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– Sire, dit le cardinal, je répondrai à Votre Majesté par un mot de ce même Plutarque.

– Répondez, Joyeuse, répondez.

– Carbon, l'ennemi de Sylla, disait souvent:

«J'ai à combattre tout à la fois un lion et un renard qui habitent dans l'âme de Sylla; mais c'est le renard qui me donne la plus grande peine.»

– Ah! oui-dà, répondit Henri rêveur, c'était le renard!

– Plutarque le dit, sire.

– Et il a raison, fit le roi, il a raison, cardinal. Mais à propos de combat, avez-vous reçu des nouvelles de votre frère?

– Duquel, sire? Votre Majesté sait que j'en ai quatre.

– Du duc d'Arques, de mon ami, enfin.

– Pas encore, sire.

– Pourvu que M. le duc d'Anjou, qui, jusqu'ici, a si bien su faire le renard, sache maintenant faire un peu le lion! dit le roi.

Le cardinal ne répondit point; car, cette fois, Plutarque ne lui était d'aucun secours; il craignait, en adroit courtisan, de répondre désagréablement au roi en répondant agréablement pour le duc d'Anjou.

Henri, voyant que le cardinal gardait le silence, en revint à ses batailles avec maître Love; puis, tout en faisant signe au cardinal de rester, il se leva, s'habilla somptueusement et passa dans son cabinet, où sa cour l'attendait.

C'est surtout à la cour que l'on sent avec le même instinct que l'on retrouve chez les montagnards, c'est surtout à la cour que l'on sent l'approche ou la fin des orages; sans que nul eût parlé, sans que nul eût encore aperçu le roi, tout le monde était disposé selon la circonstance.

Les deux reines étaient visiblement inquiètes.

Catherine, pâle et anxieuse, saluait beaucoup et parlait d'une manière brève et saccadée.

Louise de Vaudémont ne regardait personne et n'écoutait rien.

Il y avait des moments où la pauvre jeune femme avait l'air de perdre la raison.

Le roi entra.

Il avait l'œil vif et le teint rose: on pouvait lire sur son visage une apparence de bonne humeur qui produisit sur tous ces visages mornes qui attendaient l'apparition du sien, l'effet que produit un coup de soleil sur les bosquets jaunis par l'automne.

Tout fut doré, empourpré à l'instant même; en une seconde tout rayonna.

Henri baisa la main de sa mère et celle de sa femme avec la même galanterie que s'il eût encore été duc d'Anjou. Il adressa mille flatteuses politesses aux dames qui n'étaient plus habituées à des retours de cette sorte, et alla même jusqu'à leur offrir des dragées.

– On était inquiet de votre santé, mon fils, dit Catherine regardant le roi avec une attention particulière, comme pour s'assurer que ce teint n'était pas du fard, que cette belle humeur n'était pas un masque.

– Et l'on avait tort, madame, répondit le roi; je ne me suis jamais mieux porté.

Et il accompagna ces paroles d'un sourire qui passa sur toutes les bouches.

– Et à quelle heureuse influence, mon fils, demanda Catherine avec une inquiétude mal déguisée, devez-vous cette amélioration dans votre santé?

– À ce que j'ai beaucoup ri, madame, répondit le roi.

Tout le monde se regarda avec un si profond étonnement, qu'il semblait que le roi venait de dire une énormité.

– Beaucoup ri? Vous pouvez beaucoup rire, mon fils, fit Catherine avec sa mine austère, alors vous êtes bien heureux.

– Voilà cependant comme je suis, madame.

– Et à quel propos vous êtes-vous laissé aller à une pareille hilarité?

– Il faut vous dire, ma mère, qu'hier soir j'étais allé au bois de Vincennes.

– Je l'ai su.

– Ah! vous l'avez su?

– Oui, mon fils: tout ce qui vous touche m'importe; je ne vous apprends rien de nouveau.

– Non, sans doute; j'étais donc allé au bois de Vincennes, lorsqu'au retour mes éclaireurs me signalèrent une armée ennemie dont les mousquets brillaient sur la route.

– Une armée ennemie sur la route de Vincennes?

– Oui, ma mère.

– Et où cela?

– En face la piscine des Jacobins, près de la maison de notre bonne cousine.

– Près de la maison de madame de Montpensier! s'écria Louise de Vaudémont.

– Précisément; oui, madame, près de Bel-Esbat; j'approchai bravement pour livrer bataille, et j'aperçus…

– Mon Dieu! continuez, sire, fit la reine, véritablement inquiète.

– Oh! rassurez-vous, madame.

Catherine attendait avec anxiété; mais ni une parole ni un geste ne trahissaient son inquiétude.

– J'aperçus, continua le roi, un prieuré tout entier de bons moines qui me présentaient les armes avec de belliqueuses acclamations.

Le cardinal de Joyeuse se mit à rire: toute la cour renchérit aussitôt sur cette manifestation.

– Oh! dit le roi, riez, riez, vous avez raison, car il en sera parlé longtemps; j'ai en France plus de dix mille moines dont je ferai au besoin dix mille mousquetaires; alors je créerai une charge de grand-maître des mousquetaires tonsurés de Sa Majesté très chrétienne, et je vous la donnerai, cardinal.

– Sire, j'accepte; tous les services me seront bons, pourvu qu'ils agréent à Votre Majesté.

Pendant le colloque du roi et du cardinal, les dames s'étaient levées selon l'étiquette du temps, et une à une, après avoir salué le roi, elles quittaient la chambre; la reine les suivit avec ses dames d'honneur.

La reine-mère demeura seule; il y avait dans la gaîté insolite du roi un mystère qu'elle voulait approfondir.

– Ah! cardinal, dit tout à coup le roi au prélat, qui se préparait à partir, voyant la reine-mère rester et devinant qu'elle voulait parler à son fils, à propos, que devient donc votre frère du Bouchage?

– Mais, sire, je ne sais.

– Comment, vous ne savez?

– Non, je le vois à peine, ou plutôt je ne le vois plus, répliqua le cardinal.

Une voix grave et triste résonna au fond de l'appartement.

– Me voici, sire, dit cette voix.

– Eh! c'est lui, s'écria Henri; approchez, comte, approchez.

Le jeune homme obéit.

– Eh! vive Dieu! dit le roi le regardant avec étonnement, sur ma foi de gentilhomme, ce n'est plus un corps, c'est une ombre qui marche.