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Cette action passionnée produisit une telle impression sur lui-même, qu'un nuage obscurcit sa vue au moment où il mordait dans le fruit.

Diane le regardait avec son œil clair et son sourire immobile.

Remy, adossé à un pilier de bois sculpté, regardait aussi d'un air sombre.

Le prince passa une main sur son front, y essuya quelques gouttes de sueur qui venaient de perler sur son front, et avala le morceau qu'il avait mordu.

Cette sueur était sans doute le symptôme d'une indisposition subite; car, tandis que Diane mangeait l'autre moitié de la pêche, le prince laissa retomber ce qui restait de la sienne sur son assiette, et, se soulevant avec effort, il sembla inviter sa belle convive à prendre avec lui l'air dans le jardin.

Diane se leva, et sans prononcer une parole prit le bras que lui offrait le duc.

Remy les suivit des yeux, surtout le prince que l'air ranima tout à fait.

Tout en marchant, Diane essuyait la petite lame de son couteau à un mouchoir brodé d'or, et le remettait dans sa gaîne de chagrin.

Ils arrivèrent ainsi tout près du buisson où se cachait Henri.

Le prince serrait amoureusement sur son cœur le bras de la jeune femme.

– Je me sens mieux, dit-il, et pourtant je ne sais quelle pesanteur assiège mon cerveau; j'aime trop, je le vois, madame.

Diane arracha quelques fleurs à un jasmin, une branche à une clématite et deux belles roses qui tapissaient tout un côté du socle de la statue, derrière laquelle Henri se rapetissait effrayé.

– Que faites-vous, madame? demanda le prince.

– On m'a toujours assuré, monseigneur, dit-elle, que le parfum des fleurs était le meilleur remède aux étourdissements. Je cueille un bouquet dans l'espoir que, donné par moi, ce bouquet aura l'influence magique que je lui souhaite.

Mais, tout en réunissant les fleurs du bouquet, elle laissa tomber une rose, que le prince s'empressa de ramasser galamment.

Le mouvement de François fut rapide, mais point si rapide cependant qu'il ne donnât le temps à Diane de laisser tomber, sur l'autre rose, quelques gouttes d'une liqueur renfermée dans un flacon d'or qu'elle tira de son sein.

Puis elle prit la rose que le prince avait ramassée et la mettant à sa ceinture:

– Celle-là est pour moi, dit-elle, changeons.

Et, en échange de la rose qu'elle recevait des mains du prince, elle lui tendit le bouquet.

Le prince le prit avidement, le respira avec délices et passa son bras autour de la taille de Diane. Mais cette pression voluptueuse acheva sans doute de troubler les sens de François, car il fléchit sur ses genoux et fut forcé de s'asseoir sur un banc de gazon qui se trouvait là.

Henri ne perdait pas de vue ces deux personnages, et cependant il avait aussi un regard pour Remy, qui, dans le pavillon, attendait la fin de cette scène, ou plutôt semblait en dévorer chaque détail.

Lorsqu'il vit le prince fléchir, il s'approcha jusqu'au seuil du pavillon. Diane, de son côté, sentant François chanceler, s'assit près de lui sur le banc.

L'étourdissement de François dura cette fois plus longtemps que le premier; le prince avait la tête penchée sur la poitrine. Il paraissait avoir perdu le fil de ses idées et presque le sentiment de son existence, et cependant le mouvement convulsif de ses doigts sur la main de Diane indiquait que d'instinct il poursuivait sa chimère d'amour.

Enfin, il releva lentement la tête, et ses lèvres se trouvant à la hauteur du visage de Diane, il fit un effort pour toucher celles de sa belle convive; mais comme si elle n'eût point vu ce mouvement, la jeune femme se leva.

– Vous souffrez, monseigneur? dit-elle, mieux vaudrait rentrer.

– Oh! oui, rentrons! s'écria le prince dans un transport de joie; oui, venez, merci!

Et il se leva tout chancelant; alors, au lieu que ce fût Diane qui s'appuyât à son bras, ce fut lui qui s'appuya au bras de Diane; et grâce à ce soutien, marchant plus à l'aise, il parut oublier fièvre et étourdissement; se redressant tout à coup, il appuya, presque par surprise, ses lèvres sur le col de la jeune femme.

Celle-ci tressaillit comme si, au lieu d'un baiser, elle eût ressenti la morsure d'un fer rouge.

– Remy, un flambeau! s'écria-t-elle, un flambeau!

Aussitôt Remy rentra dans la salle à manger et alluma, aux bougies de la table, un flambeau isolé qu'il prit sur un guéridon; et, se rapprochant vivement de l'entrée du pavillon ce flambeau à la main:

– Voilà, madame, dit-il.

– Où va Votre Altesse? demanda Diane en saisissant le flambeau et détournant la tête.

– Oh! chez moi!… chez moi!… et vous me guiderez, n'est-ce pas, madame? répliqua le prince avec ivresse.

– Volontiers, monseigneur, répondit Diane.

Et elle leva le flambeau en l'air, en marchant devant le prince.

Remy alla ouvrir, au fond du pavillon, une fenêtre par où l'air s'engouffra de telle façon, que la bougie portée par Diane lança, comme furieuse, toute sa flamme et sa fumée sur le visage de François, placé précisément dans le courant d'air.

Les deux amants, Henri les jugea tels, arrivèrent ainsi, en traversant une galerie, jusqu'à la chambre du duc, et disparurent derrière la tenture de fleurs de lis qui lui servait de portière.

Henri avait vu tout ce qui s'était passé avec une fureur croissante, et cependant cette fureur était telle qu'elle touchait à l'anéantissement.

On eût dit qu'il ne lui restait de force que pour maudire le sort qui lui avait imposé une si cruelle épreuve.

Il était sorti de sa cachette, et, brisé, les bras pendants, l'œil atone, il se préparait à regagner, demi-mort, son appartement dans le château.

Lorsque, soudain, la portière derrière laquelle il venait de voir disparaître Diane et le prince se rouvrit, et la jeune femme, se précipitant dans la salle à manger, entraîna Remy, qui, debout, immobile, semblait n'attendre que son retour.

– Viens!… lui dit-elle, viens, tout est fini…

Et tous deux s'élancèrent comme ivres, fous ou furieux dans le jardin.

Mais, à leur vue, Henri avait retrouvé toute sa force; Henri s'élança au devant d'eux, et ils le trouvèrent tout à coup au milieu de l'allée, debout, les bras croisés, et plus terrible dans son silence, que nul ne le fut jamais dans ses menaces. Henri, en effet, en était arrivé à ce degré d'exaspération, qu'il eût tué quiconque se fût avisé de soutenir que les femmes n'étaient pas des monstres envoyés par l'enfer pour souiller le monde.