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– Moi, madame?

– Ne m'interrompez point, je vous prie. Quoique enfin vous ayez aspiré à un bien trop au-dessus de vos ambitions, l'amitié que je vous portais et celle que j'ai vouée aux personnes d'honneur à qui vous appartenez, me pousse à vous secourir dans le malheur où l'on vous voit en ce moment.

– Madame, je vous jure…

– Ne niez pas, j'ai déjà trop de chagrins; ne ruinez pas d'honneur, vous d'abord, et moi ensuite, moi qui ai presque autant d'intérêt que vous à votre honneur, puisque vous m'appartenez. Mademoiselle, dites-moi tout, et en ceci je vous servirai comme une mère.

– Oh! madame! madame! croyez-vous donc à ce qu'on dit?

– Prenez garde de m'interrompre, mademoiselle, car, à ce qu'il me semble, le temps presse. Je voulais dire qu'en ce moment, M. Chirac, qui sait votre maladie, vous vous rappelez les paroles qu'il a dites à l'instant même, qu'en ce moment, M. Chirac est dans les antichambres où il annonce à tous que la maladie contagieuse dont on parle dans le pays, est au palais, et que vous menacez d'en être atteinte. Cependant, moi, s'il en est temps encore, je vous emmènerai au Mas-d'Agenois, qui est une maison fort écartée du roi, mon mari; nous serons là seules ou à peu près; le roi, de son côté, part avec sa suite pour une chasse, qui, dit-il, doit le retenir plusieurs jours dehors; nous ne sortirons du Mas-d'Agenois qu'après votre délivrance.

– Madame! madame! s'écria la Fosseuse, pourpre à la fois de honte et de douleur, si vous ajoutez foi à tout ce qui se dit sur mon compte, laissez-moi misérablement mourir.

– Vous répondez mal à ma générosité, mademoiselle, et vous comptez aussi par trop sur l'amitié du roi, qui m'a priée de ne pas vous abandonner.

– Le roi!… le roi aurait dit?…

– En doutez-vous, quand je parle, mademoiselle? Moi, si je ne voyais les symptômes de votre mal réel, si je ne devinais, à vos souffrances, que la crise approche, j'aurais peut-être foi en vos dénégations.

Dans ce moment, comme pour donner entièrement raison à la reine, la pauvre Fosseuse, terrassée par les douleurs d'un mal furieux, retomba livide et palpitante sur son lit.

Marguerite la regarda quelque temps sans colère, mais aussi sans pitié.

– Faut-il toujours que je croie à vos dénégations, mademoiselle? dit-elle enfin à la pauvre fille, quand celle-ci put se relever et montra en se relevant un visage si bouleversé et si baigné de larmes, qu'il eût attendri Catherine elle-même.

En ce moment, et comme si Dieu eût voulu envoyer du secours à la malheureuse enfant, la porte s'ouvrit, et le roi de Navarre entra précipitamment.

Henri, qui n'avait point pour dormir les mêmes raisons que Chicot, n'avait pas dormi, lui.

Après avoir travaillé une heure avec Mornay, et avoir pendant cette heure pris toutes ses dispositions pour la chasse si pompeusement annoncée à Chicot, il était accouru au pavillon des filles d'honneur.

– Eh bien! que dit-on? fit-il en entrant, que ma fille Fosseuse est toujours souffrante!

– Voyez-vous, madame, s'écria la jeune fille à la vue de son amant, et rendue plus forte par le secours qui lui arrivait, voyez-vous que le roi n'a rien dit et que je fais bien de nier?

– Monsieur, interrompit la reine en se retournant vers Henri, faites cesser, je vous prie, cette lutte humiliante; je crois avoir compris tantôt que Votre Majesté m'avait honorée de sa confiance et révélé l'état de mademoiselle. Avertissez-la donc que je suis au courant de tout, pour qu'elle ne se permette pas de douter lorsque j'affirme.

– Ma fille, demanda Henri avec une tendresse qu'il n'essayait pas même de voiler, vous persistez donc à nier?

– Le secret ne m'appartient pas, sire, répondit la courageuse enfant, et tant que je n'aurai pas de votre bouche reçu congé de tout dire…

– Ma fille Fosseuse est un brave cœur, madame, répliqua Henri; pardonnez-lui, je vous en conjure; et vous, ma fille, ayez en la bonté de votre reine toute confiance; la reconnaissance me regarde, et je m'en charge.

Et Henri prit la main de Marguerite et la serra avec effusion.

En ce moment, un flot amer de douleur vint assaillir de nouveau la jeune fille; elle céda donc une seconde fois sous la tempête, et, pliée comme un lis, elle inclina sa tête avec un sourd et douloureux gémissement.

Henri fut touché jusqu'au fond du cœur, quand il vit ce front pâle, ces yeux noyés, ces cheveux humides et épars; quand il vit enfin perler sur les tempes et sur les lèvres de Fosseuse cette sueur de l'angoisse qui semble voisine de l'agonie.

Il se précipita tout éperdu vers elle, et, les bras ouverts:

– Fosseuse! chère Fosseuse! murmura-t-il en tombant à genoux devant son lit.

Marguerite, sombre et silencieuse, alla coller son front brûlant aux vitres de la fenêtre.

Fosseuse eut la force de soulever ses bras pour les passer au cou de son amant, puis elle attacha ses lèvres sur les siennes, croyant qu'elle allait mourir, et que dans ce dernier, dans ce suprême baiser, elle jetait à Henri son âme et son adieu.

Puis elle retomba sans connaissance.

Henri, aussi pâle qu'elle, inerte et sans voix comme elle, laissa tomber sa tête sur le drap de son lit d'agonie, qui semblait si près de devenir un linceul.

Marguerite s'approcha de ce groupe, où étaient confondues la douleur physique et la douleur morale.

– Relevez-vous, monsieur, et laissez-moi accomplir le devoir que vous m'avez imposé, dit-elle avec une énergique majesté.

Et comme Henri semblait inquiet de cette manifestation et se soulevait à demi sur un genou:

– Oh! ne craignez rien, monsieur, dit-elle, dès que mon orgueil seul est blessé, je suis forte; contre mon cœur, je n'eusse point répondu de moi, mais heureusement mon cœur n'a rien à faire dans tout ceci.

Henri releva la tête.

– Madame? dit-il.

– N'ajoutez pas un mot, monsieur, fit Marguerite en étendant sa main, ou je croirais que votre indulgence a été un calcul. Nous sommes frère et sœur, nous nous entendrons.

Henri la conduisit jusqu'à Fosseuse, dont il mit la main glacée dans la main fiévreuse de Marguerite.

– Allez, sire, allez, dit la reine, partez pour la chasse. À cette heure, plus vous emmènerez de gens avec vous, plus vous éloignerez de curieux du lit de… mademoiselle.