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– Sire, il travaille beaucoup, balbutia le cardinal, stupéfait lui-même du changement que huit jours avaient apporté dans le maintien et sur le visage de son frère.

En effet, du Bouchage était pâle comme une statue de cire, et son corps, sous la soie et la broderie, participait de la roideur et de la ténuité des ombres.

– Venez ça, jeune homme, lui dit le roi, venez. Merci, cardinal, de votre citation de Plutarque; en pareille occasion, je vous promets de recourir toujours à vous.

Le cardinal devina que le roi désirait rester seul avec Henri, et s'esquiva légèrement.

Le roi le vit partir du coin de l'œil, et ramena son regard sur sa mère, laquelle demeurait immobile.

Il ne restait plus dans le salon que la reine mère, M. d'Épernon, qui lui faisait mille civilités, et du Bouchage.

À la porte se tenait Loignac, moitié courtisan, moitié soldat, faisant son service plutôt qu'autre chose.

Le roi s'assit et fit signe à du Bouchage d'approcher de lui.

– Comte, lui dit-il, pourquoi vous cachez-vous ainsi derrière les dames, ne savez-vous point que j'ai plaisir à vous voir?

– Ce m'est un honneur bien grand que cette bonne parole, sire, répondit le jeune homme en s'inclinant avec un profond respect.

– Alors, comte, d'où vient donc qu'on ne vous voit plus au Louvre?

– On ne me voit plus, sire?

– Non, en vérité, et je m'en plaignais à votre frère le cardinal, qui est encore plus savant que je ne croyais.

– Si Votre Majesté ne me voit pas, dit Henri, c'est qu'elle n'a pas daigné jeter les yeux sur le coin de ce cabinet, sire, j'y suis tous les jours à la même heure quand le roi paraît. J'assiste de même régulièrement au lever de Sa Majesté, et je la salue encore respectueusement quand elle sort du conseil. Jamais je n'y ai manqué, et jamais je n'y manquerai, tant que je pourrai me tenir debout, car c'est un devoir sacré pour moi.

– Et c'est cela qui te rend si triste? dit amicalement Henri.

– Oh! Votre Majesté ne le pense pas.

– Non, ton frère et toi, vous m'aimez.

– Sire.

– Et je vous aime aussi. À propos, tu sais que ce pauvre Anne m'a écrit de Dieppe.

– Je l'ignorais, sire.

– Oui, mais tu n'ignores pas qu'il était désolé de partir.

– Il m'a avoué ses regrets de quitter Paris.

– Oui, mais sais-tu ce qu'il m'a dit: c'est qu'il existait un homme qui eût regretté Paris bien davantage, et que si cet ordre te fût arrivé à toi, tu serais mort.

– Peut-être, sire.

– Il m'a dit plus, car il dit beaucoup de choses, ton frère, quand il ne boude point toutefois; il m'a dit que, le cas échéant, tu m'eusses désobéi; est-ce vrai?

– Sire, Votre Majesté a eu raison de mettre ma mort avant ma désobéissance.

– Mais enfin, si tu n'étais pas mort cependant de douleur à l'ordre de ce départ?

– Sire, c'eût été une plus terrible souffrance pour moi de désobéir que de mourir, et cependant, ajouta le jeune homme en baissant son front pâle comme pour cacher son embarras, j'eusse désobéi.

Le roi se croisa les bras et regarda Joyeuse.

– Ah ça! dit-il, mais tu es un peu fou, ce me semble, mon pauvre comte.

Le jeune homme sourit tristement.

– Oh! je le suis tout à fait, sire, dit-il, et Votre Majesté a tort de ménager les termes à mon endroit.

– Alors, c'est sérieux, mon ami.

Joyeuse étouffa un soupir.

– Raconte-moi cela. Voyons?

Le jeune homme poussa l'héroïsme jusqu'à sourire.

– Un grand roi comme vous êtes, sire, ne peut s'abaisser jusqu'à de pareilles confidences.

– Si fait, Henri, si fait, dit le roi; parle, raconte, tu me distrairas.

– Sire, répondit le jeune homme avec fierté, Votre Majesté se trompe; je dois le dire, il n'y a rien dans ma tristesse qui puisse distraire un noble cœur.

Le roi prit la main du jeune homme.

– Allons, allons, dit-il, ne te fâche pas, du Bouchage; tu sais que ton roi, lui aussi, a connu les douleurs d'un amour malheureux.

– Je le sais, oui, sire, autrefois.

– Je compatis donc à tes souffrances.

– C'est trop de bontés de la part d'un roi.

– Non pas; écoute, parce qu'il n'y avait rien au-dessus de moi, quand je souffris ce que tu souffres, que le pouvoir de Dieu, je n'ai pu m'aider de rien; toi, au contraire, mon enfant, tu peux t'aider de moi.

– Sire?

– Et par conséquent, continua Henri avec une affectueuse tristesse, espérer de voir la fin de tes peines.

Le jeune homme secoua la tête en signe de doute.

– Du Bouchage, dit Henri, tu seras heureux, ou je cesserai de m'appeler le roi de France.

– Heureux, moi! hélas! sire, c'est chose impossible, dit le jeune homme avec un sourire mêlé d'une amertume inexprimable.

– Et pourquoi cela?

– Parce que mon bonheur n'est pas de ce monde.

– Henri, insista le roi, votre frère, en partant, vous a recommandé à moi comme à un ami. Je veux, puisque vous ne consultez, sur ce que vous avez à faire, ni la sagesse de votre père, ni la science de votre frère le cardinal, je veux être pour vous un frère aîné. Voyons, soyez confiant, instruisez-moi. Je vous assure, du Bouchage, qu'à tout, excepté à la mort, ma puissance et mon affection pour vous trouveront un remède.

– Sire, répondit le jeune homme en se laissant glisser aux pieds du roi, sire, ne me confondez point par l'expression d'une bonté à laquelle je ne puis répondre. Mon malheur est sans remède, car c'est mon malheur qui fait ma seule joie.

– Du Bouchage, vous êtes un fou, et vous vous tuerez de chimères: c'est moi qui vous le dis.

– Je le sais bien, sire, répondit tranquillement le jeune homme.

– Mais enfin, s'écria le roi avec quelque impatience, est-ce un mariage que vous désirez faire, est-ce une influence que vous voulez exercer?

– Sire, c'est de l'amour qu'il faut inspirer. Vous voyez que tout le monde est impuissant à me procurer cette faveur: moi seul je dois l'obtenir et l'obtenir pour moi seul.

– Alors pourquoi te désespérer?

– Parce que je sens que je ne l'obtiendrai jamais, sire.