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Il resta.

Pendant deux heures, il resta couché, prêtant l'oreille aux détonations successives qui arrivaient jusqu'à lui, se demandant quelles pouvaient être ces détonations irrégulières et plus fortes qui de temps en temps étaient venues couper les autres.

Il était loin de se douter que ces détonations étaient causées par les vaisseaux de son frère qui sautaient.

– Enfin, vers deux heures, tout se calma; vers deux heures et demie, tout se tut.

Le bruit du canon n'était point parvenu, à ce qu'il paraissait, dans l'intérieur de la maison, ou, s'il y était parvenu, les habitants provisoires y étaient demeurés insensibles.

– À cette heure, se disait Henri, Anvers est pris et mon frère est vainqueur; mais, après Anvers, viendra Gand; après Gand, Bruges, et l'occasion ne me manquera pas pour mourir glorieusement.

Mais, avant de mourir, je veux savoir ce que va chercher cette femme au camp des Français.

Et comme, à la suite de toutes ces commotions qui avaient ébranlé l'air, la nature était rentrée dans son repos, Joyeuse, enveloppé de son manteau, rentra dans son immobilité.

Il était tombé dans cette espèce d'assoupissement à laquelle, vers la fin de la nuit, la volonté de l'homme ne peut résister, lorsque son cheval, qui paissait à quelques pas de lui, dressa l'oreille et hennit tristement.

Henri ouvrit les yeux.

L'animal, debout sur ses quatre pieds, la tête tournée dans une autre direction que celle du corps, aspirait la brise, qui, ayant tourné à l'approche du jour, venait du sud-est.

– Qu'y a-t-il, mon bon cheval? dit le jeune homme en se levant et en flattant le cou de l'animal avec sa main; tu as vu passer quelque loutre qui t'effraie, ou tu regrettes l'abri d'une bonne étable?

L'animal, comme s'il eût entendu l'interpellation, et comme s'il eût voulu y répondre, se porta d'un mouvement franc et vif dans la direction de Lier, et, l'œil fixe et les naseaux ouverts, il écouta.

– Ah! ah! murmura Henri, c'est plus sérieux, à ce qu'il me paraît: quelque troupe de loups suivant les armées pour dévorer les cadavres.

Le cheval hennit, baissa la tête, puis, par un mouvement rapide comme l'éclair, il se mit à fuir du côté de l'ouest.

Mais, en fuyant, il passa à la portée de la main de son maître, qui le saisit par la bride comme il passait, et l'arrêta.

Henri, sans rassembler les rênes, l'empoigna par la crinière et sauta en selle. Une fois là, comme il était bon cavalier, il se fit maître de l'animal et le contint.

Mais, au bout d'un instant, ce que le cheval avait entendu, Henri commença de l'entendre lui-même, et cette terreur qu'avait ressentie la brute grossière, l'homme fut étonné de la ressentir à son tour.

Un long murmure, pareil à celui du vent, strident et grave à la fois, s'élevait des différents points d'un demi-cercle qui semblait s'étendre du sud au nord; des bouffées d'une brise fraîche et comme chargée de particules d'eau éclaircissaient par intervalle ce murmure, qui alors devenait semblable au fracas des marées montantes sur les grèves caillouteuses.

– Qu'est-ce que cela? demanda Henri; serait-ce le vent? non, puisque c'est le vent qui m'apporte ce bruit, et que les deux sons m'apparaissent distincts.

Une armée en marche, peut-être? mais non; – il pencha son oreille vers la terre, – j'entendrais la cadence des pas, le froissement des armures, l'éclat des voix.

Est-ce le crépitement d'un incendie? non encore, car on n'aperçoit aucune lueur à l'horizon, et le ciel semble même se rembrunir.

Le bruit redoubla et devint distinct: c'était le roulement incessant, ample, grondant, que produiraient des milliers de canons traînés au loin sur un pavé sonore.

Henri crut un instant avoir trouvé la raison de ce bruit en l'attribuant à la cause que nous avons dite, mais aussitôt:

– Impossible, dit-il, il n'y a point de chaussée pavée de ce côté, il n'y a pas mille canons dans l'armée.

Le bruit approchait toujours.

Henri mit son cheval au galop et gagna une éminence.

– Que vois-je! s'écria-t-il en atteignant le sommet.

Ce que voyait le jeune homme, son cheval l'avait vu avant lui, car il n'avait pu le faire avancer dans cette direction, qu'en lui déchirant le flanc avec ses éperons, et lorsqu'il fut arrivé au sommet de la colline il se cabra à renverser son cavalier sous lui. Ce qu'ils voyaient, cheval et cavalier, c'était, à l'horizon, une bande blafarde, immense, infinie, pareille à un niveau, s'avançant sur la plaine, formant un cercle immense et marchant vers la mer.

Et cette bande s'élargissait pas à pas aux yeux de Henri, comme une bande d'étoffe qu'on déroule.

Le jeune homme regardait encore indécis cet étrange phénomène, lorsqu'en ramenant sa vue sur la place qu'il venait de quitter, il s'aperçut que la prairie s'imprégnait d'eau, que la petite rivière débordait, et commençait de noyer, sous sa nappe soulevée sans cause visible, les roseaux qui, un quart d'heure auparavant, se hérissaient sur ses deux rives.

L'eau gagnait tout doucement du côté de la maison.

– Malheureux insensé que je suis! s'écria Henri, je n'avais pas deviné: c'est l'eau! c'est l'eau! les Flamands ont rompu leurs digues.

Henri s'élança aussitôt du côté de la maison, et heurta furieusement à la porte.

– Ouvrez, ouvrez! cria-t-il.

Nul ne répondit.

– Ouvrez, Remy, cria le jeune homme, furieux à force de terreur, ouvrez, c'est moi Henri du Bouchage, ouvrez!

– Oh! vous n'avez pas besoin de vous nommer, monsieur le comte, répondit Remy de l'intérieur de la maison, et il y a longtemps que je vous ai reconnu; mais je vous préviens d'une chose, c'est que si vous enfoncez cette porte vous me trouverez derrière elle, un pistolet à chaque main.

– Mais, tu ne comprends donc pas, malheureux! cria Henri, avec un accent désespéré: l'eau, l'eau, c'est l'eau!…

– Pas de fable, pas de prétextes, pas de ruses déshonorantes, monsieur le comte. Je vous dis que vous n'entrerez ici qu'en passant sur mon corps.

– Alors, j'y passerai! s'écria Henri, mais j'entrerai. Au nom du ciel, au nom de Dieu, au nom de ton salut et de celui de ta maîtresse, veux-tu ouvrir?

– Non!

Le jeune homme regarda autour de lui, et aperçut une de ces pierres homériques, comme en faisait rouler sur ses ennemis Ajax Télamon; il souleva cette pierre entre ses bras, l'éleva sur sa tête, et s'avançant vers la maison, il la lança dans la porte.