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– Pourquoi cela, madame?

– Sans doute; vous me reconnaissez à ma beauté, et ma beauté est voilée.

– Elle l'était moins, madame, le jour où, pour vous faire entrer dans Paris, je vous tins si près de moi, que votre poitrine effleurait mes épaules, et que votre haleine brûlait mon cou.

– Aussi, à la réception de ma lettre, vous avez deviné que c'était de moi qu'il s'agissait.

– Oh! non, non, madame, ne le croyez pas. Je n'ai pas eu un seul instant une pareille pensée. J'ai cru que j'étais le jouet de quelque plaisanterie, la victime de quelque erreur; j'ai pensé que j'étais menacé de quelqu'une de ces catastrophes qu'on appelle des bonnes fortunes, et ce n'est que depuis quelques minutes qu'en vous voyant, en vous touchant…

Et Ernauton fit le geste de prendre une main, qui se retira devant la sienne.

– Assez, dit la dame; le fait est que j'ai commis une insigne folie.

– Et en quoi, madame, je vous prie?

– En quoi! Vous dites que vous me connaissez, et vous me demandez en quoi j'ai fait une folie?

– Oh! c'est vrai, madame, et je suis bien petit, bien obscur auprès de Votre Altesse.

– Mais, pour Dieu! faites-moi donc le plaisir de vous taire, monsieur. N'auriez-vous point d'esprit, par hasard?

– Qu'ai-je donc fait, madame, au nom du ciel? demanda Ernauton effrayé.

– Quoi! vous me voyez un masque…

– Eh bien?

– Si je porte un masque, c'est probablement dans l'intention de me déguiser, et vous m'appelez Altesse? Que n'ouvrez-vous la fenêtre et que ne criez-vous mon nom dans la rue!

– Oh! pardon, pardon, fit Ernauton en tombant à genoux, mais je croyais à la discrétion de ces murs.

– Il me paraît que vous êtes crédule?

– Hélas! madame, je suis amoureux! – Et vous êtes convaincu que tout d'abord je réponds à cet amour par un amour pareil?

Ernauton se releva tout piqué.

– Non, madame, répondit-il.

– Et que croyez-vous?

– Je crois que vous avez quelque chose d'important à me dire; que vous n'avez pas voulu me recevoir à l'hôtel de Guise ou dans votre maison de Bel-Esbat, et que vous avez préféré un entretien secret dans un endroit isolé.

– Vous avez cru cela?

– Oui.

– Et que pensez-vous que j'aie eu à vous dire? Voyons, parlez; je ne serais point fâchée d'apprécier votre perspicacité.

Et la dame, sous son insouciance apparente, laissa percer malgré elle une espèce d'inquiétude.

– Mais que sais-je, moi, répondit Ernauton, quelque chose qui ait rapport à M. de Mayenne, par exemple.

– Est-ce que je n'ai pas mes courriers, monsieur, qui demain soir m'en auront dit plus que vous ne pouvez m'en dire, puisque vous m'avez dit, vous, tout ce que vous en saviez?

– Peut-être aussi quelque question à me faire sur l'événement de la nuit passée?

– Ah! quel événement, et de quoi parlez-vous? demanda la dame, dont le sein palpitait visiblement.

– Mais de la panique éprouvée par M. d'Épernon, de l'arrestation de ces gentilshommes lorrains.

– On a arrêté des gentilshommes lorrains?

– Une vingtaine, qui se sont trouvés intempestivement sur la route de Vincennes.

– Qui est aussi la route de Soissons, – ville où M. de Guise tient garnison, ce me semble. – Ah! au fait, monsieur Ernauton, vous qui êtes de la cour, vous pourriez me dire pourquoi l'on a arrêté ces gentilshommes.

– Moi, de la cour?

– Sans doute.

– Vous savez cela, madame?

– Dame! pour avoir votre adresse, il m'a bien fallu prendre des renseignements, des informations. Mais finissez vos phrases, pour l'amour de Dieu! Vous avez une déplorable habitude, celle de croiser la conversation; et qu'est-il résulté de cette échauffourée?

– Absolument rien, madame, que je sache du moins.

– Alors pourquoi avez-vous pensé que je parlerais d'une chose qui n'a pas eu de résultat?

– J'ai tort cette fois comme les autres, madame, et j'avoue mon tort.

– Comment, monsieur, mais de quel pays êtes-vous?

– D'Agen?

– Comment, monsieur, vous êtes Gascon, car Agen est en Gascogne, je crois?

– À peu près.

– Vous êtes Gascon, et vous n'êtes pas assez vain pour supposer tout simplement que, vous ayant vu, le jour de l'exécution de Salcède, à la porte Saint-Antoine, je vous ai trouvé de galante tournure?

Ernauton rougit et se troubla. La dame continua imperturbablement:

– Que je vous ai rencontré dans la rue, et que je vous ai trouvé beau? Ernauton devint pourpre. – Qu'enfin, porteur d'un message de mon frère Mayenne, vous êtes venu chez moi, et que je vous ai trouvé fort à mon goût? – Madame, madame, je ne pense pas cela, Dieu m'en garde. – Et vous avez tort, répliqua la dame, en se retournant vers Ernauton pour la première fois, et en arrêtant sur ses yeux deux yeux flamboyants sous le masque, tandis qu'elle déployait, sous le regard haletant du jeune homme, la séduction d'une taille cambrée, se profilant en lignes arrondies et voluptueuses sur le velours des coussins. Ernauton joignit les mains. – Madame! madame! s'écria-t-il, vous raillez-vous de moi? – Ma foi, non! reprit-elle du même ton dégagé; je dis que vous m'avez plu, et c'est la vérité. – Mon Dieu! – Mais vous-même, n'avez-vous pas osé me déclarer que vous m'aimiez? – Mais quand je vous ai déclaré cela, je ne savais pas qui vous étiez, madame, et maintenant que je le sais, oh! je vous demande bien humblement pardon. – Allons, voilà maintenant qu'il déraisonne, murmura la dame avec impatience. Mais restez donc ce que vous êtes, monsieur, dites donc ce que vous pensez, ou vous me ferez regretter d'être venue. Ernauton tomba à genoux. – Parlez, madame, dit-il, parlez, que je me persuade que tout ceci n'est point un jeu, et peut-être oserai-je enfin vous répondre. – Soit. Voici mes projets sur vous, dit la dame en repoussant Ernauton, tandis qu'elle arrangeait symétriquement les plis de sa robe. J'ai du goût pour vous, mais je ne vous connais pas encore. Je n'ai pas l'habitude de résister à mes fantaisies, mais je n'ai pas la sottise de commettre des erreurs. Si nous eussions été égaux, je vous eusse reçu chez moi et étudié à mon aise avant que vous eussiez même soupçonné mes intentions à votre égard. La chose était impossible; il a fallu s'arranger autrement et brusquer l'entrevue. Maintenant vous savez à quoi vous en tenir sur moi. Devenez digne de moi, c'est tout ce que je vous recommande.