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Ernauton se confondit en protestations.

– Oh! moins de chaleur, monsieur de Carmainges, je vous prie, dit la dame avec nonchalance: ce n'est pas la peine. Peut-être est-ce votre nom seulement qui m'a frappée la première fois que nous nous rencontrâmes, et qui m'a plu. Après tout, je crois bien décidément que je n'ai pour vous qu'un caprice et que cela se passera. Cependant n'allez pas vous croire trop loin de la perfection et désespérer. Je ne peux pas souffrir les gens parfaits. Oh! j'adore les gens dévoués, par exemple. Retenez bien ceci, je vous le permets, beau cavalier. Ernauton était hors de lui. Ce langage hautain, ces gestes pleins de volupté et de mollesse, cette orgueilleuse supériorité, cet abandon vis-à-vis de lui enfin, d'une personne aussi illustre, le plongeaient à la fois dans les délices et dans les terreurs les plus extrêmes. Il s'assit près de sa belle et fière maîtresse, qui le laissa faire, puis il essaya de passer son bras derrière les coussins qui la soutenaient. – Monsieur, dit-elle, il paraît que vous m'avez entendue, mais que vous ne m'avez pas comprise. Pas de familiarité, je vous prie; restons chacun à notre place. Il est sûr qu'un jour je vous donnerai le droit de me nommer vôtre, mais ce droit, vous ne l'avez pas encore.

Ernauton se releva pâle et dépité.

– Excusez-moi, madame, dit-il. Il parait que je ne fais que des sottises; cela est tout simple: je ne suis point fait encore aux habitudes de Paris. Chez nous, en province, à deux cents lieues d'ici, cela est vrai, une femme, lorsqu'elle dit: «J'aime,» aime et ne se refuse pas. Elle ne prend point le prétexte de ses paroles pour humilier un homme à ses pieds. C'est votre usage comme Parisienne, c'est votre droit comme princesse. J'accepte tout cela. Seulement, que voulez-vous, l'habitude me manquait, l'habitude me viendra.

La dame écouta en silence. Il était visible qu'elle continuait d'observer attentivement Ernauton, pour savoir si son dépit aboutirait à une réelle colère.

– Ah! ah! vous vous fâchez, je crois, dit-elle superbement.

– Je me fâche, en effet, madame, mais c'est contre moi-même, car j'ai pour vous, moi, madame, non pas un caprice passager, mais de l'amour, un amour très véritable et très pur. Je ne cherche pas votre personne, car je vous désirerais, s'il en était ainsi: voilà tout; mais je cherche à obtenir votre cœur. Aussi ne me pardonnerai-je jamais, madame, d'avoir aujourd'hui par des impertinences compromis le respect que je vous dois, respect que je ne changerai en amour, madame, qu'alors que vous me l'ordonnerez.

Trouvez bon seulement, madame, qu'à partir de ce moment j'attende vos ordres.

– Allons, allons, dit la dame, n'exagérons rien, monsieur de Carmainges: voilà que vous êtes tout glacé après avoir été tout de flammes.

– Il me semble, cependant, madame…

– Eh! monsieur, ne dites donc jamais à une femme que vous l'aimerez comme vous voudrez, c'est maladroit; montrez-lui que vous l'aimerez comme elle voudra, à la bonne heure!

– C'est ce que j'ai dit, madame.

– Oui, mais c'est ce que vous ne pensez pas.

– Je m'incline devant votre supériorité, madame.

– Trêve de politesses, il me répugnerait de faire ici la reine. Tenez, voici ma main, prenez-la, c'est celle d'une simple femme: seulement elle est plus brûlante et plus animée que la vôtre.

Ernauton prit respectueusement cette belle main.

– Eh bien! dit la duchesse.

– Eh bien?

– Vous ne la baisez pas? êtes-vous fou? et avez-vous juré de me mettre en fureur?

– Mais, tout à l'heure…

– Tout à l'heure je vous la retirais, tandis que maintenant…

– Maintenant?

– Eh! maintenant je vous la donne.

Ernauton baisa la main avec tant d'obéissance, qu'on la lui retira aussitôt.

– Vous voyez bien, dit le jeune homme encore une leçon!

– J'ai donc eu tort?

– Assurément, vous me faites bondir d'un extrême à l'autre; la crainte finira par tuer la passion. Je continuerai de vous adorer à genoux, c'est vrai; mais je n'aurai pour vous ni amour ni confiance.

– Oh! je ne veux pas de cela, dit la dame d'un ton enjoué, car vous seriez un triste amant, et ce n'est point ainsi que je les aime, je vous en préviens. Non, restez naturel, restez vous, soyez monsieur Ernauton de Carmainges, pas autre chose. J'ai mes manies. Eh! mon Dieu, ne m'avez-vous pas dit que j'étais belle? Toute belle femme a ses manies: respectez-en beaucoup, brusquez-en quelques-unes, ne me craignez pas surtout, et quand je dirai au trop bouillant Ernauton: Calmez-vous, qu'il consulte mes yeux, jamais ma voix. À ces mots elle se leva.

Il était temps: le jeune homme, rendu à son délire, l'avait saisie entre ses bras, et le masque de la duchesse effleura un instant les lèvres d'Ernauton; mais ce fut alors qu'elle prouva la profonde vérité de ce qu'elle avait dit, car, à travers son masque, ses yeux lancèrent un éclair froid et blanc comme le sinistre avant-coureur des orages.

Ce regard imposa tellement à Carmainges, qu'il laissa tomber ses bras et que tout son feu s'éteignit.

– Allons, dit la duchesse, c'est bien, nous nous reverrons. Décidément, vous me plaisez, monsieur de Carmainges.

Ernauton s'inclina.

– Quand êtes-vous libre? demanda-t-elle négligemment.

– Hélas! assez rarement, madame, répondit Ernauton.

– Ah! oui, je comprends, ce service est fatigant, n'est-ce pas?

– Quel service?

– Mais celui que vous faites près du roi. Est-ce que vous n'êtes pas d'une garde quelconque de Sa Majesté?

– C'est-à-dire madame, que je fais partie d'un corps de gentilshommes.

– C'est cela que je veux dire; et ces gentilshommes sont Gascons, je crois?

– Tous, oui, madame.

– Combien sont-ils donc? on me l'a dit, je l'ai oublié.

– Quarante-cinq.

– Quel singulier compte?

– Cela s'est trouvé ainsi.

– Est-ce un calcul?

– Je ne crois pas; le hasard se sera chargé de l'addition.

– Et ces quarante-cinq gentilshommes ne quittent pas le roi, dites-vous?

– Je n'ai point dit que nous ne quittions point Sa Majesté, madame.