Remy montra le portrait.
– Maintenant, madame, dit-il avec énergie, il a été tué par trahison; c'est par trahison qu'il doit être vengé. Ah! vous ne savez pas une chose, vous avez raison, la main de Dieu est avec nous; vous ne savez pas que, cette nuit, j'ai trouvé le secret de l'aqua tofana, ce poison des Médicis, ce poison de René, le Florentin.
– Oh! dis-tu vrai?
– Venez voir, madame, venez voir.
– Mais Grandchamp, qui attend, que dira-t-il de ne plus nous voir revenir, de ne plus nous entendre? car c'est en bas, n'est-ce pas, que tu veux me conduire?
– Le pauvre vieillard a fait à cheval soixante lieues, madame; il est brisé de fatigue, et vient de s'endormir sur mon lit.
– Venez.
Diane suivit Remy.
LXII Le laboratoire
Remy emmena la dame inconnue dans la chambre voisine, et, poussant un ressort caché sous une lame du parquet, il fit jouer une trappe qui glissait dans la largeur de la chambre jusqu'au mur.
Cette trappe, en s'ouvrant, laissait apercevoir un escalier sombre, raide et étroit. Remy s'y engagea le premier et tendit son poing à Diane, qui s'y appuya et descendit après lui.
Vingt marches de cet escalier, ou, pour mieux dire, de cette échelle, conduisaient dans un caveau circulaire noir et humide, qui pour tout meuble renfermait un fourneau avec son âtre immense, une table carrée, deux chaises de jonc, quantité de fioles et de boîtes de fer.
Et pour tous habitants, une chèvre sans bêlements et des oiseaux sans voix, qui semblaient dans ce lieu obscur et souterrain les spectres des animaux dont ils avaient la ressemblance, et non plus ces animaux eux-mêmes.
Dans le fourneau, un reste de feu s'en allait mourant, tandis qu'une fumée épaisse et noire fuyait silencieuse par un conduit engagé dans la muraille.
Un alambic posé sur l'âtre laissait filtrer lentement, et goutte à goutte, une liqueur jaune comme l'or.
Ces gouttes tombaient dans une fiole de verre blanc, épais de deux doigts, mais en même temps de la plus parfaite transparence, et qui était fermée par le tube de l'alambic qui communiquait avec elle.
Diane descendit et s'arrêta au milieu de tous ces objets à l'existence et aux formes étranges sans étonnement et sans terreur; on eût dit que les impressions ordinaires de la vie ne pouvaient plus avoir aucune influence sur cette femme, qui vivait déjà hors de la vie.
Remy lui fit signe de s'arrêter au pied de l'escalier; elle s'arrêta où lui disait Remy.
Le jeune homme alla allumer une lampe qui jeta un jour livide sur tous les objets que nous venons de détailler et qui, jusque-là, dormaient ou s'agitaient dans l'ombre.
Puis il s'approcha d'un puits creusé dans le caveau touchant aux parois d'une des murailles, et qui n'avait ni parapet, ni margelle, attacha un seau à une longue corde et laissa glisser la corde sans poulie dans l'eau, qui sommeillait sinistrement au fond de cet entonnoir, et qui fit entendre un sourd clapotement; enfin il ramena le seau plein d'une eau glacée et pure comme le cristal.
– Approchez, madame, dit Remy.
Diane approcha.
Dans cette énorme quantité d'eau, il laissa tomber une seule goutte du liquide contenu dans la fiole de verre, et la masse entière de l'eau se teignit à l'instant même d'une couleur jaune; puis cette couleur s'évapora, et l'eau, au bout de dix minutes, était devenue transparente comme auparavant.
La fixité des yeux de Diane donnait seule une idée de l'attention profonde qu'elle donnait à cette opération.
Remy la regarda.
– Eh bien? demanda celle-ci.
– Eh bien! trempez maintenant, dit Remy, dans cette eau qui n'a ni saveur ni couleur, trempez une fleur, un gant, un mouchoir; pétrissez avec cette eau des savons de senteur, versez-en dans l'aiguière où l'on puisera pour se laver les dents, les mains et le visage, et vous verrez, comme on le vit naguère à la cour du roi Charles IX, la fleur étouffer par son parfum, le gant empoisonner par son contact, le savon tuer par son introduction dans les pores. Versez une seule goutte de cette huile pure sur la mèche d'une bougie ou d'une lampe, le coton s'en imprégnera jusqu'à un pouce à peu près, et pendant une heure, la bougie ou la lampe exhalera la mort, pour brûler ensuite aussi innocemment qu'une autre lampe ou une autre bougie.
– Vous êtes sûr de ce que vous dites là, Remy? demanda Diane.
– Toutes ces expériences, je les ai faites, madame; voyez ces oiseaux qui ne peuvent plus dormir et qui ne veulent plus manger, ils ont bu de l'eau pareille à cette eau. Voyez cette chèvre qui a brouté de l'herbe arrosée de cette même eau, elle mue, et ses yeux vacillent; nous aurons beau la rendre maintenant à la liberté, à la lumière, à la nature, sa vie est condamnée, à moins que cette nature à laquelle nous la rendrons ne révèle à son instinct quelques-uns de ces contre-poisons que les animaux devinent, et que les hommes ignorent.
– Peut-on voir cette fiole, Remy? demanda Diane.
– Oui, madame, car tout le liquide est précipité, à cette heure; mais attendez.
Remy la sépara de l'alambic avec des précautions infinies; puis, aussitôt, il la boucha d'un tampon de molle cire qu'il aplatit à la surface de son orifice, et, enveloppant cet orifice d'un morceau de laine, il présenta le flacon à sa compagne.
Diane le prit sans émotion aucune, le souleva à la hauteur de la lampe, et, après avoir regardé quelque temps la liqueur épaisse qu'il contenait:
– Il suffit, dit-elle; nous choisirons, lorsqu'il sera temps, du bouquet, des gants, de la lampe, du savon ou de l'aiguière. La liqueur tient-elle dans le métal?
– Elle le ronge.
– Mais alors ce flacon se brisera, peut-être.
– Je ne crois pas; voyez l'épaisseur du cristal; d'ailleurs nous pourrons l'enfermer ou plutôt l'emboîter dans une enveloppe d'or.
– Alors, Remy, reprit la dame, vous êtes content, n'est-ce pas?
Et quelque chose comme un pâle sourire effleura les lèvres de la dame, et leur donna ce reflet de vie qu'un rayon de la lune donne aux objets engourdis.
– Plus que je ne fus jamais, madame, répondit celui-ci; punir les méchants, c'est jouir de la sainte prérogative de Dieu.
– Écoutez, Remy, écoutez!
Et la dame prêta l'oreille.
– Vous avez entendu quelque bruit?