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– Oui, sans doute, mais c'était une crainte exprimée et non une prédiction faite; Dieu prend parfois en oubli les vieillards, et ils vivent, c'est étrange à dire, par l'habitude de vivre; il y a même plus: parfois encore le vieillard est comme l'enfant, malade aujourd'hui, dispos demain.

– Hélas! Remy, et comme l'enfant aussi, le vieillard, dispos aujourd'hui, demain est mort.

Remy ne répondit pas, car aucune réponse rassurante ne pouvait réellement sortir de sa bouche, et un silence lugubre succéda pendant quelques minutes au dialogue que nous venons de rapporter.

Chacun des deux interlocuteurs resta dans sa position morne et pensive.

– Pour quelle heure avez-vous demandé les chevaux, Remy? reprit enfin la dame mystérieuse.

– Pour deux heures après minuit.

– Une heure vient de sonner.

– Oui, madame.

– Personne ne guette au dehors, Remy?

– Personne.

– Pas même ce malheureux jeune homme?

– Pas même lui!

Remy soupira.

– Vous me dites cela d'une façon étrange, Remy.

– C'est que celui-là aussi a pris une résolution.

– Laquelle? demanda la dame en tressaillant.

– Celle de ne plus nous voir, ou du moins de ne plus essayer à nous voir.

– Et où va-t-il?

– Où nous allons tous: au repos.

– Dieu le lui donne éternel, répondit la dame d'une voix grave et froide comme un glas de mort, et cependant…

Elle s'arrêta.

– Cependant? reprit Remy.

– N'avait-il rien à faire en ce monde.

– Il avait à aimer si on l'eût aimé.

– Un homme de son nom, de son rang et de son âge devrait compter sur l'avenir.

– Y comptez-vous, vous, madame, qui êtes d'un âge, d'un rang et d'un nom qui n'ont rien à envier au sien?

Les yeux de la dame lancèrent une sinistre lueur.

– Oui, Remy, dit-elle, j'y compte, puisque je vis; mais attendez donc…

Elle prêta l'oreille.

– N'est-ce pas le trot d'un cheval que j'entends?

– Oui, ce me semble.

– Serait-ce déjà notre conducteur?

– C'est possible; mais, en ce cas, il aurait devancé le rendez-vous de près d'une heure.

– On s'arrête à la porte, Remy.

– En effet.

Remy descendit précipitamment, et arriva au bas de l'escalier au moment où trois coups, rapidement heurtés, se faisaient entendre.

– Qui va là? demanda Remy.

– Moi, répondit une voix cassée et tremblante, moi, Grandchamp, le valet de chambre du baron.

– Ah! mon Dieu! vous, Grandchamp, vous à Paris! Attendez que je vous ouvre; mais parlez bas.

Et il ouvrit la porte.

– D'où venez-vous donc? demanda Remy à voix basse.

– De Méridor.

– De Méridor?

– Oui, cher monsieur Remy. Hélas!

– Entrez, entrez vite. Mon Dieu!

– Eh bien! Remy, dit du haut de l'escalier la voix de la dame, sont-ce nos chevaux?

– Non, non, madame, ce ne sont pas eux.

Puis, revenant au vieillard:

– Qu'y a-t-il, mon bon Grandchamp?

– Nous ne devinez pas? répondit le serviteur.

– Hélas! si, je devine; mais au nom du ciel ne lui annoncez pas cette nouvelle tout d'un coup. Oh! que va-t-elle dire, la pauvre dame!

– Remy, Remy, dit la voix, vous causez avec quelqu'un, ce me semble?

– Oui, madame, oui.

– Avec quelqu'un dont je reconnais la voix.

– En effet, madame… Comment la ménager, Grandchamp? la voilà.

La dame, qui était descendue du premier au rez-de-chaussée, comme elle était descendue déjà du second au premier, apparut à l'extrémité du corridor.

– Qui est là? demanda-t-elle; on dirait que c'est Grandchamp.

– Oui madame, c'est moi, répondit humblement et tristement le vieillard en découvrant sa tête blanchie.

– Grandchamp, toi! oh! mon Dieu! mes pressentiments ne m'avaient point trompée, mon père est mort!

– En effet, madame, répondit Grandchamp oubliant toutes les recommandations de Remy, en effet, Méridor n'a plus de maître.

Pâle, glacée, mais immobile et ferme, la dame supporta le coup sans fléchir.

Remy, la voyant si résignée et si sombre, alla à elle, et lui prit doucement la main.

– Comment est-il mort? demanda la dame, dites, mon ami.

– Madame, M. le baron, qui ne quittait plus son fauteuil, a été frappé, il y a huit jours, d'une troisième attaque d'apoplexie. Il a pu une dernière fois balbutier votre nom, puis, il a cessé de parler et dans la nuit il est mort.

Diane fit au vieux serviteur un geste de remercîment; puis, sans ajouter un mot, elle remonta dans sa chambre.

– Enfin la voilà libre, murmura Remy, plus sombre et plus pâle qu'elle. Venez, Grandchamp, venez.

La chambre de la dame était située au premier étage, derrière un cabinet qui avait vue sur la rue, tandis que cette chambre elle-même ne tirait son jour que d'une petite fenêtre percée sur une cour.

L'ameublement de cette pièce était sombre, mais riche; les tentures, en tapisseries d'Arras, les plus belles de l'époque, représentaient les divers sujets de la Passion.

Un prie-Dieu en chêne sculpté, une stalle de la même matière et du même travail, un lit à colonnes torses, avec des tapisseries pareilles à celles des murs, enfin un tapis de Bruges, voilà tout ce qui ornait la chambre.

Pas une fleur, pas un joyau, pas une dorure; le bois et le fer bruni remplaçaient partout l'argent et l'or; un cadre de bois noir enfermait un portrait d'homme placé dans un pan coupé de la chambre et sur lequel donnait le jour de la fenêtre, évidemment percée pour l'éclairer.

Ce fut devant ce portrait que la dame alla s'agenouiller, avec un cœur gonflé, mais des yeux arides.

Elle attacha sur cette figure inanimée un long et indicible regard d'amour, comme si cette noble image allait s'animer pour lui répondre.

Noble image, en effet, et l'épithète semblait faite pour elle.