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Dame Fournichon maniait encore dans ses grosses mains blanches un écu d'or qu'une autre main aussi blanche, mais plus délicate que la sienne, venait d'y déposer en passant.

Elle regarda Ernauton, et mettant les mains sur ses hanches, remplit la capacité de la porte de manière à rendre tout passage impossible.

Ernauton, de son côté, s'arrêta en homme qui demande à passer.

– Que voulez-vous, monsieur? dit-elle; qui demandez-vous?

– Trois coups de sifflet ne sont-ils point partis tout à l'heure de la fenêtre de cette tourelle, bonne dame?

– Si fait.

– Eh bien! c'est moi que ces trois coups de sifflet appelaient.

– Vous?

– Oui, moi.

– Alors c'est différent, si vous me donnez votre parole d'honneur.

– Foi de gentilhomme, ma chère madame Fournichon.

– En ce cas, je vous crois; entrez, beau cavalier, entrez.

Et, joyeuse d'avoir enfin une de ces clientèles, comme elle les désirait si ardemment pour ce malheureux Rosier-d'Amour qui avait été détrôné par le Fier-Chevalier, l'hôtesse fit monter Ernauton par l'escalier en limaçon qui conduisait à la plus ornée et à la plus discrète de ses tourelles.

Une petite porte, peinte assez vulgairement, donnait accès dans une sorte d'antichambre et de cette antichambre on arrivait dans la tourelle même, meublée, décorée, tapissée avec un peu plus de luxe qu'on n'en eût attendu dans ce coin écarté de Paris; mais, il faut le dire, dame Fournichon avait mis du goût à l'embellissement de cette tourelle, sa favorite, et généralement on réussit dans ce que l'on fait avec amour.

Madame Fournichon avait donc réussi autant qu'il était donné à un assez vulgaire esprit de réussir en pareille matière.

Lorsque le jeune homme entra dans l'antichambre, il sentit une forte odeur de benjoin et d'aloès: c'était un holocauste fait sans doute par la personne un peu trop susceptible, qui, en attendant Ernauton, essayait de combattre, à l'aide de parfums végétaux, les vapeurs culinaires exhalées par la broche et par les casseroles.

Dame Fournichon suivait le jeune homme pas à pas, elle le poussa de l'escalier dans l'antichambre, et de l'antichambre dans la tourelle avec des yeux tout rapetissés par un clignotement anacréontique; puis elle se retira.

Ernauton resta la main droite à la portière, la main gauche au loquet de la porte, et à demi courbé par son salut.

C'est qu'il venait d'apercevoir dans la voluptueuse demi-teinte de la tourelle, éclairée par une seule bougie de cire rosé, une de ces élégantes tournures de femme qui commandent toujours, sinon l'amour, du moins l'attention, quand toutefois ce n'est pas le désir.

Renversée sur des coussins, tout enveloppée de soie et de velours, cette dame, dont le pied mignon pendait à l'extrémité de ce lit de repos, s'occupait de brûler à la bougie le reste d'une petite branche d'aloès dont elle approchait parfois, pour la respirer, la fumée de son visage, emplissant aussi de cette fumée les plis de son capuchon et ses cheveux, comme si elle eût voulu tout entière se pénétrer de l'enivrante vapeur.

À la manière dont elle jeta le reste de la branche au feu, dont elle abaissa sa robe sur son pied et sa coiffe sur son visage masqué, Ernauton s'aperçut qu'elle l'avait entendu entrer et le savait près d'elle.

Cependant, elle ne s'était point retournée.

Ernauton attendit un instant; elle ne se retourna point.

– Madame, dit le jeune homme d'une voix qu'il essaya de rendre douce à force de reconnaissance, madame… vous avez fait appeler votre humble serviteur: le voici.

– Ah! fort bien, dit la dame, asseyez-vous, je vous prie, monsieur Ernauton.

– Pardon, madame, mais je dois avant toute chose vous remercier de l'honneur que vous me faites.

– Ah! cela est civil, et vous avez raison, monsieur de Carmainges, et cependant vous ne savez pas encore qui vous remerciez, je présume.

– Madame, dit le jeune homme s'approchant par degrés, vous avez le visage caché sous un masque, la main enfouie sous des gants; vous venez, au moment même où j'entrais, vous venez de me dérober la vue d'un pied qui, certes, m'eût rendu fou de toute votre personne; je ne vois rien qui me permette de reconnaître; je ne puis donc que deviner.

– Et vous devinez qui je suis?

– Celle que mon cœur désire, celle que mon imagination fait jeune, belle, puissante et riche, trop riche et trop puissante même, pour que je puisse croire que ce qui m'arrive est bien réel, et que je ne rêve pas en ce moment.

– Avez-vous eu beaucoup de peine à entrer ici? demanda la dame sans répondre directement à ce flot de paroles qui s'échappait du cœur trop plein d'Ernauton.

– Non, madame, l'accès m'en a même été plus facile que je ne l'eusse pensé.

– Pour un homme, tout est facile, c'est vrai; seulement il n'en est pas de même pour une femme.

– Je regrette bien, madame, toute la peine que vous avez prise et dont je ne puis que vous offrir mes bien humbles remercîments.

Mais la dame paraissait déjà avoir passé à une autre pensée.

– Que me disiez-vous, monsieur? fit-elle négligemment en ôtant son gant; pour montrer une adorable main ronde et effilée à la fois.

– Je vous disais, madame, que sans avoir vu vos traits, je sais qui vous êtes, et que, sans crainte de me tromper, je puis vous dire que je vous aime.

– Alors vous croyez pouvoir répondre que je suis bien celle que vous vous attendiez à trouver ici?

– À défaut du regard, mon cœur me le dit.

– Donc, vous me connaissez?

– Je vous connais, oui.

– En vérité, vous, un provincial à peine débarqué, vous connaissez déjà les femmes de Paris?

– Parmi toutes les femmes de Paris, madame, je n'en connais encore qu'une seule.

– Et celle-là, c'est moi?

– Je le crois.

– Et à quoi me reconnaissez vous?

– À votre voix, à votre grâce, à votre beauté.

– À ma voix, je le comprends, je ne puis la déguiser; à ma grâce, je puis prendre le mot pour un compliment; mais à ma beauté, je ne puis admettre la réponse que par hypothèse.