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Toute cette lutte de l'homme contre les mâchoires ferrées de l'imposte ne s'était point exécutée sans bruit; aussi Chicot, en se relevant, se trouva-t-il face à face avec un soldat.

– Ah! mon Dieu! vous seriez-vous fait mal, monsieur Chicot? lui demanda celui-ci en lui présentant le bout de sa hallebarde en guise de soutien.

– Encore! pensa Chicot.

Puis, songeant à l'intérêt que lui avait témoigné ce brave homme:

– Non, mon ami, lui dit-il, aucun.

– C'est bien heureux, dit le soldat, je défie que qui que ce soit accomplisse un pareil tour sans se casser la tête; en vérité, il n'y avait que vous pour cela, monsieur Chicot.

– Mais d'où diable sais-tu mon nom? demanda Chicot surpris, en essayant toujours de passer.

– Je le sais, parce que je vous ai vu au palais aujourd'hui, et que j'ai demandé: Quel est ce gentilhomme de haute mine qui cause avec le roi?

– C'est monsieur Chicot, m'a-t-on répondu; voilà comment je le sais.

– C'est on ne peut plus galant, dit Chicot; mais comme je suis très pressé, mon ami, tu permettras…

– Quoi, monsieur Chicot?

– Que je te quitte et que j'aille à mes affaires.

– Mais on ne sort pas du palais la nuit; j'ai une consigne.

– Tu vois bien qu'on en sort, puisque j'en suis sorti, moi.

– C'est une raison, je le sais bien; mais…

– Mais?

– Vous rentrerez, voilà tout, monsieur Chicot.

– Ah! non.

– Comment, non!

– Pas par là du moins, la route est trop mauvaise.

– Si j'étais un officier au lieu d'être un soldat, je vous demanderais pourquoi vous êtes sorti par là; mais cela ne me regarde point; ce qui me regarde, c'est que vous rentriez. Rentrez donc, monsieur Chicot, je vous en prie.

Et le soldat mit dans sa prière un tel accent de persuasion, que cet accent toucha Chicot. En conséquence Chicot fouilla dans sa poche, et en tira dix pistoles.

– Tu es trop ménager, mon ami, lui dit-il, pour ne pas comprendre que, puisque j'ai mis mes habits dans un état pareil pour être passé par là, ce serait bien pis si j'y repassais; j'achèverais alors de déchirer mes habits, et j'irais tout nu, ce qui serait fort indécent, dans une cour où il y a tant de jeunes et jolies femmes, à commencer par la reine; laisse-moi donc passer pour aller chez le tailleur, mon ami.

Et il lui mit les dix pistoles dans la main.

– Passez vite alors, monsieur Chicot, passez vite.

Et il empocha l'argent.

Chicot était dans la rue; il s'orienta; il avait parcouru la ville pour arriver au palais, c'était la route opposée à suivre, puisqu'il devait sortir par la porte opposée à celle par laquelle il était entré. Voilà tout.

La nuit, claire et sans nuages, n'était pas favorable à une évasion. Chicot regrettait ces bonnes nuits brumeuses de France, qui, à l'heure qu'il était, faisaient que, dans les rues de Paris, on pouvait passer à quatre pas l'un de l'autre sans se voir; en outre, sur le pavé pointu de la ville, ses souliers ferrés résonnaient comme des fers de cheval.

Le malencontreux ambassadeur n'eut pas plus tôt tourné le coin de la rue, qu'il rencontra une patrouille.

Il s'arrêta de lui-même en songeant qu'il aurait l'air suspect en essayant de se dissimuler ou de forcer le passage.

– Eh! bonsoir, monsieur Chicot, lui dit le chef de la patrouille, en le saluant de l'épée, voulez-vous que nous vous reconduisions au palais? vous m'avez tout l'air d'être égaré et de chercher votre chemin.

– Ah ça! tout le monde me connaît donc ici? murmura Chicot. Pardieu! voilà qui est étrange.

Puis tout haut et de l'air le plus dégagé qu'il put prendre:

– Non, cornette, dit-il, vous vous trompez, je ne vais point au palais.

– Vous avez tort, monsieur Chicot, répondit gravement l'officier.

– Et pourquoi cela, monsieur?

– Parce qu'un édit très sévère défend aux habitants de Nérac de sortir la nuit, à moins d'urgente nécessité, sans permission et sans lanterne.

– Excusez-moi, monsieur, dit Chicot, mais l'édit ne peut me regarder, moi.

– Et pourquoi cela?

– Je ne suis point de Nérac.

– Oui, mais vous êtes à Nérac… Habitant ne veut pas dire qui est de… habitant veut dire qui demeure à… Or, vous ne nierez pas que vous ne demeuriez à Nérac, puisque je vous rencontre dans les rues de Nérac.

– Vous êtes logique, monsieur; malheureusement, moi, je suis pressé. Faites donc une petite infraction à votre consigne et laissez-moi passer, je vous prie.

– Vous allez vous perdre, monsieur Chicot; Nérac est une ville tortueuse, vous tomberez dans quelque trou punais, vous avez besoin d'être guidé; permettez que trois de mes hommes vous reconduisent au palais.

– Mais je ne vais pas au palais, vous dis-je.

– Où allez-vous donc, alors?

– Je ne puis dormir la nuit, et alors, je me promène. Nérac est une charmante ville pleine d'accidents, à ce qu'il m'a paru; je veux la voir, l'étudier.

– On vous conduira partout où vous désirerez, monsieur Chicot. Holà! trois hommes! – Je vous en supplie, monsieur, ne m'ôtez pas le pittoresque de ma promenade; j'aime à aller seul.

– Vous serez assassiné par les voleurs.

– J'ai mon épée.

– Ah! c'est vrai, je ne l'avais pas vue; alors vous serez arrêté par le prévôt comme étant armé.

Chicot vit qu'il n'y avait pas moyen de s'en tirer par des subtilités; il prit l'officier à part.

– Voyons, monsieur, dit-il, vous êtes jeune et charmant, vous savez ce que c'est que l'amour, un tyran impérieux.

– Sans doute, monsieur Chicot, sans doute.

– En bien! l'amour me brûle, cornette. J'ai une certaine dame à visiter.

– Où cela?

– Dans un certain quartier.

– Jeune?

– Vingt-trois ans.

– Belle?

– Comme les amours.

– Je vous en fais mon compliment, monsieur Chicot.

– Bien! vous m'allez laisser passer, alors?

– Dame! il y a urgence, à ce qu'il paraît?