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– Place! place! cria rudement Loignac, place au roi!

Borromée, qui avait tiré son épée sous sa robe, remit sous sa robe son épée au fourreau.

Gorenflot, électrisé par les cris, par le bruit des armes, ébloui par le flamboiement des torches, étendit sa dextre puissante, et l'index et le médium étendus, bénit le roi du haut de son balcon.

Henri, qui se penchait à la portière, le vit et le salua en souriant.

Ce sourire, preuve authentique de la faveur dont le digne prieur des jacobins jouissait en cour, électrisa Gorenflot, qui entonna à son tour un: Vive le roi! avec des poumons capables de soulever les arceaux d'une cathédrale.

Mais le reste du couvent resta muet. En effet, il attendait une tout autre solution à ces deux mois de manœuvres et à cette prise d'armes qui en avait été la suite.

Mais Borromée, en véritable reître qu'il était, avait d'un coup d'œil calculé le nombre des défenseurs du roi, reconnu leur maintien guerrier. L'absence des partisans de la duchesse lui révélait le sort fatal de l'entreprise: hésiter à se soumettre, c'était tout perdre.

Il n'hésita plus, et au moment où le poitrail du cheval de Loignac allait le heurter, il cria: Vive le roi! d'une voix presque aussi sonore que venait de le faire Gorenflot.

Alors le couvent tout entier hurla: Vive le roi! en agitant ses armes.

– Merci, mes révérends pères, merci! cria la voix stridente de Henri III.

Puis il passa devant le couvent, qui devait être le terme de sa course, comme un tourbillon de feu, de bruit et de gloire, laissant derrière lui Bel-Esbat dans l'obscurité.

Du haut de son balcon, cachée par l'écusson de fer doré, derrière lequel elle était tombée à genoux, la duchesse voyait, interrogeait, dévorait chaque visage, sur lequel les torches jetaient leur flamboyante lumière.

– Ah! fit-elle avec un cri, en désignant un des cavaliers de l'escorte. Voyez! voyez, Mayneville!

– Le jeune homme, le messager de M. le duc de Mayenne au service du roi! s'écria celui-ci.

– Nous sommes perdus! murmura la duchesse.

– Il faut fuir, et promptement, madame, dit Mayneville; vainqueur aujourd'hui, le Valois abusera demain de sa victoire.

– Nous avons été trahis! s'écria la duchesse. Ce jeune homme nous a trahis! Il savait tout!

Le roi était déjà loin: il avait disparu, avec toute son escorte, sous la porte Saint-Antoine, qui s'était ouverte devant lui et refermée derrière lui.

XLIV Comment Chicot bénit le roi Louis XI d'avoir inventé la poste, et résolut de profiter de cette invention

Chicot, auquel nos lecteurs nous permettront de revenir, Chicot, après la découverte importante qu'il venait de faire en dénouant les cordons du masque de M. de Mayenne, Chicot n'avait pas un instant à perdre pour se jeter le plus vite possible hors du retentissement de l'aventure.

Entre le duc et lui, c'était désormais, on le comprend bien, un combat à mort. Blessé dans sa chair, moins douloureusement que dans son amour-propre, Mayenne, qui maintenant, aux anciens coups de fourreau, joignait le récent coup de lame, Mayenne ne pardonnerait jamais.

– Allons! allons! s'écria le brave Gascon, en précipitant sa course du côté de Beaugency, c'est ici l'occasion ou jamais de faire courir sur des chevaux de poste l'argent réuni de ces trois illustres personnages, qu'on appelle Henri de Valois, dom Modeste Gorenflot et Sébastien Chicot.

Habile comme il l'était à mimer, non seulement tous les sentiments, mais encore toutes les conditions, Chicot prit à l'instant même l'air d'un grand seigneur, comme il avait pris, dans des conditions moins précaires, l'air d'un bon bourgeois. Aussi, jamais prince ne fut servi avec plus de zèle que maître Chicot, lorsqu'il eut vendu le cheval d'Ernauton, et causé un quart d'heure avec le maître de poste.

Chicot, une fois en selle, était résolu de ne point s'arrêter qu'il ne se jugeât lui-même en lieu de sûreté: il galopa donc aussi vite que voulurent bien le lui permettre les chevaux de trente relais. Quant à lui, il semblait fait d'acier, ne paraissant pas, au bout de soixante lieues dévorées en vingt heures, éprouver la moindre fatigue.

Lorsque, grâce à cette rapidité, il eut en trois jours atteint Bordeaux, Chicot jugea qu'il lui était parfaitement permis de reprendre quelque peu haleine.

On peut penser, quand on galope; on ne peut même guère faire que cela.

Chicot pensa donc beaucoup.

Son ambassade, qui prenait de la gravité au fur et à mesure qu'il s'avançait vers le terme de son voyage, son ambassade lui apparut sous un jour bien différent, sans que nous puissions dire précisément sous quel jour elle lui apparut.

Quel prince allait-il trouver dans cet étrange Henri, que les uns croyaient un niais, les autres un lâche, tous un renégat sans conséquence?

Mais son opinion à lui, Chicot, n'était pas celle de tout le monde. Depuis son séjour en Navarre, le caractère de Henri, comme la peau du caméléon, qui subit le reflet de l'objet sur lequel il se trouve, le caractère de Henri, touchant le sol natal, avait éprouvé quelques nuances.

C'est que Henri avait su mettre assez d'espace entre la griffe royale et cette précieuse peau, qu'il avait si habilement sauvée de tout accroc pour ne plus redouter les atteintes.

Cependant sa politique extérieure était toujours la même; il s'éteignait dans le bruit général, éteignant avec lui et autour de lui quelques noms illustres, que, dans le monde français, on s'étonnait de voir refléter leur clarté sur une pâle couronne de Navarre. Comme à Paris, il faisait cour assidue à sa femme, dont l'influence, à deux cents lieues de Paris, semblait cependant être devenue inutile. Bref, il végétait, heureux de vivre.

Pour le vulgaire, c'était sujet d'hyperboliques railleries.

Pour Chicot, c'était matière à profondes réflexions.

Lui Chicot, si peu ce qu'il paraissait être, savait naturellement deviner chez les autres le fond sous l'enveloppe. Henri de Navarre, pour Chicot, n'était donc pas encore une énigme devinée, mais c'était une énigme.

Savoir que Henri de Navarre était une énigme et non pas un fait pur et simple, c'était déjà beaucoup savoir. Chicot en savait donc plus que tout le monde, en sachant, comme ce vieux sage de la Grèce, qu'il ne savait rien.

Là où tout le monde se fût avancé le front haut, la parole libre, le cœur sur les lèvres, Chicot sentait donc qu'il fallait aller le cœur serré, la parole composée, le front grimé comme celui d'un acteur.

Cette nécessité de dissimulation lui fut inspirée, d'abord par sa pénétration naturelle, ensuite par l'aspect des lieux qu'il parcourait.

Une fois dans la limite de cette petite principauté de Navarre, pays dont la pauvreté était proverbiale en France, Chicot, à son grand étonnement, cessa de voir imprimée sur chaque visage, sur chaque maison, sur chaque pierre, la dent de cette misère hideuse qui rongeait les plus belles provinces de cette superbe France qu'il venait de quitter.

Le bûcheron qui passait le bras appuyé au joug de son bœuf favori; la fille au jupon court et à la démarche alerte, qui portait l'eau sur sa tête à la façon des choéphores antiques; le vieillard qui chantonnait une chanson de sa jeunesse en branlant sa tête blanchie; l'oiseau familier qui jacassait dans sa cage en picotant la mangeoire pleine; l'enfant bruni, aux membres maigres, mais nerveux, qui jouait sur les tas de feuilles de maïs; tout parlait à Chicot une langue vivante, claire, intelligible; tout lui criait, à chaque pas qu'il faisait en avant: