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– Remy! Remy! cria la dame, les bras étendus de son côté, Remy!

Un cri lui répondit. Remy était revenu à la surface de l'eau, et, avec cet espoir indomptable, bien qu'insensé, qui accompagne le mourant jusqu'au bout de son agonie, il nageait, soutenu par une poutre.

À côté, de lui passa son cheval, battant l'eau désespérément avec ses pieds de devant, tandis que le flot gagnait le cheval de sa maîtresse, et que, devant le flot, à vingt pas tout au plus, Henri et sa compagne ne couraient pas, mais volaient sur le troisième cheval, fou de terreur.

Remy ne regrettait plus la vie, puisqu'il espérait, en mourant, que celle qu'il aimait uniquement serait sauvée.

– Adieu, madame, adieu! cria-t-il, je pars le premier, et je vais dire à celui qui nous attend que vous vivez pour…

Remy n'acheva point; une montagne d'eau passa sur sa tête et alla s'écrouler jusque sous les pieds du cheval de Henri.

– Remy, Remy! cria la dame, Remy, je veux mourir avec toi! Monsieur, je veux l'attendre; monsieur, je veux mettre pied à terre; au nom du Dieu vivant, je le veux!

Elle prononça ces paroles avec tant d'énergie et de sauvage autorité, que le jeune homme desserra ses bras et la laissa glisser à terre, en disant:

– Bien, madame, nous mourrons ici tous trois; merci à vous qui me faites cette joie que je n'eusse jamais espérée.

Et comme il disait ces mots en retenant son cheval, l'eau bondissante l'atteignit, comme elle avait atteint Remy; mais, par un dernier effort d'amour, il retint par le bras la jeune femme qui avait mis pied à terre.

Le flot les envahit, la lame furieuse les roula durant quelques secondes pêle-mêle avec d'autres débris.

C'était un spectacle sublime que le sang-froid de cet homme, si jeune et si dévoué, dont le buste tout entier dominait le flot, tandis qu'il soutenait sa compagne de la main, et que ses genoux, guidant les derniers efforts du cheval expirant, cherchaient à utiliser jusqu'aux suprêmes efforts de son agonie.

Il y eut un moment de lutte terrible, pendant lequel la dame, soutenue par la main droite de Henri, continuait de dépasser de la tête le niveau de l'eau, tandis que de la main gauche Henri écartait les bois flottants et les cadavres dont le choc eût submergé ou écrasé son cheval.

Un de ces corps flottants, en passant près d'eux, cria ou plutôt soupira:

– Adieu! madame, adieu!

– Par le ciel! s'écria le jeune homme, c'est Remy! Eh bien! toi aussi, je te sauverai.

Et, sans calculer le danger de ce surcroît de pesanteur, il saisit la manche de Remy, l'attira sur sa cuisse gauche et le fit respirer librement.

Mais en même temps le cheval, épuisé du triple poids, s'enfonçait jusqu'au cou, puis jusqu'aux yeux; enfin, les jarrets brisés pliant sous lui, il disparut tout à fait.

– Il faut mourir! murmura Henri. Mon Dieu, prends ma vie, elle fut pure.

Vous, madame, ajouta-t-il, recevez mon âme, elle était à vous!

En ce moment, Henri sentit Remy qui lui échappait; il ne fit aucune résistance pour le retenir; toute résistance était inutile.

Son seul soin fut de soutenir la dame au-dessus de l'eau pour qu'elle, au moins, mourût la dernière, et qu'il se pût dire à lui-même, à son dernier moment, qu'il avait fait tout ce qu'il avait pu pour la disputer à la mort.

Tout à coup, et comme il ne songeait plus qu'à mourir lui-même, un cri de joie retentit à ses côtés.

Il se retourna et vit Remy qui venait d'atteindre une barque.

Cette barque, c'était celle de la petite maison que nous avons vu soulever par l'eau; l'eau l'avait entraînée, et Remy, qui avait repris ses forces, grâce au secours que lui avait porté Henri, Remy, la voyant passer à sa portée, s'était détaché du groupe, haletant, et en deux brassées l'avait atteinte.

Ses deux rames étaient attachées à son abordage, une gaffe roulait au fond.

Il tendit la gaffe à Henri qui la saisit, entraînant avec lui la dame, qu'il souleva par dessous ses épaules et que Remy reprit de ses mains.

Puis, lui-même, saisissant le rebord de la barque, il monta près d'eux.

Les premiers rayons du jour naissaient montrant les plaines inondées et la barque se balançant comme un atome sur cet océan tout couvert de débris.

À deux cents pas à peu près, vers la gauche, s'élevait une petite colline qui, entièrement entourée d'eau, semblait une île au milieu de la mer.

Henri saisit les avirons et rama du côté de la colline vers laquelle d'ailleurs le courant les portait.

Remy prit la gaffe et, debout à l'avant, s'occupa d'écarter les poutres et les madriers contre lesquels la barque pouvait se heurter.

Grâce à la force de Henri, grâce à l'adresse de Remy, on aborda ou plutôt on fut jeté contre la colline.

Remy sauta à terre et saisit la chaîne de la barque, qu'il tira vers lui.

Henri s'avança pour prendre la dame entre ses bras; mais elle étendit la main et, se levant seule, elle sauta à terre.

Henri poussa un soupir; un instant il eut l'idée de se rejeter dans l'abîme et de mourir à ses yeux; mais un irrésistible sentiment l'enchaînait à la vie, tant qu'il voyait cette femme, dont il avait si longtemps désiré la présence sans l'obtenir jamais.

Il tira la barque à terre et alla s'asseoir à dix pas de la dame et de Remy, livide, dégouttant d'une eau qui s'échappait de ses habits, plus douloureuse que le sang.

Ils étaient sauvés du danger le plus pressant, c'est-à-dire de l'eau; l'inondation, si forte qu'elle fût, ne monterait jamais à la hauteur de la colline.

Au-dessous d'eux, dès lors, ils pouvaient contempler cette grande colère des flots, qui n'a de colère au-dessus d'elle que celle de Dieu.

Henri regardait passer cette eau rapide, grondante, qui charriait des amas de cadavres français, près d'eux, leurs chevaux et leurs armes.

Remy ressentait une vive douleur à l'épaule; un madrier flottant l'avait atteint au moment où son cheval s'était dérobé sous lui.

Quant à sa compagne, à part le froid qu'elle éprouvait, elle n'avait aucune blessure; Henri l'avait garantie de tout ce dont il était en son pouvoir de la garantir.

Henri fut bien surpris de voir que ces deux êtres, si miraculeusement échappés à la mort, ne remerciaient que lui, et n'avaient pas eu pour Dieu, premier auteur de leur salut, une seule action de grâces.