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– Croyez-vous que ce soit un espion?

– Je ne crois rien et je crois tout.

– Voyez, il va du pavillon du prince aux serres.

– Le pavillon du prince est donc là? demanda du Bouchage, en désignant du doigt le point d'où paraissait venir l'étranger.

– Voyez cette lumière qui tremble au milieu du feuillage.

– Eh bien?

– C'est celle de la salle à manger.

– Ah! s'écria Henri, le voilà qui reparaît encore.

– Oui, décidément il va aux serres rejoindre son compagnon; entendez-vous?

– Quoi?

– Le bruit d'une clef qui crie dans la serrure.

– C'est étrange, dit du Bouchage, il n'y a rien dans tout cela que de très ordinaire, et cependant…

– Et cependant vous frissonnez, n'est-ce pas?

– Oui! dit le comte, mais qu'est-ce encore?

On entendait le bruit d'une espèce de cloche.

– C'est le signal du souper de la maison du prince; venez-vous souper avec nous, comte?

– Non, merci, je n'ai besoin de rien, et si la faim me presse, j'appellerai.

– N'attendez point cela, monsieur, et venez vous réjouir dans notre compagnie.

– Non pas; impossible.

– Pourquoi?

– S.A.R. m'a presque enjoint de me faire servir chez moi; mais que je ne vous retarde point.

– Merci, comte, bonsoir! surveillez bien notre fantôme.

– Oh! oui, je vous en réponds; à moins, continua Henri, craignant d'en avoir trop dit, à moins que le sommeil ne s'empare de moi. Ce qui me paraît plus probable et plus sain que de guetter les ombres et les espions.

– Certainement, dit l'enseigne en riant.

Et il prit congé de du Bouchage.

À peine fut-il hors de la bibliothèque, que Henri s'élança dans le jardin.

– Oh! murmura-t-il, c'est Remy! c'est Remy! je le reconnaîtrais dans les ténèbres de l'enfer.

Et le jeune homme, sentant ses genoux trembler sous lui, appuya ses deux mains humides sur son front brûlant.

– Mon Dieu! dit-il, n'est-ce pas plutôt une hallucination de mon pauvre cerveau malade, et n'est-il pas écrit que dans le sommeil ou dans la veille, le jour ou la nuit, je verrai incessamment ces deux figures qui ont creusé un sillon si sombre dans ma vie?

En effet, continua-t-il comme un homme qui sent le besoin de se convaincre lui-même, pourquoi Remy serait-il ici, dans ce château, chez le duc d'Anjou? Qu'y viendrait-il faire? Quelles relations le duc d'Anjou pourrait-il avoir avec Remy? Comment enfin aurait-il quitté Diane, lui, son éternel compagnon? Non! ce n'est pas lui.

Puis, au bout d'un instant, une conviction intime, profonde, instinctive, reprenant le dessus sur le doute:

– C'est lui! c'est lui! murmura-t-il désespéré et en s'appuyant à la muraille pour ne pas tomber.

Comme il achevait de formuler cette pensée dominante, invincible, maîtresse de toutes les autres, le bruit aigu de la serrure retentit de nouveau, et quoique ce bruit fût presque imperceptible, ses sens surexcités le saisirent.

Un inexprimable frisson parcourut tout le corps du jeune homme.

Il écouta de nouveau.

Il se faisait autour de lui un tel silence, qu'il entendait battre son propre cœur.

Quelques minutes s'écoulèrent sans qu'il vît apparaître rien de ce qu'il attendait.

Cependant, à défaut des yeux, ses oreilles lui disaient que quelqu'un approchait.

Il entendait crier le sable sous ses pas.

Soudain la ligne noire de la charmille se dentela; il lui sembla sur ce fond sombre voir se mouvoir un groupe plus sombre encore.

– Le voilà qui revient, murmura Henri, est-il seul? est-il accompagné?

Le groupe s'avançait du côté où la lune argentait un espace de terrain vide.

C'est au moment où, marchant en sens opposé, l'homme au surcot traversait cet espace, que Henri avait cru reconnaître Remy.

Cette fois Henri vit deux ombres bien distinctes; il n'y avait point à s'y tromper.

Un froid mortel descendit jusqu'à son cœur et sembla l'avoir fait de marbre.

Les deux ombres marchaient vite, quoique d'un pas ferme; la première était vêtue d'un surcot de laine, et, à cette seconde apparition comme à la première, le comte crut bien reconnaître Remy.

La seconde, complètement enveloppée d'un grand manteau d'homme, échappait à toute analyse.

Et cependant, sous ce manteau, Henri crut deviner ce que nul n'eût pu voir.

Il poussa une sorte de rugissement douloureux, et dès que les deux mystérieux personnages eurent disparu derrière la charmille, le jeune homme s'élança derrière et se glissa de massifs en massifs à la suite de ceux qu'il voulait connaître.

– Oh! murmurait-il tout en marchant, est-ce que je ne me trompe pas, mon Dieu? est-ce que c'est possible?

LXXXVIII Certitude

Henri se glissa le long de la charmille par le côté sombre, en observant la précaution de ne point faire de bruit, soit sur le sable, soit le long des feuillages.

Obligé de marcher, et, tout en marchant, de veiller sur lui, il ne pouvait bien voir. Cependant, à la tournure, aux habits, à la démarche, il persistait à reconnaître Remy dans l'homme au surcot de laine.

De simples conjectures, plus effrayantes pour lui que des réalités, s'élevaient dans son esprit à l'égard du compagnon de cet homme.

Ce chemin de la charmille aboutissait à la grande haie d'épines et à la muraille de peupliers qui séparait du reste du parc le pavillon de M. le duc d'Anjou, et l'enveloppait d'un rideau de verdure au milieu duquel, comme nous l'avons dit, il disparaissait entièrement dans le coin isolé du château. Il y avait de belles pièces d'eau, des taillis sombres percés d'allées sinueuses, et des arbres séculaires sur le dôme desquels la lune versait les cascades de sa lumière argentée, tandis que, dessous, l'ombre était noire, opaque, impénétrable.

En approchant de cette haie, Henri sentit que le cœur allait lui manquer.

En effet, transgresser aussi audacieusement les ordres du prince et se livrer à des indiscrétions aussi téméraires, c'était le fait, non plus d'un loyal et probe gentilhomme, mais d'un lâche espion ou d'un jaloux décidé à toutes les extrémités.

Mais comme, en ouvrant la barrière qui séparait le grand parc du petit, l'homme fit un mouvement qui laissa son visage à découvert, et que ce visage était bien celui de Remy, le comte n'eut plus de scrupules et poussa résolument en avant, au risque de tout ce qui pouvait arriver.