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– Eh bien! raison de plus pour que nous leur présentions nos compliments, dit Perducas de Pincorney d'une voix avinée, et trébuchant derrière Sainte-Maline sur la dernière marche de l'escalier.

– Et quels sont ces amis, voyons? dit Sainte-Maline.

– Oui, voyons-les, voyons-les, cria Eustache de Miradoux.

La bonne hôtesse, espérant toujours prévenir une collision qui pouvait, tout en honorant le Fier-Chevalier, faire le plus grand tort au Rosier-d'Amour, monta au milieu des rangs pressés des gentilshommes, et glissa tout bas le nom d'Ernauton à l'oreille de son agresseur.

– Ernauton! répéta tout haut Sainte-Maline, pour qui cette révélation était de l'huile au lieu d'eau jetée sur le feu, Ernauton! ce n'est pas possible.

– Et pourquoi, cela? demanda madame Fournichon.

– Et pourquoi cela? répétèrent plusieurs voix.

– Eh! parbleu! dit Sainte-Maline, parce que Ernauton est un modèle de chasteté, un exemple de continence, un composé de toutes les vertus. Non, non, vous vous trompez, dame Fournichon, ce n'est point M. de Carmainges qui est enfermé là-dedans.

Et il s'approcha vers la seconde porte pour en faire autant qu'il avait fait de la première, quand tout à coup cette porte s'ouvrit, et Ernauton parut debout sur le seuil, avec un visage qui n'annonçait point que la patience fût une de ces vertus qu'il pratiquait si religieusement, au dire de Sainte-Maline.

– De quel droit M. de Sainte-Maline a-t-il brisé cette première porte? demanda-t-il; et, ayant déjà brisé celle-là, veut-il encore briser celle-ci?

– Eh! c'est lui, en réalité, c'est Ernauton! s'écria Sainte-Maline; je reconnais sa voix, car, quant à sa personne, le diable m'emporte si je pourrais dire dans l'obscurité de quelle couleur elle est.

– Vous ne répondez pas à ma question, monsieur, réitéra Ernauton.

Sainte-Maline se mit à rire bruyamment, ce qui rassura ceux des quarante-cinq qui, à la voix grosse de menaces qu'ils venaient d'entendre, avaient jugé qu'il était prudent de descendre à tout hasard deux marches de l'escalier.

– C'est à vous que je parle, monsieur de Sainte-Maline, m'entendez-vous? s'écria Ernauton.

– Oui, monsieur, parfaitement, répondit celui-ci.

– Alors qu'avez-vous à dire?

– J'ai à dire, mon cher compagnon, que nous voulions savoir si c'était vous qui habitiez cette hôtellerie des amours.

– Eh bien maintenant, monsieur, que vous avez pu vous assurer que c'était moi, puisque je vous parle et qu'au besoin je pourrais vous toucher, laissez-moi en repos.

– Cap-de-Diou! dit Sainte-Maline, vous ne vous êtes pas fait ermite et vous ne l'habitez pas seul, je suppose.

– Quant à cela, monsieur, vous me permettrez de vous laisser dans le doute, en supposant que vous y soyez.

– Ah! bah! continua Sainte-Maline en s'efforçant de pénétrer dans la tourelle, est-ce que vraiment vous seriez seul? Ah! vous êtes sans lumière, bravo!

– Allons, messieurs, dit Ernauton d'un ton hautain, j'admets que vous soyez ivres, et je vous pardonne; mais il y a un terme même à la patience que l'on doit à des hommes hors de leur bon sens; les plaisanteries sont épuisées, n'est-ce pas? faites-moi donc le plaisir de vous retirer.

Malheureusement Sainte-Maline était dans un de ses accès de méchanceté envieuse.

– Oh! oh! nous retirer, dit-il, comme vous nous dites cela, monsieur Ernauton!

– Je vous dis cela de façon à ce que vous ne vous trompiez pas à mon désir, monsieur de Sainte-Maline, et, s'il le faut même, je le répète: retirez-vous, messieurs, je vous en prie.

– Oh! pas avant que vous ne nous ayez admis à l'honneur de saluer la personne pour laquelle vous désertez notre compagnie.

À cette insistance de Sainte-Maline, le cercle prêt à se rompre se reforma autour de lui.

– Monsieur de Montcrabeau, dit Sainte-Maline avec autorité, descendez, et remontez avec une bougie.

– Monsieur de Montcrabeau, s'écria Ernauton, si vous faites cela, souvenez-vous que vous m'offensez personnellement.

Montcrabeau hésita, tant il y avait de menaces dans la voix du jeune homme.

– Bon! répliqua Sainte-Maline, nous avons notre serment, et M. de Carmainges est si religieux en discipline qu'il ne voudra pas l'enfreindre; nous ne pouvons tirer l'épée les uns contre les autres; ainsi éclairez. Montcrabeau, éclairez.

Montcrabeau descendit, et, cinq minutes après, remonta avec une bougie qu'il voulut remettre à Sainte-Maline.

– Non pas, non pas, dit celui-ci, gardez, je vais peut-être avoir besoin de mes deux mains.

Et Sainte-Maline fit un pas en avant pour pénétrer dans la tourelle.

– Je vous prends à témoin, tous tant que vous êtes ici, dit Ernauton, qu'on m'insulte indignement et qu'on me fait violence sans motifs, et qu'en conséquence, – Ernauton tira vivement son épée, et qu'en conséquence j'enfonce cette épée dans la poitrine du premier qui fera un pas en avant.

Sainte-Maline, furieux, voulut mettre aussi l'épée à la main, mais il n'avait pas encore dégainé à moitié, qu'il vit briller sur sa poitrine la pointe de l'épée d'Ernauton.

Or, comme en ce moment il faisait un pas en avant, sans que M. de Carmainges eût besoin de se fendre, ou de pousser le bras, Sainte-Maline sentit le froid du fer, et recula en délire, comme un taureau blessé.

Alors, Ernauton fit en avant un pas égal au pas de retraite que faisait Sainte-Maline, et l'épée se retrouva menaçante sur la poitrine de ce dernier.

Sainte-Maline pâlit: si Ernauton s'était fendu, il le clouait à la muraille.

Il repoussa lentement son épée au fourreau.

– Vous mériteriez mille morts pour votre insolence, monsieur, dit Ernauton; mais le serment dont vous me parliez tout à l'heure me lie, et je ne vous toucherai pas davantage; laissez-moi le chemin libre.

Il fit un pas en arrière pour voir si l'on obéirait.

Et avec un geste suprême, qui eût fait honneur à un roi:

– Au large, messieurs, dit-il; venez, madame, je réponds de tout.

On vit alors apparaître au seuil de la tourelle une femme dont la tête était couverte d'une coiffe, dont le visage était couvert d'un voile, et qui prit toute tremblante le bras d'Ernauton.