Выбрать главу

Et Loignac, debout près de la portière de velours, voyant que M. d'Épernon passait sans souffler mot, se retourna-t-il brusquement vers les quarante-cinq en leur disant:

– Le roi n'a plus besoin de vous, messieurs, allez vous coucher.

À deux heures du matin, tout le monde dormait au Louvre.

Le secret de l'aventure avait été fidèlement gardé et n'avait transpiré nulle part. Les bons bourgeois de Paris ronflaient donc consciencieusement, sans se douter qu'ils avaient touché du bout du doigt à l'avènement au trône d'une dynastie nouvelle.

M. d'Épernon se fit débotter sur-le-champ, et au lieu de courir la ville, comme il en avait l'habitude, avec une trentaine de cavaliers, il suivit l'exemple que lui avait donné son illustre maître en se mettant au lit sans adresser la parole à personne.

Le seul Loignac qui, pareil au justum et tenacem d'Horace, n'eût pas été distrait de ses devoirs par la chute du monde, le seul Loignac visita les postes des Suisses et des gardes françaises qui faisaient leur service avec régularité, mais sans excès de zèle.

Trois légères infractions aux lois de la discipline furent punies cette nuit-là comme des fautes graves.

Le lendemain Henri, dont tant de gens attendaient le réveil avec impatience, pour savoir à quoi s'en tenir sur ce qu'ils devaient espérer de lui, le lendemain Henri prit quatre bouillons dans son lit au lieu de deux, qu'il avait l'habitude de prendre, et fit prévenir M. d'O et M. de Villequier qu'ils eussent à venir travailler dans sa chambre à la rédaction d'un nouvel édit des finances.

La reine reçut avis de dîner seule, et, comme elle faisait témoigner par un gentilhomme quelque inquiétude pour la santé de Sa Majesté, Henri daigna répondre que le soir il recevrait les dames et ferait la collation dans son cabinet.

Même réponse fut faite à un gentilhomme de la reine-mère, qui, depuis deux ans retirée en son hôtel de Soissons, envoyait cependant chaque jour prendre des nouvelles de son fils.

MM. les secrétaires d'État se regardèrent avec inquiétude. Le roi était ce matin-là distrait au point que leurs énormités en matière d'exactions n'arrachèrent pas même un sourire à Sa Majesté.

Or, la distraction d'un roi est surtout inquiétante pour des secrétaires d'État.

Mais, en échange, Henri jouait avec master Love, lui disant, chaque fois que l'animal serrait ses doigts effilés entre ses petites dents blanches:

– Ah! ah! rebelle! tu me veux mordre aussi, toi? ah! ah! petit chien, tu t'attaques aussi à ton roi? mais tout le monde s'en mêle donc aujourd'hui?

Puis Henri, avec autant d'efforts apparents qu'Hercule, fils d'Alcmène, en fit pour dompter le lion de Némée, Henri domptait ce monstre gros comme le poing, tout en lui disant avec une satisfaction indicible:

– Vaincu, master Love, vaincu, infâme ligueur de master Love, vaincu! vaincu!! vaincu!!!

Ce fut tout ce que MM. d'O et Villequier, ces deux grands diplomates qui croyaient qu'aucun secret humain ne devait leur échapper, purent saisir au passage. À part ces apostrophes à master Love, Henri était demeuré parfaitement silencieux.

Il eut à signer, il signa; il eut à écouter, il écouta en fermant les yeux avec tant de naturel, qu'il fut impossible de savoir s'il écoutait ou s'il dormait.

Enfin trois heures de l'après-midi sonnèrent.

Le roi fit appeler M. d'Épernon.

On lui répondit que le duc passait la revue des chevau-légers.

Il demanda Loignac.

On lui répondit que Loignac essayait des chevaux limousins.

On s'attendait à voir le roi contrarié de ce double échec que venait de subir sa volonté; pas du tout: contre l'attente générale, le roi, de l'air le plus dégagé du monde, se mit à siffloter une fanfare de chasse, distraction à laquelle il ne se livrait que lorsqu'il était parfaitement satisfait de lui.

Il était évident que toute l'envie que le roi avait eue de se taire depuis le matin se changeait en une démangeaison croissante de parler.

Cette démangeaison finit par devenir un besoin irrésistible; mais le roi, n'ayant personne, fut obligé de parler tout seul.

Il demanda son goûter, et, pendant qu'il goûtait, se fit faire une lecture édifiante, qu'il interrompit pour dire au lecteur:

– C'est Plutarque, n'est-ce pas, qui a écrit la vie de Sylla?

Le lecteur, qui lisait du sacré, et que l'on interrompait par une question profane, se retourna avec étonnement du côté du roi.

Le roi répéta sa question.

– Oui, sire, répondit le lecteur.

– Vous souvenez-vous de ce passage où l'historien raconte que le dictateur évita la mort?

Le lecteur hésita.

– Non pas, sire, précisément, dit-il; il y a fort longtemps que je n'ai lu Plutarque.

En ce moment on annonça Son Éminence le cardinal de Joyeuse.

– Ah! justement, s'écria le roi, voici un savant homme, notre ami; il va nous dire cela sans hésiter, lui.

– Sire, dit le cardinal, serais-je assez heureux pour arriver à propos? c'est chose rare en ce monde.

– Ma foi, oui; vous avez entendu ma question?

– Votre Majesté demandait, je crois, de quelle façon et en quelle circonstance le dictateur Sylla échappa à la mort.

– Justement. Pouvez-vous y répondre, cardinal?

– Rien de plus facile, sire.

– Tant mieux.

– Sylla, qui fit tuer tant d'hommes, sire, ne risqua jamais perdre la vie que dans les combats: Votre Majesté faisait-elle allusion à un combat?

– Oui, et dans un des combats qu'il livra, je crois me rappeler qu'il vit la mort de très près.

Ouvrez un Plutarque, s'il vous plaît, cardinal; il doit y en avoir un là, traduit par ce bon Amyot, et lisez-moi ce passage de la vie du Romain où il échappa, grâce à la vitesse de son cheval blanc, aux javelines de ses ennemis.

– Sire, il n'est point besoin d'ouvrir Plutarque pour cela, l'événement eut lieu dans le combat qu'il livra à Teleserius le Samnite, et à Lamponius le Lucanien.

– Vous devez savoir cela mieux que personne, mon cher cardinal, vous êtes si savant.

– Votre Majesté est vraiment trop bonne pour moi, répondit le cardinal en s'inclinant.

– Maintenant, dit le roi après une courte pause, maintenant expliquez-moi comment le lion romain, qui était si cruel, ne fut jamais inquiété par ses ennemis.