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Le soir même il gravissait, avant la nuit, la colline sur laquelle Château-Thierry est assis, avec la Marne à ses pieds.

Son nom lui fit ouvrir les portes du château qu'habitait le prince; mais, quant à une audience, il fut plus d'une heure à l'obtenir.

Le prince, disaient les uns, était dans ses appartements; il dormait, disait un autre; il faisait de la musique, supposait le valet de chambre.

Seulement nul, parmi les domestiques, ne pouvait donner une réponse positive.

Henri insista pour n'avoir plus à penser au service du roi et se livrer, dès lors, tout entier à sa tristesse.

Sur cette insistance, et comme on le savait lui et son frère des plus familiers du duc, on le fit entrer dans l'un des salons du premier étage, où le prince consentait enfin à le recevoir.

Une demi-heure s'écoula, la nuit tombait insensiblement du ciel.

Le pas traînant et lourd du duc d'Anjou résonna dans la galerie; Henri, qui le reconnut, se prépara au cérémonial d'usage.

Mais le prince, qui paraissait fort pressé, dispensa vite son ambassadeur de ces formalités en lui prenant la main et en l'embrassant.

– Bonjour, comte, dit-il, pourquoi vous dérange-t-on pour venir voir un pauvre vaincu?

– Le roi m'envoie, monseigneur, vous prévenir qu'il a grand désir de voir Votre Altesse, et que, pour la laisser reposer de ses fatigues, c'est Sa Majesté qui se rendra au devant d'elle et qui viendra visiter Château-Thierry demain au plus tard.

– Le roi viendra demain! s'écria François avec un mouvement d'impatience.

Mais il se reprit promptement.

– Demain, demain! dit-il, mais, en vérité, rien ne sera prêt au château ni dans la ville pour recevoir Sa Majesté.

Henri s'inclina en homme qui transmet un ordre, mais qui n'a point charge de le commenter.

– La grande hâte où Leurs Majestés sont de voir Votre Altesse ne leur a pas permis de penser aux embarras.

– Eh bien! eh bien! fit le prince avec volubilité, c'est à moi de mettre le temps en double. Je vous laisse donc, Henri; merci de votre célérité, car vous avez couru vite, à ce que je vois: reposez-vous.

– Votre Altesse n'a pas d'autres ordres à me transmettre? demanda respectueusement Henri.

– Aucun. Couchez-vous. On vous servira chez vous, comte. Je n'ai pas de service ce soir, je suis souffrant, inquiet, j'ai perdu appétit et sommeil, ce qui me compose une vie lugubre et à laquelle, vous le comprenez, je ne fais participer personne.

À propos, vous savez la nouvelle?

– Non, monseigneur; quelle nouvelle?

– Aurilly a été mangé par les loups…

– Aurilly! s'écria Henri avec surprise.

– Eh! oui… dévoré!… C'est étrange: comme tout ce qui m'approche meurt mal! Bonsoir, comte, dormez bien.

Et le prince s'éloigna d'un pas rapide.

LIXXVII Doute

Henri descendit, et en traversant les antichambres il trouva bon nombre d'officiers de sa connaissance qui accoururent à lui, et qui avec force amitiés lui offrirent de le conduire à l'appartement de son frère, situé à l'un des angles, du château.

C'était la bibliothèque que le duc avait donnée pour habitation à Joyeuse, durant son séjour à Château-Thierry.

Deux salons, meublés au temps de François 1er, communiquaient l'un avec l'autre et aboutissaient à la bibliothèque; cette dernière pièce donnait sur les jardins.

C'est dans la bibliothèque qu'avait fait dresser son lit Joyeuse, esprit paresseux et cultivé à la fois: en étendant le bras il touchait à la science, en ouvrant les fenêtres il savourait la nature; les organisations supérieures ont besoin de jouissances plus complètes, et la brise du matin, le chant des oiseaux et le parfum des fleurs ajoutaient un nouveau charme aux triolets de Clément Marot ou aux odes de Ronsard.

Henri décida qu'il garderait toutes choses comme elles étaient, non pas qu'il fût mu par le sybaritisme poétique de son frère, mais au contraire par insouciance, et parce qu'il lui était indifférent d'être là ou ailleurs.

Mais comme, en quelque situation d'esprit que fût le comte, il avait été élevé à ne jamais négliger ses devoirs envers le roi ou les princes de la maison de France, il s'informa avec le plus grand soin de la partie du château qu'habitait le prince depuis son retour.

Le hasard envoyait, sous ce rapport, un excellent cicérone à Henri; c'était ce jeune enseigne dont une indiscrétion avait, dans le petit village de Flandre où nous avons fait faire une halte d'un instant à nos personnages, livré au prince le secret du comte; celui-ci n'avait pas quitté le prince depuis son retour, et pouvait parfaitement renseigner Henri.

En arrivant à Château-Thierry, le prince avait d'abord cherché la dissipation et le bruit; alors il habitait les grands appartements, recevait matin et soir, et, pendant la journée, courait le cerf dans la forêt, ou volait à la pie dans le parc; mais depuis la nouvelle de la mort d'Aurilly, nouvelle arrivée au prince sans que l'on sût par quelle voie, le prince s'était retiré dans un pavillon situé au milieu du parc; ce pavillon, espèce de retraite inaccessible, excepté aux familiers de la maison du prince, était perdu sous le feuillage des arbres, et apparaissait à peine au-dessus des charmilles gigantesques et à travers l'épaisseur des haies.

C'était dans ce pavillon que depuis deux jours le prince s'était retiré; ceux qui ne le connaissaient pas disaient que c'était le chagrin que lui avait causé la mort d'Aurilly qui le plongeait dans cette solitude; ceux qui le connaissaient prétendaient qu'il s'accomplissait dans ce pavillon quelque œuvre honteuse ou infernale qui, un matin, éclaterait au jour.

L'une ou l'autre de ces suppositions était d'autant plus probable, que le prince semblait désespéré quand une affaire ou une visite l'appelait au château; si bien qu'aussitôt cette visite reçue ou cette affaire achevée, il rentrait dans sa solitude, servi seulement par deux vieux valets de chambre qui l'avaient vu naître.

– Alors, fit Henri, les fêtes ne seront pas gaies, si le prince est de cette humeur.

– Assurément, répondit l'enseigne, car chacun saura compatir à la douleur du prince, frappé dans son orgueil et dans ses affections.

Henri continuait de questionner sans le vouloir, et prenait un étrange intérêt à ces questions; cette mort d'Aurilly qu'il avait connu à la cour, et qu'il avait revu en Flandre; cette espèce d'indifférence avec laquelle le prince lui avait annoncé la perte qu'il avait faite; cette réclusion dans laquelle le prince vivait, disait-on, depuis cette mort; tout cela se rattachait pour lui, sans qu'il sût comment, à la trame mystérieuse et sombre sur laquelle, depuis quelque temps, étaient brodés les événements de sa vie.