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Finalement, Alceste est monté dans le car et nous avons pu partir pour de bon. Avant de tourner le coin de la rue, j’ai vu l’agent de police qui jetait son bâton blanc par terre, au milieu des autos accrochées.

Nous sommes entrés dans le musée, bien en rang, bien sages, parce qu’on l’aime bien notre maîtresse, et nous avions remarqué qu’elle avait l’air très nerveuse, comme Maman quand Papa laisse tomber la cendre de ses cigarettes sur le tapis. On est entrés dans une grande salle, avec des tas et des tas de peintures accrochées aux murs.

« Vous allez voir ici des tableaux exécutés par les grands maîtres de l’école flamande », a expliqué la maîtresse. Elle n’a pas pu continuer très longtemps, parce qu’un gardien est arrivé en courant et en criant parce qu’Alceste avait passé le doigt sur un tableau pour voir si la peinture était encore fraîche. Le gardien a dit qu’il ne fallait pas toucher et il a commencé à discuter avec Alceste qui lui disait qu’on pouvait toucher puisque c’était bien sec et qu’on ne risquait pas de se salir. La maîtresse a dit à Alceste de se tenir tranquille et elle a promis au gardien de bien nous surveiller. Le gardien est parti en remuant la tête.

Pendant que la maîtresse continuait à expliquer, nous avons fait des glissades ; c’était chouette parce que par terre c’était du carrelage et ça glissait bien.

On jouait tous, sauf la maîtresse qui nous tournait le dos et qui expliquait un tableau, et Agnan, qui était à côté d’elle et qui écoutait en prenant des notes. Alceste ne jouait pas non plus. Il était arrêté devant un petit tableau qui représentait des poissons, des biftecks et des fruits. Alceste regardait le tableau en se passant la langue sur les lèvres.

Nous, on s’amusait bien et Eudes était formidable pour les glissades ; il faisait presque la longueur de la salle. Après les glissades, on a commencé une partie de saute-mouton, mais on a dû s’arrêter parce qu’Agnan s’est retourné et il a dit :

« Regardez, mademoiselle, ils jouent ! » Eudes s’est fâché et il est allé trouver Agnan qui avait enlevé ses lunettes pour les essuyer et qui ne l’a pas vu venir. Il n’a pas eu de chance, Agnan : s’il n’avait pas enlevé ses lunettes, il ne l’aurait pas reçu, le coup de poing sur le nez.

Le gardien est arrivé et il a demandé à la maîtresse si elle ne croyait pas qu’il valait mieux que nous partions. La maîtresse a dit que oui, qu’elle en avait assez.

Nous allions donc sortir du musée quand Alceste s’est approché du gardien. Il avait sous le bras le petit tableau qui lui avait tellement plu, avec les poissons, les biftecks et les fruits, et il a dit qu’il voulait l’acheter. Il voulait savoir combien le gardien en demandait.

Quand on est sortis du musée, Geoffroy a dit à la maîtresse que puisqu’elle aime les peintures, elle pouvait venir chez lui, que son papa et sa maman en avaient une chouette collection dont tout le monde parlait. La maîtresse s’est passé la main sur la figure et elle a dit qu’elle ne voulait plus jamais voir un tableau de sa vie, qu’elle ne voulait même pas qu’on lui parle de tableaux.

J’ai compris, alors, pourquoi la maîtresse n’avait pas l’air très contente de cette journée passée au musée avec la classe. Au fond, elle n’aime pas les peintures.

Le défilé

On va inaugurer une statue dans le quartier de l’école, et nous on va défiler.

C’est ce que nous a dit le directeur quand il est entré en classe ce matin et on s’est tous levés, sauf Clotaire qui dormait et il a été puni. Clotaire a été drôlement étonné quand on l’a réveillé pour lui dire qu’il serait en retenue jeudi. Il s’est mis à pleurer et ça faisait du bruit et moi je crois qu’on aurait dû continuer à le laisser dormir.

« Mes enfants, il a dit le directeur, pour cette cérémonie, il y aura des représentants du gouvernement, une compagnie d’infanterie rendra les honneurs, et les élèves de cette école auront le grand privilège de défiler devant le monument et de déposer une gerbe. Je compte sur vous, et j’espère que vous vous conduirez comme de vrais petits hommes. » Et puis, le directeur nous a expliqué que les grands feraient la répétition pour le défilé tout à l’heure, et nous après eux, à la fin de la matinée. Comme à la fin de la matinée, c’est l’heure de grammaire, on a tous trouvé que c’était chouette l’idée du défilé et on a été drôlement contents. On s’est tous mis à parler en même temps quand le directeur est parti et la maîtresse a tapé avec la règle sur la table, et on a fait de l’arithmétique.

Quand l’heure de grammaire est arrivée, la maîtresse nous a fait descendre dans la cour, où nous attendait le directeur et le Bouillon. Le Bouillon, c’est le surveillant, on l’appelle comme ça, parce qu’il dit tout le temps : « Regardez-moi dans les yeux », et dans le bouillon il y a des yeux, mais je crois que je vous ai déjà expliqué ça une fois.

« Ah ! a dit le directeur, voilà vos hommes, monsieur Dubon. J’espère que vous aurez avec eux le même succès que celui que vous avez obtenu avec les grands tout à l’heure. » M. Dubon, c’est comme ça que le directeur appelle le Bouillon, s’est mis à rigoler, et il a dit qu’il avait été sous-officier et qu’il nous apprendrait la discipline et à marcher au pas. « Vous ne les reconnaîtrez pas quand j’aurai fini, monsieur le Directeur », a dit le Bouillon. « Puissiez-vous dire vrai », a répondu le directeur, qui a fait un gros soupir et qui est parti.

« Bon, nous a dit le Bouillon. Pour former le défilé, il faut un homme de base. L’homme de base se tient au garde-à-vous, et tout le monde s’aligne sur lui. D’habitude, on choisit le plus grand. Compris ? » Et puis, il a regardé, il a montré du doigt Maixent, et il a dit : « Vous, vous serez l’homme de base. » Alors Eudes a dit : « Ben non, c’est pas le plus grand, il a l’air comme ça, parce qu’il a des jambes terribles, mais moi je suis plus grand que lui. » « Tu rigoles, a dit Maixent, non seulement je suis plus grand que toi, mais ma tante Alberte, qui est venue hier en visite à la maison, a dit que j’avais encore grandi. Je pousse tout le temps. » « Tu veux parier ? » a demandé Eudes, et comme Maixent voulait bien, ils se sont mis dos à dos, mais on n’a jamais su qui avait gagné, parce que le Bouillon s’est mis à crier et il a dit qu’on se mette en rang par trois, n’importe comment, et ça, ça a pris pas mal de temps. Et puis, quand on a été en rang, le Bouillon s’est mis devant nous, il a fermé un œil, et puis il a fait des gestes de la main et il a dit « Vous ! Un peu à gauche. Nicolas, à droite, vous dépassez vers la gauche, aussi. Vous ! Vous dépassez vers la droite ! » Là où on a rigolé, c’est avec Alceste, parce qu’il est très gros et il dépassait des deux côtés. Quand le Bouillon a eu fini, il avait l’air content, il s’est frotté les mains, et puis, il nous a tourné le dos et il a crié : « Section ! A mon commandement...» « C’est quoi, une gerbe, m’sieur ? a demandé Rufus, le directeur a dit qu’on allait en déposer une devant le monument. » « C’est un bouquet » a dit Agnan. Il est fou Agnan, il croit qu’il peut dire n’importe quoi, parce qu’il est le premier de la classe et le chouchou de la maîtresse. « Silence dans les rangs ! a crié le Bouillon. Section, à mon commandement, en avant...» « M’sieur, a crié Maixent, Eudes se met sur la pointe des pieds pour avoir l’air plus grand que moi. Il triche ! » « Sale cafard », a dit Eudes et il a donné un coup de poing sur le nez de Maixent, qui a donné un coup de pied à Eudes, et on s’est mis tous autour pour les regarder, parce que quand Eudes et Maixent se battent, ils sont terribles, c’est les plus forts de la classe, à la récré. Le Bouillon est arrivé en criant, il a séparé Eudes et Maixent et il leur a donné une retenue à chacun. « Ça, c’est le bouquet ! » a dit Maixent. « C’est la gerbe, comme dit Agnan », a dit Clotaire, et il s’est mis à rigoler et le Bouillon lui a donné une retenue pour jeudi. Bien sûr, le Bouillon ne pouvait pas savoir que Clotaire était déjà pris, ce jeudi.