– Par vos scrupules?

– Non, madame, par mon devoir.

– Allons, allons, dit en riant la dame, je vois que vous êtes un amoureux raisonnable, circonspect, et qui craignez surtout de vous compromettre.

– Quand vous m'auriez inspiré certaines craintes, madame, répliqua Ernauton, y aurait-il rien d'étonnant à cela? Est-ce l'habitude, dites-moi, qu'une femme s'habille en homme, force les barrières et vienne voir écarteler en Grève un malheureux, et cela avec force gesticulations plus qu'incompréhensibles, dites?

La dame pâlit légèrement, puis cacha pour ainsi dire sa pâleur sous un sourire.

Ernauton poursuivit.

– Est-il naturel, enfin, que cette dame, aussitôt qu'elle a pris cet étrange plaisir, ait peur d'être arrêtée, et fuie comme une voleuse, elle qui est au service de madame de Montpensier, princesse puissante, quoique assez mal en cour?