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– Et, demanda-t-il à l'enseigne, on ne sait pas, avez-vous dit, d'où vient au prince la nouvelle de la mort d'Aurilly?

– Non.

– Mais enfin, insista-t-il, raconte-t-on quelque chose à ce sujet?

– Oh! sans doute, dit l'enseigne; vrai ou faux, vous le savez, on raconte toujours quelque chose.

– Eh bien! voyons.

– On dit que le prince chassait sous les saules près de la rivière, et qu'il s'était écarté des autres chasseurs, car il fait tout par élans, et s'emporte à la chasse comme au jeu, comme au feu, comme à la douleur, quand tout à coup on le vit revenir avec un visage consterné.

Les courtisans l'interrogèrent, pensant qu'il ne s'agissait que d'une simple aventure de chasse.

Il tenait à la main deux rouleaux d'or.

– Comprenez-vous cela, messieurs? dit-il d'une voix saccadée; Aurilly est mort, Aurilly a été mangé par les loups!

Chacun se récria.

– Non pas, dit le prince, il en est ainsi, ou le diable m'emporte; le pauvre joueur de luth avait toujours été plus grand musicien que bon cavalier; il paraît que son cheval l'a emporté, et qu'il est tombé dans une fondrière où il s'est tué; le lendemain deux voyageurs qui passaient près de cette fondrière, ont trouvé son corps à moitié mangé par les loups, et la preuve que la chose s'est bien passée ainsi, et que les voleurs n'ont rien à faire dans tout cela, c'est que voici deux rouleaux d'or qu'il avait sur lui et qui ont été fidèlement rapportés.

– Or, comme on n'avait vu personne rapporter ces deux rouleaux d'or, continua l'enseigne, on supposa qu'ils avaient été remis au prince par ces deux voyageurs, qui, l'ayant rencontré et reconnu au bord de la rivière, lui avaient annoncé cette nouvelle de la mort d'Aurilly.

– C'est étrange, murmura Henri.

– D'autant plus étrange, continua l'enseigne, que l'on a vu, dit-on, encore, – est-ce vrai? est-ce une invention? – le prince ouvrir la petite porte du parc, du côté des châtaigniers, et, par cette porte, passer comme deux ombres. Le prince a donc fait entrer deux personnes dans le parc, les deux voyageurs probablement; c'est depuis lors que le prince a émigré dans son pavillon, et nous ne l'avons vu qu'à la dérobée.

– Et nul n'a vu ces deux voyageurs? demanda Henri.

– Moi, dit l'enseigne, en allant demander au prince le mot d'ordre du soir pour la garde du château, j'ai rencontré un homme qui m'a paru étranger à la maison de Son Altesse, mais je n'ai pu voir son visage, cet homme s'étant détourné à ma vue et ayant rabattu sur ses yeux le capuchon de son justaucorps.

– Le capuchon de son justaucorps!

– Oui, cet homme semblait un paysan flamand, et m'a rappelé, je ne sais pourquoi, celui qui vous accompagnait, quand nous nous rencontrâmes là-bas.

Henri tressaillit; cette observation se rattachait pour lui à cet intérêt sourd et tenace que lui inspirait cette histoire: à lui aussi qui avait vu Diane et son compagnon confiés à Aurilly, cette idée était venue que les deux voyageurs qui avaient annoncé au prince la mort du malheureux joueur de luth, étaient de sa connaissance.

Henri regarda avec attention l'enseigne.

– Et quand vous crûtes avoir reconnu cet homme, quelle idée vous est venue, monsieur? demanda-t-il.

– Voici ce que je pense, répondit l'enseigne; cependant je ne voudrais rien affirmer; le prince n'a sans doute pas renoncé à ses idées sur la Flandre; il entretient en conséquence des espions; l'homme au surcot de laine est un espion, qui dans sa tournée aura appris l'accident arrivé au musicien et aura apporté deux nouvelles à la fois.

– Cela est vraisemblable, dit Henri rêveur; mais cet homme, que faisait-il quand vous l'avez vu?

– Il longeait la haie qui borde le parterre, vous verrez cette haie de vos fenêtres, et gagnait les serres.

– Alors vous dites que les deux voyageurs, car vous dites qu'ils sont deux…

– On dit qu'on a vu entrer deux personnes, moi, je n'en ai vu qu'une seule, l'homme au surcot.

– Alors, selon vous, l'homme au surcot habiterait les serres?

– C'est probable.

– Et ces serres, ont-elles une sortie?

– Sur la ville, oui, comte.

Henri demeura quelque temps silencieux; son cœur battait avec violence; ces détails, indifférents en apparence pour lui, qui semblait dans tout ce mystère avoir une double vue, avaient un immense intérêt.

La nuit était venue sur ces entrefaites, et les deux jeunes gens causaient sans lumière dans l'appartement de Joyeuse.

Fatigué de la route, alourdi par les événements étranges qu'on venait de lui raconter, sans force contre les émotions qu'ils venaient de faire naître en lui, le comte était renversé sur le lit de son frère et plongeait machinalement les yeux dans l'azur du ciel, qui semblait constellé de diamants.

Le jeune enseigne était assis sur le rebord de la fenêtre, et se laissait aller volontiers, lui aussi, à cet abandon de l'esprit, à cette poésie de la jeunesse, à cet engourdissement velouté de bien-être que donne la fraîcheur embaumée du soir.

Un grand silence couvrait le parc et la ville, les portes se fermaient, les lumières s'allumaient peu à peu, les chiens aboyaient au loin dans les chenils contre les valets chargés de fermer le soir les écuries.

Tout à coup l'enseigne se souleva, fit avec la main un signe d'attention, se pencha en dehors de la fenêtre et appelant d'une voix brève et basse le comte étendu sur le lit:

– Venez, venez, dit-il.

– Quoi donc? demanda Henri, sortant violemment de son rêve.

– L'homme, l'homme!

– Quel homme?

– L'homme au surcot, l'espion.

– Oh! fit Henri en bondissant du lit à la fenêtre et en s'appuyant sur l'enseigne.

– Tenez, continua l'enseigne, le voyez-vous là-bas? il longe la haie; attendez, il va reparaître; tenez, regardez dans cet espace éclairé par la lune; le voilà, le voilà!

– Oui.

– N'est-ce pas qu'il est sinistre?

– Sinistre, c'est le mot, répondit du Bouchage en s'assombrissant lui-même.